La Révolution des Femmes
Par Rosa Coll
Il y a quelques années Octavio Paz, éminent poète et essayiste mexicain, répondit, au cours d’un entretien avec un journaliste, à une question à propos de la politique globale en affirmant que la seule révolution à venir, la seule viable, était la révolution des femmes. Ceci fut énoncé à une époque où la Perestroïka était encore en phase de construction et personne alors n’imaginait que le mur de Berlin put tomber ou que l’Union Soviétique put cesser d’être l’Union Soviétique. De quelque ordre qu’ils soient, la teneur ou la portée de cette révolution des femmes est ce qu’il nous reste à déterminer. C’est à nous de le faire pour la bonne et simple raison que nous sommes sur la terre ici et maintenant.
« Révolution » n’est pas un mot très savoureux lorsqu’il est utilisé en référence aux femmes. Quelles autres images viennent à l’esprit que celles des suffragettes, celles qui appartiennent à l’histoire ou celle de notre époque : femmes portant des chaussures à talons plats, marchant d’un air martial, portants costumes, cheveux courts sans style et affichant sur leur visage un air renfrogné ?
Comment pourrait-on ne pas s’attendre à ce que les hommes fussent effrayés ! Mais cela n’a rien à voir avec le fait d’effrayer les hommes, ou qui que ce soit d’ailleurs, et moins encore nous-mêmes. Ce qui est en jeu est une façon différente d’être au monde, une façon propre aux femmes, sans qu’il leur soit nécessaire de se transformer en hommes. C’est là que le chamanisme de la lignée de don Juan entre en scène, formulant l’intention de redéfinir la place des femmes aux côtés des hommes. Je dis intentionnellement ‘aux côtés’ et non pas « face aux hommes », à cause de la connotation conflictuelle qu’implique l’expression « face aux hommes ». Les femmes aux côtés des hommes, les hommes aux côtés des femmes, cela signifie pour les deux une nouvelle façon d’être au monde.
Rapprochement avec Martin Heidegger
Martin Heidegger est le philosophe contemporain qui a pénétré avec le plus de profondeur et de clairvoyance les caractéristiques de la disposition d’être de l’homme — homme au sens générique d’être humain. Dans son classique et dense traité intitulé ‘Être et Temps’, Heidegger décrit, étape par étape, les observations ontologiques appartenant à la façon d’être de l’homme, appelée Da-Sein (ce qui signifie Être-là). Cette forme d’être diffère de la façon d’être des objets inanimés que Heidegger appelle « ustensiles » ou « présent-à-la-main ». Dans sa description phénoménologique, il fait une analyse détaillée de la façon d’être qui se manifeste chez l’homme ou, le Da-sein. De nos jours, le terme Da-sein a acquis un sens universel, quel que soit le langage dans lequel on l’écrit ou le prononce.
Heidegger découvre trois caractéristiques ontologiques fondamentales, existentielles étant le terme employé par Heidegger : disposition, compréhension, et discours. Pour notre sujet, nous nous intéresserons à la première : la disposition. Heidegger nous montre que le Dasein n’est jamais absolument et totalement indifférent au monde, au contraire, son être-au-monde se manifeste toujours selon une certaine humeur, quelle qu’elle soit. Dans son être-au-monde, le Dasein ne peut s’empêcher d’être d’une humeur particulière, tel est le sens de disposition.
Le Da-sein est toujours « déjà dans un certain état d’esprit », un fait qui nous est si familier que nous ne le percevons pas. De manière frappante, et c’est là que nous rejoignons notre thème, les seules humeurs particulières que le philosophe allemand choisies d’analyser, parmi tant d’humeurs existantes au sein du contexte de disposition, sont la peur et l’angoisse.
Une fenêtre sur le monde chamanique de Carlos Castaneda
Le chemin vers la liberté enseignée par le nagual Carlos Castaneda est riche d’une connaissance qui comprend de nombreuses et différentes manières de le parcourir. L’une d’entre elles, par exemple, est la technique de la Récapitulation, méthode considérée comme étant de la plus haute importance. Son objectif est de ramener à la vie, de toutes les manières possibles, chacune et l’ensemble des expériences et des émotions de notre vie, en commençant par les plus récentes et en remontant aussi loin que notre mémoire nous y autorise, retournant même, si possible, jusqu’au moment de notre naissance.
Le but de cette technique est la remémoration des interactions avec l’ensemble des personnes avec lesquelles nous sommes entrés en contact, même de la manière la plus infime. Mais en réalité, ce qui importe est de revivre chaque émotion, chaque sentiment, de manière à se nettoyer soi-même au moyen d’une respiration rythmée consciente. Par cette technique, nous renvoyons à l’univers toutes les expériences de notre vie. Carlos Castaneda a dit récemment — dans le nouveau prologue de son livre « Les Enseignements de don Juan », réédité à l’occasion du trentième anniversaire de sa publication (NDT : édition américaine) — que l’univers exerce une pression sur un nombre infini d’êtres organiques et inorganiques qui le peuplent, en les forçant à accroître leur conscience, et cela, de façon à accroître sa propre conscience.
