L'Expérience Hors du Corps n'est pas Nécessaire
Par Lane Sarasohn
Je payais pour deux livres à la librairie de Phoenix dans Santa Monica – « La Doctrine Suprême » de Hubert Benoît (Etudes Psychologiques Dans La Pensée Zen) et « La Doctrine Zen Sans Le Mental » par le D.t. Suzuki. Ma modeste compréhension de l'Univers se résumait à ces deux volumes minces et cela semblait être un bon cadeau d'anniversaire pour mon pote Matt Neuman dont la propre métaphysique est basée sur les enseignements de Casey Stengel.
Après avoir emballé les livres, le type derrière le comptoir me remit ma carte American Express et me demanda, « Est-ce que les mots Dabo Tibi Coronam Vitae ont une quelconque signification pour vous ? » - « Non », répondis-je, « pour moi c'est du Grec. » - « En fait c'est du latin », dit le libraire. « Cela signifie ‘Je te donnerai la Couronne de la Vie’. » - « C'est une avance ? » Me suis-je demandé. « Cela vient des Révélations. C'est la devise sur les insignes de St Barde Stevens. »
« Hé ! hurlai-je, je suis allé à Barde ! » - Je sais, me répondit cet étranger apparent, qui avait été un bon ami d'université des années auparavant.
Je n'avais pas vu ou entendu parler de Mike Goth depuis 1962. La dernière chose que j'avais apprise, c'était qu'il avait épousé une héritière et qu'il apprenait à faire de la Formule Un en Europe. Maintenant, ici, il était devenu dans les années 90 le propriétaire de la très éminente librairie métaphysique de Santa Monica.
Naturellement, j'étais enchanté de voir Mike « en souvenir du bon vieux temps », mais les implications de cette rencontre chanceuse étaient pour moi magiques, karmiques, et profondes. Une pensée se précipita dans mon esprit : En retrouvant ce vieil ami, je pourrais probablement rencontrer la seule personne sur Terre que j'avais toujours été curieux de rencontrer (ayant déjà rencontré Milton Berle et Timothy Leary): L'auteur et sorcier Carlos Castaneda. Qui sait? - peut-être me prendrait-il comme apprenti.
J'ai commencé à lire les livres autobiographiques de Castaneda concernant sa rencontre avec la sorcellerie indienne yaqui et les drogues hallucinogènes au début des années 70, alors que je prenais encore de l'acide et que tout semblait possible.
J'ai toujours pu compter sur Castaneda pour quelques histoires tripantes, des conseils de bricolage magiques, et des perles de sagesse beatnik. Ses livres m'ont toujours inspiré (pendant un moment au moins) pour me bouger le cul spirituellement. « Voir, les enseignements d'un sorcier Yaqui », et « Le Voyage à Ixtlan » faisaient vibrer des cordes profondes dans mon cerveau droit, tandis que mon cerveau gauche continuait à maugréer, « Est-ce que ce type dit vrai, ou quoi ? »
Dans ses premiers livres, le jeune Carlos se présente comme un preneur de notes ballot, un natif Brésilien, étudiant gradué d'UCLA, travaillant à son doctorat en Sociologie, et qui s'avère justement tomber sur don Juan Matus, un brujo (sorcier) du Mexique dont la lignée magique pourrait être retracée depuis les Toltèques.
Mais maintenant, après trois décennies d'étude de mystères magiques, Castaneda pouvait se réclamer d'avoir une certaine mesure de compréhension et la capacité d'exécuter certains exploits de sorcellerie ; comme projeter son « corps de rêve » dans Westwood (et - on peut le présumer - au-delà) ; visitant certaines personnes à une heure et à une date prescrites dans leurs rêves ; et même se balader avec ses camarades magiciens dans les cinq (ou sept) mondes qui sont disponibles pour les « oeufs lumineux/humains » que nous sommes.
« Dis Mike », dis-je, après que nous ayons bavardé pendant quelque temps, « J'ai lu un article dans l'hebdomadaire de L.A par Michael Ventura. Il dit qu'il a assisté à une conférence de Carlos Castaneda ici. »
« Ouais, il y a environ un an. En fait, tout ce que le type a fait c'était répondre aux questions de l'audience. Je ne suis pas un grand fan de Castaneda, mais il était assez intéressant. »
Je dis à Mike de m'inclure si jamais l'auteur légendaire était de retour. Comme par magie, plusieurs semaines plus tard, le téléphone sonna. C'était un employé de la librairie Phoenix : Castaneda répondrait à nouveau à des questions cette nuit.
