Séminaire de Mexico – Mai 1995
Un séminaire de Tenségrité fut donné le week-end dernier à Mexico City à l’hôtel Sheraton Maria Isabel, dans le cœur de la ville. Les trois Chacmools, ainsi que Florinda Donner, Taisha Abelar et Carol Tiggs étaient présentes. L’événement attira environ mille personnes, et consista en trois conférences données en soirée (le vendredi par Carol, le samedi par Taïsha et le dimanche par Florinda), et de deux sessions de Tenségrité, une session le samedi pour cinq cent personnes, et une autre le dimanche pour les cinq cent autres.
Conférence de Carol Tiggs
La grande salle de bal qui avait été louée à l’hôtel pour l’occasion était bondée. Environ mille personnes s’y trouvaient, car ils avaient laissé entrer les gens sans ticket ce jour là. Le groupe (Florinda, Taisha, Carol, Kylie, Renata, Nyei et deux autres de leurs associés) arriva. Carol et un traducteur s’assirent sur la scène et les autres restèrent dans les deux premières rangées qui leur étaient réservées, juste en face de la scène. Carol commença la conférence en se présentant aux gens, et récita un poème en espagnol, puis en anglais, qui attira l’attention de tout le monde, et qui donnait à peu près ceci :
Donnez-moi, mon Dieu, ce qui vous reste
Donnez-moi ce qu'on ne vous demande jamais.
Je ne vous demande pas le repos
Ni la tranquillité
Ni celle de l'âme, ni celle du corps.
Je ne vous demande pas la richesse
Ni le succès, ni même la santé.
Tout ça, mon Dieu, on vous le demande tellement
Que vous ne devez plus en avoir.
Donnez-moi, mon Dieu, ce qui vous reste.
Donnez-moi ce que l'on vous refuse.
Je veux l'insécurité et l'inquiétude.
Je veux la tourmente et le combat
Et que vous me les donniez, mon Dieu, définitivement.
Que je sois sûr de les avoir toujours,
Car je n'aurai pas toujours le courage
De vous les demander.
Donnez-moi, mon Dieu, ce qui vous reste.
Donnez-moi ce dont les autres ne veulent pas.
Mais donnez-moi aussi le courage
Et la force et la Foi.
(« La Prière du Parachutiste », André Zirnheld)
Ensuite, elle parla de sa première rencontre avec Carlos Castaneda au parc Alameda à Mexico City, et de comment don Juan l’avait accroché avec un rot sonore, puis avec ses yeux, et lui avait fait savoir qu’elle était une femme double, et que Carlos Castaneda était énergétiquement identique à elle. Puis elle nous parla de sa disparition pendant plus de dix ans de ce monde, et elle dit que pour elle, cela avait été comme un rêve, mais que le temps avait perdu sa signification durant cet événement.
« Lorsque je suis revenue ici, je me suis retrouvée à Tucson, en Arizona, dix ans plus tard. Il me fut très difficile de reconnaître l’endroit, mais je suis sûr que don Juan savait que cela allait arriver, parce qu’il m’avait fait cacher des sacs plastique plein d’argent dans différents endroits de cette ville et d’autres villes, ce qui, à l’époque m’avait parut absurde, mais à cet instant là, j’ai parfaitement compris. Donc, j’y suis allée et j’ai retrouvé un de ces sacs, et avec l’argent, je suis allée à Los Angeles. Là, j’ai rôdé pendant un moment comme un zombie, jusqu’à ce que je découvre que Carlos Castaneda était sur le point de donner une conférence à la librairie Phoenix, dans Santa Monica. J’y suis allée, et Carlos Castaneda m’a vu. Il a parlé pendant deux heures sans savoir ce qu’il disait parce qu’il était stupéfait de me voir là. »
« Carlos et moi avions l’habitude de nous retrouver en rêve, allongés nus dans le lit d’une chambre étrange. Il y avait aussi cette petite fille qui venait dans la chambre en disant " Pas encore maman !" Lorsque les choses devenaient hors de contrôle dans ce monde bizarre, Carlos me faisait sauter dans le lit et criait : " Tournoie, Carol, tournoie," et nous commencions tous les deux à tournoyer jusqu’à ce que nous nous réveillions dans notre lit. »
Elle mentionna également un acteur américain des années 30 ou 40 qui fumait la pipe. Ce personnage devint aussi un régulier de ce monde où Castaneda et elle allaient en rêve. Ce vieux monsieur parlait avec un accent spécial ; il appelait Carol "chérie" et appelait Carlos "petit."