En vivant à nouveau chaque circonstance de notre vie – processus défini comme étant la Récapitulation – apparaissent de manière claire non seulement nos actions et les sentiments et émotions qui les accompagnent, mais également – et cela dans la mesure de l’étendue du processus de récapitulation – les motivations de nos actions, ou, en d’autres termes, les sentiments et les émotions qui les provoquent. C’est sans surprise que l’on rencontre le dénominateur commun qui est le moteur de nos actions, parfois obscurci au point de devenir indiscernable, et à d’autres moments pourtant parfaitement évident : la peur. La peur est permanente dans notre vie de tous les jours, que ce soit dans notre vie professionnelle ou dans nos fréquentations.
De plus, un processus complet de récapitulation à l’intérieur de nous-mêmes nous donne la capacité de percevoir la peur sous un angle plus large : jusque derrière les décisions politiques – peur de perdre le pouvoir –, et même de la découvrir cachée au sein des convoitises qui motivent les décisions macro-économiques.
La disposition d’être de l’homme : la relation entre les sexes, l’angoisse et la peur
La description phénoménologique faite par Heidegger dans le travail qui a été cité ci-dessus et dans son essai intitulé « Qu’est ce que la Métaphysique ? » qui fut écrit en premier lieu dans le dessein d’analyser l’angoisse (Angst en allemand) – mais aussi l’espoir, comme contrepartie de l’angoisse – constitue l’une des plus profondes perspectives philosophiques de la disposition d’être de l’homme. Dès lors, c’est à partir de cette solide et valeureuse base et perspective que j’aborderai le thème des rapports entre les sexes. Heidegger considère que l’humeur de l’angoisse est essentielle à l’être de l’homme (le Dasein) et que c’est précisément dans l’angoisse que l’homme peut reconnaître ce qu’est l’homme : un individu fini faisant face à l’infini. Pour échapper à ce fait l’espèce humaine se réfugie dans la frénésie de la vie de tous les jours, c’est-à-dire dans le discours stérile et l’ambiguïté au sein desquels l’esprit anonyme des « ils disent » et « ils font » devient la norme. Une telle fuite causée par l’angoisse conduit l’homme à une situation où le manque d’authenticité fait loi.
L’homme est un être de peur car il est profondément angoissé par sa situation. L’angoisse est le territoire sur lequel germe la peur. Résumons ce qui a été discuté jusqu’ici : nous avons commencé par faire référence au mode sur lequel l’homme se situe dans le monde, suivant ainsi les traces de la description phénoménologique faite par le philosophe Martin Heidegger.
Nous avons sélectionné la première caractéristique ontologique ou existentielle considérée par Heidegger comme propre à la façon dont l’être se manifeste à l’homme : la disposition. Cela signifie que l’homme se trouve toujours dans le monde selon une certaine humeur ; telle est sa façon dans le monde selon une certaine humeur ; telle est sa façon d’être-au-monde. Au sein de ce contexte, nous avons mentionné que Heidegger, dans son analyse du Dasein, étudie l’humeur de la peur soutenue par l’angoisse. De cette sorte, nous avons également vu que la tâche de récapitulation, condition sine qua none du chemin du guerrier, signale la peur comme étant la motivation principale de nos actions.
En me basant sur ce que le nagual Carlos Castaneda disait souvent, à savoir que les êtres humains diffèrent peu les uns des autres, comme si nous répondions tous à une matrice commune, dès lors, ce que je découvre au cours de ma récapitulation ne peut différer de beaucoup de ce qui est découvert par les autres individus dans leur récapitulation. Castaneda ne reconnaissait-il pas ses propres soucis et problèmes dans les enregistrements des patients réalisés par le psychologue pour lequel il travaillait ? Dans notre récapitulation, nous découvrons la présence constante de la peur ; même notre langage de tous les jours nous le confirme :
« J’ai bien peur que… », « Je crains que… », sont des expressions qui ne cessent d’apparaître dans nos conversations quotidiennes. Ainsi nous ne pouvons pas imaginer que la peur puisse être absente de nos interactions avec les mâles.
En fait, en récapitulant, nous découvrons que la peur motive nombreuses de nos décisions, grandes et petites, en ce qui concerne les hommes : « Je n’ai pas le courage de lui parler » ; « Je n’ai pas le courage de lui dire ce que je ressens » ; « Je vais le perdre » ; « Je ne peux pas lui dire maintenant, je lui parlerai plus tard » ; « Je ne vais pas commander l’entrée la plus chère du menu, même si j’aime ça, peut-être ne m’invitera-t-il plus à sortir avec lui ? » ; « Je suis fatiguée de l’écouter mais… » ; « Si je ne reste pas avec lui, qu’est-ce que je vais devenir ? Ma maison vide ? » ; « Si je ne sors pas avec lui, avec qui sortirai-je ? Est-ce que je me retrouverai seule ? »
Sur quoi la révolution des femmes porte t-elle ?