Dans la salle minuscule du sous-sol s'était entassée une quarantaine d'intellectuels style Californien comme moi, assis sur des chaises pliantes. Carlos Castaneda descendit les escaliers du sous-sol, il portait une veste de sport d'un brun indéfinissable, une chemise ouverte au cou, et un pantalon informe - un homme plus petit et plus âgé que ce que j'avais prévu.
J'avais entendu dire quelque part que Castaneda était un étudiant en kick-boxing, en se tenant devant nous, il avait l'air solide et digne. Un homme d'environ soixante ans, il aurait pu être un ancien combattant de poids moyens, ou un entraîneur de football sud-américain. Sa présence était intense et, la plupart du temps, sérieuse mais pas sereine ni suffisante.
Pour ceux qui n'avaient pas lu ses livres, il esquissa son histoire peu commune : Pendant ses études universitaires, il avait trébuché dans quelque chose d'extraordinaire, d'à peine croyable, il était devenu fasciné; maintenant c'était la force conductrice de sa vie.
Attentif au maximum, j'essayai puissamment de déterminer si ce conteur d'histoires extraordinaires disait la vérité. Il ne semblait pas être bidon ou cinglé. Le scepticisme doit être un risque professionnel pour les sorciers ; il a immédiatement abordé la question de savoir si ses écrits étaient des faits ou de la fiction. Il a dit qu'ils étaient réels et honnêtes.
Il précisa qu'il n'avait rien à gagner à fabriquer des mensonges. Il n'était pas intéressé par les disciples, la renommée, ou la fortune. Il avait consacré sa vie à essayer de comprendre certains mystères et il s'était engagé sur « le chemin du guerrier ». Cela signifiait pour lui une vie d'autodiscipline totale et d'austérité extrême : aucune épouse, aucune famille, aucune carrière académique, aucun statut de célébrité en tant qu'auteur (aucune tournée promotionnelle pour ses livres, aucune groupie, aucune flatterie, aucun verre d'alcool, aucune drogue). Ne devrait-il pas être un fou ou un imbécile pour renoncer à tous les avantages et les plaisirs de la vie juste pour tromper un public indifférent qui connaissait à peine son nom et n'avait jamais vu son visage?
Castaneda nous indiqua qu'il avait récemment assisté à une réunion avec un ami dans la maison d'un professeur d'UCLA. Quelqu'un mentionna que le célèbre auteur Carlos Castaneda était dans la pièce d'à côté. « Oh, vraiment », a dit le vrai Carlos. « J'aimerais le rencontrer. »
Entouré d’admirateurs, un type arrogant et suffisant se tenait au milieu de la pièce. (Castaneda imita pour nous l'expression suffisante de l'imposteur.) Il écouta l'homme – « Un connard total » - qui bafouilla quelque chose sur « les coutumes des Yaquis de Sonora » ; mais il ne se présenta pas et parti peu après.
L'expérience semblait avoir amusé et gêné « notre » Carlos Castaneda. Il continua en expliquant que la suffisance et la sorcellerie n'étaient pas compatibles par nature. Il dit que don Juan, son guide spirituel et professeur, l'avait incité à renoncer à son appartement scolaire, à sa position et à ses fantaisies, pour travailler comme cuisinier dans une gargotte graisseuse, et vivre dans une chambre louée pendant des années afin de lui faire surmonter ses propres sentiments de suffisance.
La plupart des choses que Castaneda énonça ce soir-là, je les connaissais déjà de ses huit derniers ouvrages. Il finit en disant que répondre à nos questions était stimulant et utile pour sa mémoire. Est-ce que cela intéresserait quelqu'un de participer à nouveau à une réunion comme celle-ci ? Moi et environ vingt autres avons mis nos noms sur une liste. Un mois plus tard nous étions de retour dans le sous-sol de la librairie Phoenix. Cette fois j'avais amené mon épouse, Carol. J'avais besoin d'une seconde opinion.