« ... Comme n’importe quelle autre visite dans ce monde, cela commença lorsque nous nous retrouvâmes nus dans ce lit. Soudain, nous entendîmes quelqu’un venir. Carlos se cacha dans un placard qui était dans la chambre ; il voulait se cacher mais il ne fut pas capable de fermer la porte de l’intérieur. A ce moment, la petite fille entra dans la chambre en lançant comme d’habitude : " Pas encore maman," puis elle alla directement vers le placard et ferma la porte sur le nez de Carlos. A ce moment, j’entendis les pas du vieil homme à la pipe, il entra dans la chambre et dit : " Qu’est-ce qui se passe chérie ?" Je remarquai qu’il avait un journal à la main et cela m’intrigua. J’essayai désespérément d’y jeter un coup d’œil, essayant de découvrir dans quel langage il était écrit ou quelle était la date de parution. Je savais que Carlos serait très intéressé par ce journal, car comme il avait une orientation scientifique, il aurait adoré corroborer toute information de ce monde avec notre monde. »
« Alors, je ne sais pas où j’ai trouvé le courage d’arracher le journal des mains du vieil homme tandis qu'il quittait la chambre, et je me dépêchai de l’étaler sur le lit pour voir son contenu. Il y avait des photos en couleur de gens, mais quand je fixai mon attention sur le texte, je remarquai que les caractères ne faisaient pas partie de l’alphabet que nous utilisons, c’étaient des genres de symboles, comme des spirales, des triangles et des cercles. J’étais si excitée que je voulais que Carlos voie ça, alors je me dirigeai vers le placard, mais je remarquai qu’il n’y avait pas de poignée de porte, ni rien pour l’ouvrir. Je commençai à m’inquiéter que le vieil homme revienne, lorsque j’entendis la voix de Carlos venant de l’intérieur qui me parlait d’une tâche noire sur le sol, sur laquelle je devais marcher. Je regardai par terre et je vis la tâche noire qui ressemblait à un bouton, je marchai dessus et la porte s’ouvrit. Carlos en sortit en faisant un bond d’une agilité féline. Je lui montrai le journal et cela le laissa perplexe. Tout ce qu’il me dit fut : " C’est réel Tiggs…C’est réel." Nous entendîmes à nouveau des pas dans le couloir et nous sautâmes dans le lit et commençâmes à tournoyer comme les autres fois jusqu’à ce que nous nous réveillions dans nos lits. »
« Afin d’entrer et de sortir de ces autres mondes, il faut être très sobre et avoir du contrôle car si vous vous accrochez à quelque chose qui appartient à ce monde (comme le journal), vous pouvez vous y perdre, car vous pouvez oublier d’où vous êtes venu et finir par vivre et mourir dans ce monde. C’est pourquoi le chemin du guerrier doit être impeccable, car quand vous devenez un navigateur, vous ne pouvez vous permettre aucune erreur. Ce monde était très similaire au notre car les gens y devenaient également vieux et mouraient, en fait nous avons vu la petite fille grandir. »
Carol révéla aussi que Carlos Castaneda était en train d’écrire un autre livre en ajoutant: « Carlos a appelé l’un des chapitres " Le Retour de Carol Tiggs." »
« Énergétiquement, Carlos Castaneda et moi avons été très distant durant ces trois dernières années. Il y a quelque temps, Carlos a fait un bond énergétique et c’est peut-être ce qui nous a séparé, mais il y a trois semaines, je me suis à nouveau réveillée dans ce monde étrange.
« Énergétiquement parlant, nous sommes un seul filament d’énergie qui est cyclique et qui s’étend vers différents mondes (qui sont comme les couches d’un oignon) et il semble que dans cette autre couche de l’oignon nous avons trouvé une paire d’êtres qui partageaient cet autre monde comme nous partageons ce monde-ci, et nous nous voyions dans ce monde comme des humains mais cela est dû à notre tendance à anthropomorphiser. Il est possible que ces créatures, dans ce monde, aient un moule différent du notre. La conclusion est que notre perception nous accompagne même lorsque nous allons dans d’autres couches de l’oignon. »
Elle termina sa conférence en lisant le poème, à nouveau en anglais, puis en espagnol.