Femme et homme se trouvent l’un et l’autre sans recours au sein de la même condition ontologique : ils sont tous deux des êtres qui vont faire face à l’inconnu par eux-mêmes, tous deux des êtres qui vont mourir. Sur leur chemin, hommes et femmes s’aiment, se trompent l’un l’autre, rient et se battent, conçoivent des enfants, conçoivent des entreprises, travaillent, luttent, entrent en compétition, pas nécessairement l’un contre l’autre – ou peut-être que si ? En quoi cette révolution, que la vision acérée d’Octavio Paz a aperçue à l’horizon, consiste-t-elle ? Les révolutions ont pour la plupart été motivées par l’exaltation d’une plus grande justice. Cette révolution pourrait-elle consister à atteindre l’égalité des salaires à travail égal ? Cela peut-il être accompli en donnant aux deux sexes des chances égales ? En parvenant à une libération sexuelle ? Ce ne sont là que des transactions externes, et même si elles sont malgré tout le reflet de changements internes, il semble qu’il y ait plus à gagner qu’une conquête sociale, économique, politique et familiale déjà vigoureuse.
La véritable révolution des femmes doit venir de l’intérieur, s’étendre à l’extérieur depuis les profondeurs de leur esprit. Une réponse délivrée de la peur n’est-elle pas profondément libératrice ? Imaginez être capable de fournir la réponse appropriée au moment adéquat, que ce soit à un amant, une soeur, un patron, un collègue !
La liberté ne consiste-elle pas à cesser de ressentir la peur d’être abandonné par quelqu’un, que ce soit un ami, un gourou, une fille, un mari ? La liberté ne consiste-t-elle pas simplement à ne pas avoir peur ? La révolution des femmes doit être interne, liée d’une part à son pouvoir, d’autre part à sa liberté. Liberté et pouvoir, doubles instances qui sont deux aspects du même objet.
Liberté, affection et peur
Nous avons l’intention ici de percevoir les difficultés qui sont au coeur de la transformation du lien homme femme en lien libre. Nous parlons en termes généraux, car il existe des cas – et ils semblent être de plus en plus nombreux – de liens établis en toute liberté. Les liens d’affections sont la plupart du temps pollués par la peur. Un lien d’affection au sein duquel la peur commence à gagner du terrain –peur qui est souvent celle de la perte de l’être aimé – voit décroître son affection. Si la peur entre par une porte, l’affection sort par l’autre. La liberté est le climat approprié pour que l’affection puisse fleurir. Cela est autant valable pour la relation homme/femme que pour tout autre relation.
Le nettoyage d’un lien requiert au préalable une connaissance de nos motivations propres. Le nettoyage d’un lien avec un homme ne peut être entrepris à partir d’une cellule rigide, au sein d’une vie qui prétend d’un autre coté continuer comme elle l’a toujours fait. Le lien avec un homme, même s’il est important, n’est qu’un parmi les nombreux liens qui tissent la vie d’une femme. Le lien principal est néanmoins son lien avec elle-même, avec son propre corps, avec son propre esprit, avec sa pure essence.
Aucun changement dans le lien avec les hommes ne peut survenir si notre essence nous reste voilée, à nous les femelles ; de là le besoin de tourner notre regard en nous-mêmes. Dès que nous affinons notre capacité d’observation, nous pouvons commencer à percevoir certains modèles qui régissent notre comportement. Par exemple : « Oh, je suis si généreuse, je suis complètement détachée, je peux abandonner n’importe quoi ! Mais comme cela est étrange ! J’ai toujours un mal fou à laisser un pourboire, je ne suis jamais à l’aise, j’ai toujours l’impression d’avoir laissé trop ou pas assez, mais ça n’a jamais l’air d’être le montant correct…
Et puis, quand j’écris, j’écris avec de tout petits caractères (en dépit du fait que je ne vois pas bien) et je remplis les pages jusque dans les coins. Quelqu’un m’a dit un jour que cela est un signe d’avarice… mais cela n’est pas possible, je suis si généreuse ! »
Au cours de notre récapitulation quotidienne, nous nous voyons en train d’agir. Lorsque nous avons été capable de créer quelque chose ressemblant à un voyant à nos cotés, c’est soudainement en marchant ou en travaillant que nous nous apercevons de certaines choses, des choses connectées à nos actions présentes ou passées. Le nagual Carlos Castaneda me disait que la récapitulation forme comme un fil conducteur à nos cotés, qui nous donne la capacité de récapituler au milieu de l’acte lui-même. Par exemple, ce que nous sommes en train de faire à un moment donné, dans une situation spécifique et avec une personne spécifique nous apparaît comme étant précisément ce que nous avions fait vingt ans auparavant dans une situation apparemment différente, mais en réalité identique.
Ainsi nous voyons et découvrons notre mode particulier d’être-au-monde, notre disposition. Lorsque nous nous réveillons le matin nous sommes déjà dans une humeur particulière, qui peut être celle de l’optimisme ou du pessimisme, de la sérénité ou de l’angoisse, de la joie ou de la tristesse. Nous devons prendre conscience de ces humeurs, et être capable d’installer de nouvelles humeurs dans nos vies, qui nous appartiennent en propre et sont étrangères à nos façons traditionnelles d’être-au-monde. Nous avions ignoré jusqu’à présent l’existence de cette façon traditionnelle d’être-au-monde, car celle-ci était si habituelle qu’elle était pour nous comme une seconde peau, adaptée à nous-même comme un gant taillé sur mesure, néanmoins aussi inconfortable qu’un gant peut l’être.