La salle était plus comble cette fois, et la foule était bien plus informée. Quelqu'un demanda, « Comment est-il possible que le corps de rêve sorte et voit des personnes et des choses dans le monde physique si le corps physique est resté derrière ? » Castaneda répondit que c'est « la mémoire de la rétine » qui permet au corps de rêve de voir.
« Quel est votre avis sur les divers gourous d'Inde et d'ailleurs dont les enseignements et les techniques de méditation sont si populaires aux Etats-Unis ? » Castaneda répondit qu'il avait passé un an à chercher ces maîtres, des yogis, et des incarnations auto-proclamées de Dieu. Il avait trouvé qu'ils étaient tous, sans exception, des égomaniaques enragés.
« A-t-on besoin d'un professeur ? » - « Non », dit-il. « Ce qui est vraiment important c'est son dévouement et l'autodiscipline. » Il a parlé de sa propre préoccupation étant jeune concernant le sexe, la séduction, et la recherche de l'amour. À un moment de sa vie, il dit que tout ce qu'il pouvait penser, tout ce qui le préoccupait était « Jane ou Myra, Myra ou Jane ? »
Je levai la main et demandai à Castaneda si on devait être célibataire si on souhaitait pratiquer la sorcellerie. Ma question sembla l'embarrasser, il toussa avant de répondre. Il expliqua que le niveau d'énergie qu'une personne a durant toute sa vie dépend de la quantité de passion apportée par l'acte sexuel au moment de sa conception. Puisque son père était vieux et sexuellement désintéressé par sa mère, le niveau d'énergie de Carlos avait toujours été très bas.
Sur le chemin du retour, je demandai à Carol ce qu'elle pensait de Carlos Castaneda. Elle n'était pas du tout impressionnée. Plusieurs femmes de son groupe d'aérobic se faisaient des extras en rééquilibrant les chakras. Une de ses amies faisait de la thérapie avec les cristaux, et une autre combinait le rebirth avec la réflexologie plantaire. Là où nous vivons, nous pouvons voir sur le haut de la colline, le manoir du Maharaji. Et parfois, quand tout va bien, on peut voir Shirley MacLaine faire ses emplettes au supermarché du coin.
Il s'écoula deux mois avant le prochain appel en provenance de Phoenix. Carol ne voulait pas venir, alors j'emmenai Big Steve, un copain de basket-ball psychothérapeute qui a un intérêt semblable au mien pour la métaphysique. Carlos Castaneda apparut avec un bandage de gaze enroulé autour de sa main droite. Il avait besoin de quelques volontaires, des gens qui voulaient sincèrement en apprendre plus au sujet de la sorcellerie.
Il dit que seul, on peut juste aller très loin, mais qu'un groupe d'au moins huit personnes est capable de produire des résultats impressionnants. Comme analogie, il nous dit que si on mettait moins de cinquante-deux fourmis dans une ferme de fourmis, le comportement des fourmis était désorganisé et chaotique, mais s'il y en avait cinquante-deux ou plus, les fourmis abordaient leurs activités selon un mode ordonné et productif. « Une masse critique » doit être atteinte.
Castaneda voulait qu'un groupe se réunisse une fois par semaine, le samedi après-midi, au parc local, pour pratiquer quelques mouvements qui ressemblaient au Tai Chi. Pas de femmes enceintes, pas de toxicomanes. Pas d'emmerdeurs. Pas de cinglés.
Il avait appris ces exercices d'une façon ou d'une autre de Lo Ban (Lujan), un herboriste Chinois qui était devenu un brujo - et faisait parti de l'ancienne lignée de don Juan – au Mexique durant les années 1870. Lo Ban, nous dit Castaneda, possédait un entrepôt dans lequel il y avait cinquante-trois barils contenant des mixtures d'herbes chinoises. Quand quelqu'un était malade, il allait à l'entrepôt de Lo Ban. Celui-ci diagnostiquait le problème et la personne devait grimper dans l'un des barils et y tremper pendant plusieurs heures ou plusieurs jours. Lo Ban s'était fait cueillir dans la rue par son « benefactor », effrayé et ne pouvant retrouver ses esprits face à la magie yaqui. Puis il avait été entraîné pendant plusieurs années jusqu'à ce que lui aussi devienne un puissant sorcier.