Inventer une nouvelle façon d’être-au-monde
Il y a plusieurs années, au cours d’un séminaire de Tenségrité à Mexico, Kylie Lundhal fit le récit de la manière dont elle avait rencontré Florinda Donner Grau et comment Florinda lui avait dit que sa tâche consistait à se reconstruire elle-même. Elle avait expliqué que c’était comme se couper un bras et en faire pousser un autre à la place. Sa tâche était de se transformer elle-même en une autre personne qui devait être capable de se comporter aussi naturellement que l’ancienne personne. Cela consistait à s’inventer une autre manière d’être-au-monde. « Cela ne veut pas dire que je parviendrai à ajouter un centimètre à ma taille » disait le nagual Carlos Castaneda, il y a des choses qu’on ne peut pas changer. Néanmoins, Kylie devait être dans le monde d’une manière différente.
Telle est aussi notre tâche, cela incluant la reconstruction de nos liens avec les hommes. Ainsi nos décisions vis-à-vis des hommes ne trouveront plus de motivations comme: « Je veux être avec lui parce que je ne peux pas être seule » ou « Je veux un enfant parce que je ne sais pas quoi faire de ma vie ».
Notre nouveau bras, notre nouvelle disposition pourrait être l’affection, pourquoi pas ? Une affection véritable, authentique, et profonde. Une affection abstraite, où le terme abstraite devient pratiquement synonyme d’humeur, au sens où elle ne s’adresse à aucun être en particulier, mais à tout ce qui nous entoure, aussi minuscule ou incongru qu’il puisse paraître, et où le terme affection devient quasi synonyme de gratitude : un sentiment qui englobe tout, qui n’exclue même pas nos barrières les plus ardues.
De cette façon, affection et gratitude ensemble, réveillent le coeur d’une même chaleur. Tel est le terreau propice aux liens d’affections, ainsi qu’à la collaboration, à la compréhension et à l’honnêteté. Le nagual Carlos Castaneda disait que la plupart d’entre nous se considèrent comme étant immortel, au sens où nous ne prenons jamais la mort comme conseillère. Nous pensons toujours que la mort est si éloignée qu’elle ne viendra jamais nous frapper.
Sans aucun doute la croyance en notre immortalité ne nous pousse pas à changer. La timidité toute puissante de l’être immortel proclame : « Pourquoi faire aujourd’hui ce que je pourrais faire demain ? J’ai tellement de temps, pourquoi me presser ? » Le sorcier accompli maintenant ce qu’il doit accomplir.
Une pièce infinie faite de quatre murs
Il est nécessaire de nettoyer le lien entre hommes et femmes de la peur et du ressentiment qui s’y sont mêlés. Comment pourrait-on partager un bureau, une chambre ou un lit avec quelqu’un dont on a peur ou qui a peur de nous?
Comme l’espace laissé par une humeur ne reste jamais vide, et qu’il n’est rempli que par une autre humeur, seul le courage peut nous permettre de remplacer la peur. De la même façon que l’affection s’éloigne lorsque la peur arrive, elle revient dès que le courage apparaît. Courage et affection vont de paire. Nous devons nous demander : le courage de quoi ?
Le courage pour les femmes d’être et de nous montrer telles que nous sommes vraiment, et le courage d’agir en accord avec nos propres sentiments et nos propres désirs. Ainsi nous retrouvons notre pouvoir, sans l’avoir pris à quiconque, sans l’avoir pris aux hommes. Notre pouvoir n’est utile qu’à nous-mêmes, et à personne d’autre. Le fait que nous n’en faisions pas usage ne signifie pas que les autres puissent s’en servir, il était simplement endormi en nous-mêmes.
Le pouvoir possède une caractéristique illogique : si notre pouvoir se retire, cela ne se produit pas au détriment du pouvoir authentique des autres, mais au contraire, leur pouvoir authentique s’accroît si nous faisons croître le nôtre. Le pouvoir et l’affection se conduisent de manière similaire. Donner de l’affection ne l’appauvrie pas. Au contraire, plus nous donnons d’affection et plus nous en ressentons, plus elle s’accroît, jusqu’à devenir l'unique raison de notre existence.
La connexion entre le plus haut degré d’affection et le plus haut degré de pouvoir dissout les pensées autodestructrices comme « c’est impossible » ainsi que les pensées d’autocontemplation comme « ce n’est pas convenable », aussi bien que les doutes et les réserves de même ordre qui nous hantent le plus souvent. En présence de l’affection, le pouvoir n’a pas besoin de règles ; l’affection conduit le pouvoir tel un guide naturel et génère le courage nécessaire.
Une joie profonde, authentique et réparatrice peut grandir au coeur de cette mosaïque. La joie du pouvoir d’avoir été capable de le faire, quoi que nous fussions en train de faire. Quelle révolution ! : devenir celle qui embrasse et pas seulement celle qui se fait embrasser !
Les femmes peuvent construire leur propre pièce de liberté avec quatre murs : affection, pouvoir, courage et joie. Cette pièce peut être infinie. Les hommes peuvent en construire une aussi. En fait, hommes et femmes ensemble peuvent habiter la même pièce infinie.