Je levai la main. « Vous avez dit aucun toxicomane. Est-ce que cela inclue la marijuana ? »
Castaneda grimaça. Il dit que l'utilisation habituelle de n'importe quel genre de drogue est très, très nuisible et affecte la couleur de l'aura. Le café lui donne « un vert sal » ; l'herbe la fait tourner au turquoise. Le turquoise, dit-il, est vraiment la plus mauvaise couleur. (« Si vous voulez vous tuer en six jours, mettez des draps turquoises sur votre lit. ») L'aura du sorcier est « blanchâtre. »
Je dois l'admettre: Je n'ai pas signé pour être apprenti sorcier. Même si la magie de Castaneda était vraie - et je n'en suis toujours pas sûr - ce n'était pas ce que je voulais pour ma vie. L'enseignement Zen n'élimine pas les phénomènes paranormaux comme l'ESP et la projection astrale, il les considère juste comme « des tours d'animaux », non pertinents pour la recherche de l'Illumination. Mais ce n'était pas la recherche de l'Illumination qui a fait que j'ai laissé passer cette occasion qui n'arrive qu'une fois dans une vie. C'était le sexe, les drogues, et le basket-ball.
Après vingt ans de mariage, Carol et moi avions finalement établi une relation sexuelle merveilleuse. La sorcellerie valait-elle le célibat? Je ne voulais même pas le vérifier. Même chose avec l'herbe. Et le top: chaque samedi après-midi durant les quatorze dernières années, j'ai joué au basket-ball de rue dans Santa Monica avec Big Steve, Matt et une bande d'autres potes. C'est le meilleur moment de ma semaine.
Parfois dans la vie on doit faire le point - Castaneda appelait cela « mettre sa merde sur la table » - et décider de ce qui est vraiment important. À ma surprise j'ai dit « non » à la magie et « oui » aux plaisirs simples de la vie.
Cela s'est avéré ne pas être un si mauvais choix. Big Steve a signé pour des leçons gratuites de sorcellerie et est allé au parc le samedi suivant. Il a dit que les exercices étaient intéressants et demandaient de la concentration, mais que rien de spécial ne s'était produit. La semaine suivante Castaneda a décommandé.
Je payais pour deux livres à la librairie de Phoenix dans Santa Monica – « La Doctrine Suprême » de Hubert Benoît (Etudes Psychologiques Dans La Pensée Zen) et « La Doctrine Zen Sans Le Mental » par le D.t. Suzuki. Ma modeste compréhension de l'Univers se résumait à ces deux volumes minces et cela semblait être un bon cadeau d'anniversaire pour mon pote Matt Neuman dont la propre métaphysique est basée sur les enseignements de Casey Stengel.
Après avoir emballé les livres, le type derrière le comptoir me remit ma carte American Express et me demanda, « Est-ce que les mots Dabo Tibi Coronam Vitae ont une quelconque signification pour vous ? » - « Non », répondis-je, « pour moi c'est du Grec. » - « En fait c'est du latin », dit le libraire. « Cela signifie ‘Je te donnerai la Couronne de la Vie’. » - « C'est une avance ? » Me suis-je demandé. « Cela vient des Révélations. C'est la devise sur les insignes de St Barde Stevens. »
« Hé ! hurlai-je, je suis allé à Barde ! » - Je sais, me répondit cet étranger apparent, qui avait été un bon ami d'université des années auparavant.
Je n'avais pas vu ou entendu parler de Mike Goth depuis 1962. La dernière chose que j'avais apprise, c'était qu'il avait épousé une héritière et qu'il apprenait à faire de la Formule Un en Europe. Maintenant, ici, il était devenu dans les années 90 le propriétaire de la très éminente librairie métaphysique de Santa Monica.
Naturellement, j'étais enchanté de voir Mike « en souvenir du bon vieux temps », mais les implications de cette rencontre chanceuse étaient pour moi magiques, karmiques, et profondes. Une pensée se précipita dans mon esprit : En retrouvant ce vieil ami, je pourrais probablement rencontrer la seule personne sur Terre que j'avais toujours été curieux de rencontrer (ayant déjà rencontré Milton Berle et Timothy Leary): L'auteur et sorcier Carlos Castaneda. Qui sait? - peut-être me prendrait-il comme apprenti.