Par Rosa Coll
Il y a quelques années Octavio Paz, éminent poète et essayiste mexicain, répondit, au cours d’un entretien avec un journaliste, à une question à propos de la politique globale en affirmant que la seule révolution à venir, la seule viable, était la révolution des femmes. Ceci fut énoncé à une époque où la Perestroïka était encore en phase de construction et personne alors n’imaginait que le mur de Berlin put tomber ou que l’Union Soviétique put cesser d’être l’Union Soviétique. De quelque ordre qu’ils soient, la teneur ou la portée de cette révolution des femmes est ce qu’il nous reste à déterminer. C’est à nous de le faire pour la bonne et simple raison que nous sommes sur la terre ici et maintenant.
« Révolution » n’est pas un mot très savoureux lorsqu’il est utilisé en référence aux femmes. Quelles autres images viennent à l’esprit que celles des suffragettes, celles qui appartiennent à l’histoire ou celle de notre époque : femmes portant des chaussures à talons plats, marchant d’un air martial, portants costumes, cheveux courts sans style et affichant sur leur visage un air renfrogné ?
Comment pourrait-on ne pas s’attendre à ce que les hommes fussent effrayés ! Mais cela n’a rien à voir avec le fait d’effrayer les hommes, ou qui que ce soit d’ailleurs, et moins encore nous-mêmes. Ce qui est en jeu est une façon différente d’être au monde, une façon propre aux femmes, sans qu’il leur soit nécessaire de se transformer en hommes. C’est là que le chamanisme de la lignée de don Juan entre en scène, formulant l’intention de redéfinir la place des femmes aux côtés des hommes. Je dis intentionnellement ‘aux côtés’ et non pas « face aux hommes », à cause de la connotation conflictuelle qu’implique l’expression « face aux hommes ». Les femmes aux côtés des hommes, les hommes aux côtés des femmes, cela signifie pour les deux une nouvelle façon d’être au monde.
Rapprochement avec Martin Heidegger
Martin Heidegger est le philosophe contemporain qui a pénétré avec le plus de profondeur et de clairvoyance les caractéristiques de la disposition d’être de l’homme — homme au sens générique d’être humain. Dans son classique et dense traité intitulé ‘Être et Temps’, Heidegger décrit, étape par étape, les observations ontologiques appartenant à la façon d’être de l’homme, appelée Da-Sein (ce qui signifie Être-là). Cette forme d’être diffère de la façon d’être des objets inanimés que Heidegger appelle « ustensiles » ou « présent-à-la-main ». Dans sa description phénoménologique, il fait une analyse détaillée de la façon d’être qui se manifeste chez l’homme ou, le Da-sein. De nos jours, le terme Da-sein a acquis un sens universel, quel que soit le langage dans lequel on l’écrit ou le prononce.
Heidegger découvre trois caractéristiques ontologiques fondamentales, existentielles étant le terme employé par Heidegger : disposition, compréhension, et discours. Pour notre sujet, nous nous intéresserons à la première : la disposition. Heidegger nous montre que le Dasein n’est jamais absolument et totalement indifférent au monde, au contraire, son être-au-monde se manifeste toujours selon une certaine humeur, quelle qu’elle soit. Dans son être-au-monde, le Dasein ne peut s’empêcher d’être d’une humeur particulière, tel est le sens de disposition.
Le Da-sein est toujours « déjà dans un certain état d’esprit », un fait qui nous est si familier que nous ne le percevons pas. De manière frappante, et c’est là que nous rejoignons notre thème, les seules humeurs particulières que le philosophe allemand choisies d’analyser, parmi tant d’humeurs existantes au sein du contexte de disposition, sont la peur et l’angoisse.
Une fenêtre sur le monde chamanique de Carlos Castaneda
Le chemin vers la liberté enseignée par le nagual Carlos Castaneda est riche d’une connaissance qui comprend de nombreuses et différentes manières de le parcourir. L’une d’entre elles, par exemple, est la technique de la Récapitulation, méthode considérée comme étant de la plus haute importance. Son objectif est de ramener à la vie, de toutes les manières possibles, chacune et l’ensemble des expériences et des émotions de notre vie, en commençant par les plus récentes et en remontant aussi loin que notre mémoire nous y autorise, retournant même, si possible, jusqu’au moment de notre naissance.
Le but de cette technique est la remémoration des interactions avec l’ensemble des personnes avec lesquelles nous sommes entrés en contact, même de la manière la plus infime. Mais en réalité, ce qui importe est de revivre chaque émotion, chaque sentiment, de manière à se nettoyer soi-même au moyen d’une respiration rythmée consciente. Par cette technique, nous renvoyons à l’univers toutes les expériences de notre vie. Carlos Castaneda a dit récemment — dans le nouveau prologue de son livre « Les Enseignements de don Juan », réédité à l’occasion du trentième anniversaire de sa publication (NDT : édition américaine) — que l’univers exerce une pression sur un nombre infini d’êtres organiques et inorganiques qui le peuplent, en les forçant à accroître leur conscience, et cela, de façon à accroître sa propre conscience.