J'ai commencé à lire les livres autobiographiques de Castaneda concernant sa rencontre avec la sorcellerie indienne yaqui et les drogues hallucinogènes au début des années 70, alors que je prenais encore de l'acide et que tout semblait possible.
J'ai toujours pu compter sur Castaneda pour quelques histoires tripantes, des conseils de bricolage magiques, et des perles de sagesse beatnik. Ses livres m'ont toujours inspiré (pendant un moment au moins) pour me bouger le cul spirituellement. « Voir, les enseignements d'un sorcier Yaqui », et « Le Voyage à Ixtlan » faisaient vibrer des cordes profondes dans mon cerveau droit, tandis que mon cerveau gauche continuait à maugréer, « Est-ce que ce type dit vrai, ou quoi ? »
Dans ses premiers livres, le jeune Carlos se présente comme un preneur de notes ballot, un natif Brésilien, étudiant gradué d'UCLA, travaillant à son doctorat en Sociologie, et qui s'avère justement tomber sur don Juan Matus, un brujo (sorcier) du Mexique dont la lignée magique pourrait être retracée depuis les Toltèques.
Mais maintenant, après trois décennies d'étude de mystères magiques, Castaneda pouvait se réclamer d'avoir une certaine mesure de compréhension et la capacité d'exécuter certains exploits de sorcellerie ; comme projeter son « corps de rêve » dans Westwood (et - on peut le présumer - au-delà) ; visitant certaines personnes à une heure et à une date prescrites dans leurs rêves ; et même se balader avec ses camarades magiciens dans les cinq (ou sept) mondes qui sont disponibles pour les « oeufs lumineux/humains » que nous sommes.
« Dis Mike », dis-je, après que nous ayons bavardé pendant quelque temps, « J'ai lu un article dans l'hebdomadaire de L.A par Michael Ventura. Il dit qu'il a assisté à une conférence de Carlos Castaneda ici. »
« Ouais, il y a environ un an. En fait, tout ce que le type a fait c'était répondre aux questions de l'audience. Je ne suis pas un grand fan de Castaneda, mais il était assez intéressant. »
Je dis à Mike de m'inclure si jamais l'auteur légendaire était de retour. Comme par magie, plusieurs semaines plus tard, le téléphone sonna. C'était un employé de la librairie Phoenix : Castaneda répondrait à nouveau à des questions cette nuit.
Dans la salle minuscule du sous-sol s'était entassée une quarantaine d'intellectuels style Californien comme moi, assis sur des chaises pliantes. Carlos Castaneda descendit les escaliers du sous-sol, il portait une veste de sport d'un brun indéfinissable, une chemise ouverte au cou, et un pantalon informe - un homme plus petit et plus âgé que ce que j'avais prévu.
J'avais entendu dire quelque part que Castaneda était un étudiant en kick-boxing, en se tenant devant nous, il avait l'air solide et digne. Un homme d'environ soixante ans, il aurait pu être un ancien combattant de poids moyens, ou un entraîneur de football sud-américain. Sa présence était intense et, la plupart du temps, sérieuse mais pas sereine ni suffisante.
Pour ceux qui n'avaient pas lu ses livres, il esquissa son histoire peu commune : Pendant ses études universitaires, il avait trébuché dans quelque chose d'extraordinaire, d'à peine croyable, il était devenu fasciné; maintenant c'était la force conductrice de sa vie.
Attentif au maximum, j'essayai puissamment de déterminer si ce conteur d'histoires extraordinaires disait la vérité. Il ne semblait pas être bidon ou cinglé. Le scepticisme doit être un risque professionnel pour les sorciers ; il a immédiatement abordé la question de savoir si ses écrits étaient des faits ou de la fiction. Il a dit qu'ils étaient réels et honnêtes.
Il précisa qu'il n'avait rien à gagner à fabriquer des mensonges. Il n'était pas intéressé par les disciples, la renommée, ou la fortune. Il avait consacré sa vie à essayer de comprendre certains mystères et il s'était engagé sur « le chemin du guerrier ». Cela signifiait pour lui une vie d'autodiscipline totale et d'austérité extrême : aucune épouse, aucune famille, aucune carrière académique, aucun statut de célébrité en tant qu'auteur (aucune tournée promotionnelle pour ses livres, aucune groupie, aucune flatterie, aucun verre d'alcool, aucune drogue). Ne devrait-il pas être un fou ou un imbécile pour renoncer à tous les avantages et les plaisirs de la vie juste pour tromper un public indifférent qui connaissait à peine son nom et n'avait jamais vu son visage?
Castaneda nous indiqua qu'il avait récemment assisté à une réunion avec un ami dans la maison d'un professeur d'UCLA. Quelqu'un mentionna que le célèbre auteur Carlos Castaneda était dans la pièce d'à côté. « Oh, vraiment », a dit le vrai Carlos. « J'aimerais le rencontrer. »
Entouré d’admirateurs, un type arrogant et suffisant se tenait au milieu de la pièce. (Castaneda imita pour nous l'expression suffisante de l'imposteur.) Il écouta l'homme – « Un connard total » - qui bafouilla quelque chose sur « les coutumes des Yaquis de Sonora » ; mais il ne se présenta pas et parti peu après.
L'expérience semblait avoir amusé et gêné « notre » Carlos Castaneda. Il continua en expliquant que la suffisance et la sorcellerie n'étaient pas compatibles par nature. Il dit que don Juan, son guide spirituel et professeur, l'avait incité à renoncer à son appartement scolaire, à sa position et à ses fantaisies, pour travailler comme cuisinier dans une gargotte graisseuse, et vivre dans une chambre louée pendant des années afin de lui faire surmonter ses propres sentiments de suffisance.
La plupart des choses que Castaneda énonça ce soir-là, je les connaissais déjà de ses huit derniers ouvrages. Il finit en disant que répondre à nos questions était stimulant et utile pour sa mémoire. Est-ce que cela intéresserait quelqu'un de participer à nouveau à une réunion comme celle-ci ? Moi et environ vingt autres avons mis nos noms sur une liste. Un mois plus tard nous étions de retour dans le sous-sol de la librairie Phoenix. Cette fois j'avais amené mon épouse, Carol. J'avais besoin d'une seconde opinion.
La salle était plus comble cette fois, et la foule était bien plus informée. Quelqu'un demanda, « Comment est-il possible que le corps de rêve sorte et voit des personnes et des choses dans le monde physique si le corps physique est resté derrière ? » Castaneda répondit que c'est « la mémoire de la rétine » qui permet au corps de rêve de voir.
« Quel est votre avis sur les divers gourous d'Inde et d'ailleurs dont les enseignements et les techniques de méditation sont si populaires aux Etats-Unis ? » Castaneda répondit qu'il avait passé un an à chercher ces maîtres, des yogis, et des incarnations auto-proclamées de Dieu. Il avait trouvé qu'ils étaient tous, sans exception, des égomaniaques enragés.
« A-t-on besoin d'un professeur ? » - « Non », dit-il. « Ce qui est vraiment important c'est son dévouement et l'autodiscipline. » Il a parlé de sa propre préoccupation étant jeune concernant le sexe, la séduction, et la recherche de l'amour. À un moment de sa vie, il dit que tout ce qu'il pouvait penser, tout ce qui le préoccupait était « Jane ou Myra, Myra ou Jane ? »
Je levai la main et demandai à Castaneda si on devait être célibataire si on souhaitait pratiquer la sorcellerie. Ma question sembla l'embarrasser, il toussa avant de répondre. Il expliqua que le niveau d'énergie qu'une personne a durant toute sa vie dépend de la quantité de passion apportée par l'acte sexuel au moment de sa conception. Puisque son père était vieux et sexuellement désintéressé par sa mère, le niveau d'énergie de Carlos avait toujours été très bas.
Sur le chemin du retour, je demandai à Carol ce qu'elle pensait de Carlos Castaneda. Elle n'était pas du tout impressionnée. Plusieurs femmes de son groupe d'aérobic se faisaient des extras en rééquilibrant les chakras. Une de ses amies faisait de la thérapie avec les cristaux, et une autre combinait le rebirth avec la réflexologie plantaire. Là où nous vivons, nous pouvons voir sur le haut de la colline, le manoir du Maharaji. Et parfois, quand tout va bien, on peut voir Shirley MacLaine faire ses emplettes au supermarché du coin.