En vivant à nouveau chaque circonstance de notre vie – processus défini comme étant la Récapitulation – apparaissent de manière claire non seulement nos actions et les sentiments et émotions qui les accompagnent, mais également – et cela dans la mesure de l’étendue du processus de récapitulation – les motivations de nos actions, ou, en d’autres termes, les sentiments et les émotions qui les provoquent. C’est sans surprise que l’on rencontre le dénominateur commun qui est le moteur de nos actions, parfois obscurci au point de devenir indiscernable, et à d’autres moments pourtant parfaitement évident : la peur. La peur est permanente dans notre vie de tous les jours, que ce soit dans notre vie professionnelle ou dans nos fréquentations.
De plus, un processus complet de récapitulation à l’intérieur de nous-mêmes nous donne la capacité de percevoir la peur sous un angle plus large : jusque derrière les décisions politiques – peur de perdre le pouvoir –, et même de la découvrir cachée au sein des convoitises qui motivent les décisions macro-économiques.
La disposition d’être de l’homme : la relation entre les sexes, l’angoisse et la peur
La description phénoménologique faite par Heidegger dans le travail qui a été cité ci-dessus et dans son essai intitulé « Qu’est ce que la Métaphysique ? » qui fut écrit en premier lieu dans le dessein d’analyser l’angoisse (Angst en allemand) – mais aussi l’espoir, comme contrepartie de l’angoisse – constitue l’une des plus profondes perspectives philosophiques de la disposition d’être de l’homme. Dès lors, c’est à partir de cette solide et valeureuse base et perspective que j’aborderai le thème des rapports entre les sexes. Heidegger considère que l’humeur de l’angoisse est essentielle à l’être de l’homme (le Dasein) et que c’est précisément dans l’angoisse que l’homme peut reconnaître ce qu’est l’homme : un individu fini faisant face à l’infini. Pour échapper à ce fait l’espèce humaine se réfugie dans la frénésie de la vie de tous les jours, c’est-à-dire dans le discours stérile et l’ambiguïté au sein desquels l’esprit anonyme des « ils disent » et « ils font » devient la norme. Une telle fuite causée par l’angoisse conduit l’homme à une situation où le manque d’authenticité fait loi.
L’homme est un être de peur car il est profondément angoissé par sa situation. L’angoisse est le territoire sur lequel germe la peur. Résumons ce qui a été discuté jusqu’ici : nous avons commencé par faire référence au mode sur lequel l’homme se situe dans le monde, suivant ainsi les traces de la description phénoménologique faite par le philosophe Martin Heidegger.
Nous avons sélectionné la première caractéristique ontologique ou existentielle considérée par Heidegger comme propre à la façon dont l’être se manifeste à l’homme : la disposition. Cela signifie que l’homme se trouve toujours dans le monde selon une certaine humeur ; telle est sa façon dans le monde selon une certaine humeur ; telle est sa façon d’être-au-monde. Au sein de ce contexte, nous avons mentionné que Heidegger, dans son analyse du Dasein, étudie l’humeur de la peur soutenue par l’angoisse. De cette sorte, nous avons également vu que la tâche de récapitulation, condition sine qua none du chemin du guerrier, signale la peur comme étant la motivation principale de nos actions.
En me basant sur ce que le nagual Carlos Castaneda disait souvent, à savoir que les êtres humains diffèrent peu les uns des autres, comme si nous répondions tous à une matrice commune, dès lors, ce que je découvre au cours de ma récapitulation ne peut différer de beaucoup de ce qui est découvert par les autres individus dans leur récapitulation. Castaneda ne reconnaissait-il pas ses propres soucis et problèmes dans les enregistrements des patients réalisés par le psychologue pour lequel il travaillait ? Dans notre récapitulation, nous découvrons la présence constante de la peur ; même notre langage de tous les jours nous le confirme :
« J’ai bien peur que… », « Je crains que… », sont des expressions qui ne cessent d’apparaître dans nos conversations quotidiennes. Ainsi nous ne pouvons pas imaginer que la peur puisse être absente de nos interactions avec les mâles.
En fait, en récapitulant, nous découvrons que la peur motive nombreuses de nos décisions, grandes et petites, en ce qui concerne les hommes : « Je n’ai pas le courage de lui parler » ; « Je n’ai pas le courage de lui dire ce que je ressens » ; « Je vais le perdre » ; « Je ne peux pas lui dire maintenant, je lui parlerai plus tard » ; « Je ne vais pas commander l’entrée la plus chère du menu, même si j’aime ça, peut-être ne m’invitera-t-il plus à sortir avec lui ? » ; « Je suis fatiguée de l’écouter mais… » ; « Si je ne reste pas avec lui, qu’est-ce que je vais devenir ? Ma maison vide ? » ; « Si je ne sors pas avec lui, avec qui sortirai-je ? Est-ce que je me retrouverai seule ? »
Sur quoi la révolution des femmes porte t-elle ?