Il s'écoula deux mois avant le prochain appel en provenance de Phoenix. Carol ne voulait pas venir, alors j'emmenai Big Steve, un copain de basket-ball psychothérapeute qui a un intérêt semblable au mien pour la métaphysique. Carlos Castaneda apparut avec un bandage de gaze enroulé autour de sa main droite. Il avait besoin de quelques volontaires, des gens qui voulaient sincèrement en apprendre plus au sujet de la sorcellerie.
Il dit que seul, on peut juste aller très loin, mais qu'un groupe d'au moins huit personnes est capable de produire des résultats impressionnants. Comme analogie, il nous dit que si on mettait moins de cinquante-deux fourmis dans une ferme de fourmis, le comportement des fourmis était désorganisé et chaotique, mais s'il y en avait cinquante-deux ou plus, les fourmis abordaient leurs activités selon un mode ordonné et productif. « Une masse critique » doit être atteinte.
Castaneda voulait qu'un groupe se réunisse une fois par semaine, le samedi après-midi, au parc local, pour pratiquer quelques mouvements qui ressemblaient au Tai Chi. Pas de femmes enceintes, pas de toxicomanes. Pas d'emmerdeurs. Pas de cinglés.
Il avait appris ces exercices d'une façon ou d'une autre de Lo Ban (Lujan), un herboriste Chinois qui était devenu un brujo - et faisait parti de l'ancienne lignée de don Juan – au Mexique durant les années 1870. Lo Ban, nous dit Castaneda, possédait un entrepôt dans lequel il y avait cinquante-trois barils contenant des mixtures d'herbes chinoises. Quand quelqu'un était malade, il allait à l'entrepôt de Lo Ban. Celui-ci diagnostiquait le problème et la personne devait grimper dans l'un des barils et y tremper pendant plusieurs heures ou plusieurs jours. Lo Ban s'était fait cueillir dans la rue par son « benefactor », effrayé et ne pouvant retrouver ses esprits face à la magie yaqui. Puis il avait été entraîné pendant plusieurs années jusqu'à ce que lui aussi devienne un puissant sorcier.
Je levai la main. « Vous avez dit aucun toxicomane. Est-ce que cela inclue la marijuana ? »
Castaneda grimaça. Il dit que l'utilisation habituelle de n'importe quel genre de drogue est très, très nuisible et affecte la couleur de l'aura. Le café lui donne « un vert sal » ; l'herbe la fait tourner au turquoise. Le turquoise, dit-il, est vraiment la plus mauvaise couleur. (« Si vous voulez vous tuer en six jours, mettez des draps turquoises sur votre lit. ») L'aura du sorcier est « blanchâtre. »
Je dois l'admettre: Je n'ai pas signé pour être apprenti sorcier. Même si la magie de Castaneda était vraie - et je n'en suis toujours pas sûr - ce n'était pas ce que je voulais pour ma vie. L'enseignement Zen n'élimine pas les phénomènes paranormaux comme l'ESP et la projection astrale, il les considère juste comme « des tours d'animaux », non pertinents pour la recherche de l'Illumination. Mais ce n'était pas la recherche de l'Illumination qui a fait que j'ai laissé passer cette occasion qui n'arrive qu'une fois dans une vie. C'était le sexe, les drogues, et le basket-ball.
Après vingt ans de mariage, Carol et moi avions finalement établi une relation sexuelle merveilleuse. La sorcellerie valait-elle le célibat? Je ne voulais même pas le vérifier. Même chose avec l'herbe. Et le top: chaque samedi après-midi durant les quatorze dernières années, j'ai joué au basket-ball de rue dans Santa Monica avec Big Steve, Matt et une bande d'autres potes. C'est le meilleur moment de ma semaine.
Parfois dans la vie on doit faire le point - Castaneda appelait cela « mettre sa merde sur la table » - et décider de ce qui est vraiment important. À ma surprise j'ai dit « non » à la magie et « oui » aux plaisirs simples de la vie.
Cela s'est avéré ne pas être un si mauvais choix. Big Steve a signé pour des leçons gratuites de sorcellerie et est allé au parc le samedi suivant. Il a dit que les exercices étaient intéressants et demandaient de la concentration, mais que rien de spécial ne s'était produit. La semaine suivante Castaneda a décommandé.