Femme et homme se trouvent l’un et l’autre sans recours au sein de la même condition ontologique : ils sont tous deux des êtres qui vont faire face à l’inconnu par eux-mêmes, tous deux des êtres qui vont mourir. Sur leur chemin, hommes et femmes s’aiment, se trompent l’un l’autre, rient et se battent, conçoivent des enfants, conçoivent des entreprises, travaillent, luttent, entrent en compétition, pas nécessairement l’un contre l’autre – ou peut-être que si ? En quoi cette révolution, que la vision acérée d’Octavio Paz a aperçue à l’horizon, consiste-t-elle ? Les révolutions ont pour la plupart été motivées par l’exaltation d’une plus grande justice. Cette révolution pourrait-elle consister à atteindre l’égalité des salaires à travail égal ? Cela peut-il être accompli en donnant aux deux sexes des chances égales ? En parvenant à une libération sexuelle ? Ce ne sont là que des transactions externes, et même si elles sont malgré tout le reflet de changements internes, il semble qu’il y ait plus à gagner qu’une conquête sociale, économique, politique et familiale déjà vigoureuse.
La véritable révolution des femmes doit venir de l’intérieur, s’étendre à l’extérieur depuis les profondeurs de leur esprit. Une réponse délivrée de la peur n’est-elle pas profondément libératrice ? Imaginez être capable de fournir la réponse appropriée au moment adéquat, que ce soit à un amant, une soeur, un patron, un collègue !
La liberté ne consiste-elle pas à cesser de ressentir la peur d’être abandonné par quelqu’un, que ce soit un ami, un gourou, une fille, un mari ? La liberté ne consiste-t-elle pas simplement à ne pas avoir peur ? La révolution des femmes doit être interne, liée d’une part à son pouvoir, d’autre part à sa liberté. Liberté et pouvoir, doubles instances qui sont deux aspects du même objet.
Liberté, affection et peur
Nous avons l’intention ici de percevoir les difficultés qui sont au coeur de la transformation du lien homme femme en lien libre. Nous parlons en termes généraux, car il existe des cas – et ils semblent être de plus en plus nombreux – de liens établis en toute liberté. Les liens d’affections sont la plupart du temps pollués par la peur. Un lien d’affection au sein duquel la peur commence à gagner du terrain –peur qui est souvent celle de la perte de l’être aimé – voit décroître son affection. Si la peur entre par une porte, l’affection sort par l’autre. La liberté est le climat approprié pour que l’affection puisse fleurir. Cela est autant valable pour la relation homme/femme que pour tout autre relation.
Le nettoyage d’un lien requiert au préalable une connaissance de nos motivations propres. Le nettoyage d’un lien avec un homme ne peut être entrepris à partir d’une cellule rigide, au sein d’une vie qui prétend d’un autre coté continuer comme elle l’a toujours fait. Le lien avec un homme, même s’il est important, n’est qu’un parmi les nombreux liens qui tissent la vie d’une femme. Le lien principal est néanmoins son lien avec elle-même, avec son propre corps, avec son propre esprit, avec sa pure essence.
Aucun changement dans le lien avec les hommes ne peut survenir si notre essence nous reste voilée, à nous les femelles ; de là le besoin de tourner notre regard en nous-mêmes. Dès que nous affinons notre capacité d’observation, nous pouvons commencer à percevoir certains modèles qui régissent notre comportement. Par exemple : « Oh, je suis si généreuse, je suis complètement détachée, je peux abandonner n’importe quoi ! Mais comme cela est étrange ! J’ai toujours un mal fou à laisser un pourboire, je ne suis jamais à l’aise, j’ai toujours l’impression d’avoir laissé trop ou pas assez, mais ça n’a jamais l’air d’être le montant correct…
Et puis, quand j’écris, j’écris avec de tout petits caractères (en dépit du fait que je ne vois pas bien) et je remplis les pages jusque dans les coins. Quelqu’un m’a dit un jour que cela est un signe d’avarice… mais cela n’est pas possible, je suis si généreuse ! »
Au cours de notre récapitulation quotidienne, nous nous voyons en train d’agir. Lorsque nous avons été capable de créer quelque chose ressemblant à un voyant à nos cotés, c’est soudainement en marchant ou en travaillant que nous nous apercevons de certaines choses, des choses connectées à nos actions présentes ou passées. Le nagual Carlos Castaneda me disait que la récapitulation forme comme un fil conducteur à nos cotés, qui nous donne la capacité de récapituler au milieu de l’acte lui-même. Par exemple, ce que nous sommes en train de faire à un moment donné, dans une situation spécifique et avec une personne spécifique nous apparaît comme étant précisément ce que nous avions fait vingt ans auparavant dans une situation apparemment différente, mais en réalité identique.
Ainsi nous voyons et découvrons notre mode particulier d’être-au-monde, notre disposition. Lorsque nous nous réveillons le matin nous sommes déjà dans une humeur particulière, qui peut être celle de l’optimisme ou du pessimisme, de la sérénité ou de l’angoisse, de la joie ou de la tristesse. Nous devons prendre conscience de ces humeurs, et être capable d’installer de nouvelles humeurs dans nos vies, qui nous appartiennent en propre et sont étrangères à nos façons traditionnelles d’être-au-monde. Nous avions ignoré jusqu’à présent l’existence de cette façon traditionnelle d’être-au-monde, car celle-ci était si habituelle qu’elle était pour nous comme une seconde peau, adaptée à nous-même comme un gant taillé sur mesure, néanmoins aussi inconfortable qu’un gant peut l’être.
Inventer une nouvelle façon d’être-au-monde
Il y a plusieurs années, au cours d’un séminaire de Tenségrité à Mexico, Kylie Lundhal fit le récit de la manière dont elle avait rencontré Florinda Donner Grau et comment Florinda lui avait dit que sa tâche consistait à se reconstruire elle-même. Elle avait expliqué que c’était comme se couper un bras et en faire pousser un autre à la place. Sa tâche était de se transformer elle-même en une autre personne qui devait être capable de se comporter aussi naturellement que l’ancienne personne. Cela consistait à s’inventer une autre manière d’être-au-monde. « Cela ne veut pas dire que je parviendrai à ajouter un centimètre à ma taille » disait le nagual Carlos Castaneda, il y a des choses qu’on ne peut pas changer. Néanmoins, Kylie devait être dans le monde d’une manière différente.
Telle est aussi notre tâche, cela incluant la reconstruction de nos liens avec les hommes. Ainsi nos décisions vis-à-vis des hommes ne trouveront plus de motivations comme: « Je veux être avec lui parce que je ne peux pas être seule » ou « Je veux un enfant parce que je ne sais pas quoi faire de ma vie ».
Notre nouveau bras, notre nouvelle disposition pourrait être l’affection, pourquoi pas ? Une affection véritable, authentique, et profonde. Une affection abstraite, où le terme abstraite devient pratiquement synonyme d’humeur, au sens où elle ne s’adresse à aucun être en particulier, mais à tout ce qui nous entoure, aussi minuscule ou incongru qu’il puisse paraître, et où le terme affection devient quasi synonyme de gratitude : un sentiment qui englobe tout, qui n’exclue même pas nos barrières les plus ardues.
De cette façon, affection et gratitude ensemble, réveillent le coeur d’une même chaleur. Tel est le terreau propice aux liens d’affections, ainsi qu’à la collaboration, à la compréhension et à l’honnêteté. Le nagual Carlos Castaneda disait que la plupart d’entre nous se considèrent comme étant immortel, au sens où nous ne prenons jamais la mort comme conseillère. Nous pensons toujours que la mort est si éloignée qu’elle ne viendra jamais nous frapper.
Sans aucun doute la croyance en notre immortalité ne nous pousse pas à changer. La timidité toute puissante de l’être immortel proclame : « Pourquoi faire aujourd’hui ce que je pourrais faire demain ? J’ai tellement de temps, pourquoi me presser ? » Le sorcier accompli maintenant ce qu’il doit accomplir.
Une pièce infinie faite de quatre murs
Il est nécessaire de nettoyer le lien entre hommes et femmes de la peur et du ressentiment qui s’y sont mêlés. Comment pourrait-on partager un bureau, une chambre ou un lit avec quelqu’un dont on a peur ou qui a peur de nous?
Comme l’espace laissé par une humeur ne reste jamais vide, et qu’il n’est rempli que par une autre humeur, seul le courage peut nous permettre de remplacer la peur. De la même façon que l’affection s’éloigne lorsque la peur arrive, elle revient dès que le courage apparaît. Courage et affection vont de paire. Nous devons nous demander : le courage de quoi ?
Le courage pour les femmes d’être et de nous montrer telles que nous sommes vraiment, et le courage d’agir en accord avec nos propres sentiments et nos propres désirs. Ainsi nous retrouvons notre pouvoir, sans l’avoir pris à quiconque, sans l’avoir pris aux hommes. Notre pouvoir n’est utile qu’à nous-mêmes, et à personne d’autre. Le fait que nous n’en faisions pas usage ne signifie pas que les autres puissent s’en servir, il était simplement endormi en nous-mêmes.
Le pouvoir possède une caractéristique illogique : si notre pouvoir se retire, cela ne se produit pas au détriment du pouvoir authentique des autres, mais au contraire, leur pouvoir authentique s’accroît si nous faisons croître le nôtre. Le pouvoir et l’affection se conduisent de manière similaire. Donner de l’affection ne l’appauvrie pas. Au contraire, plus nous donnons d’affection et plus nous en ressentons, plus elle s’accroît, jusqu’à devenir l'unique raison de notre existence.
La connexion entre le plus haut degré d’affection et le plus haut degré de pouvoir dissout les pensées autodestructrices comme « c’est impossible » ainsi que les pensées d’autocontemplation comme « ce n’est pas convenable », aussi bien que les doutes et les réserves de même ordre qui nous hantent le plus souvent. En présence de l’affection, le pouvoir n’a pas besoin de règles ; l’affection conduit le pouvoir tel un guide naturel et génère le courage nécessaire.
Une joie profonde, authentique et réparatrice peut grandir au coeur de cette mosaïque. La joie du pouvoir d’avoir été capable de le faire, quoi que nous fussions en train de faire. Quelle révolution ! : devenir celle qui embrasse et pas seulement celle qui se fait embrasser !
Les femmes peuvent construire leur propre pièce de liberté avec quatre murs : affection, pouvoir, courage et joie. Cette pièce peut être infinie. Les hommes peuvent en construire une aussi. En fait, hommes et femmes ensemble peuvent habiter la même pièce infinie.