Ce jour là, le séminaire de Tenségrité commença pour la moitié des personnes présentes. Les Chacmools arrivèrent seules, et commencèrent une série d’exercices d’échauffement et nous apprirent quatorze nouvelles passes qui, disaient-elles, avaient été spécialement intentionnées pour les personnes qui vivaient dans la Vallée de Mexico à cette époque particulière. Lorsque les gens commencèrent à poser des questions à ce sujet, Kylie répondit en racontant l’histoire suivante : « La vie est comme une rivière d’eau cristalline. Les gens continuent à ramasser les pierres au fond de la rivière et les vénèrent sans savoir que la part la plus précieuse de cette rivière est son eau, qui ne peut pas être conservée, tout ce qu’on peut faire, c’est couler avec elle. L’eau est le nagual et les pierres sont le tonal. Nous devons apprendre à laisser le tonal à sa place, afin de pouvoir aller avec le nagual. »
Conférence de Taisha Abelar
« Lorsque les voyants voient, ils voient que les traqueurs ont comme un châle de fibres lumineuses tombant de leurs épaules, et que les rêveurs semblent porter une jupe hawaïenne de fibres lumineuses tombant de leur taille… Je suis une traqueuse. Mes maîtres étaient une femme nommée Clara, et un homme nommé Emilito. Pour démarrer mon apprentissage, je devais d’abord empêcher le flyer de dévorer ma conscience. Don Juan disait que de la même façon que nous, humains, gardons des poulets dans des poulaillers, les flyers gardent les humains dans des " humaillers " pour faire la même chose que nous faisons avec les poulets.
« D’après le vieux nagual, quand nous naissons, notre oeuf lumineux brille de la lumière de la conscience, mais en grandissant et en entrant dans l’ordre social, les créatures qui partagent notre monde, appelés par les voyants les flyers, se nourrissent de notre conscience jusqu’à nous laisser seulement la brillance de notre œuf lumineux au niveau des talons (donc ils nous mangent jusqu’aux chevilles). Don Juan disait que cette conscience est suffisante pour vivre dans l’ordre social parce que c’est la conscience de l’auto-contemplation. Le problème pour l’homme de connaissance est de trouver un moyen d’arrêter les flyers de manger toute nouvelle conscience qui grandit au dessus des talons. Les flyers mangent cette conscience avec facilité à cause de l’auto apitoiement et l’attitude de "pauvre bébé" que nous avons envers la vie et envers nous-même. Alors, une des façons d’arrêter les flyers est à travers des actes disciplinés comme la récapitulation et la Tenségrité. En pratiquant ces actes disciplinés, nous générons un type de conscience que les flyers n’aiment pas, ainsi, à partir de là, nous pouvons commencer à faire croître notre conscience au-dessus de nos talons, sans s’inquiéter que les flyers la mangent, tant que nous demeurons des guerriers impeccables.
« Carlos recherche sans arrêt des personnes qui ont développée leur conscience au-dessus de leurs talons, et un jour quelqu’un lui dit qu’il y avait une femme gourou qui vivait à Los Angeles, qui était très populaire et qui avait beaucoup d’énergie. Elle recrutait des gens pour la méditation. Carlos nous emmena toutes les trois ; Carol, Florinda, et moi, pour voir cette femme. Lorsque nous la ‘virent’, nous remarquâmes que sa conscience était comme tout le monde ; sa conscience était au niveau de ses talons, la seule différence que nous vîmes était que cette femme avait un point d’assemblage plus large que la normale, et c’est de là que résultait son très gros ego, qui la rendait égomaniaque. Ainsi, elle pouvait croire et aussi faire croire aux autres qu’elle avait le pouvoir d’illuminer les autres.
Ensuite, avec l’aide de Kylie, Taisha nous montra une photo du flyer prise aux pyramides de Teotihuacan durant la cérémonie d’équinoxe l’année passée, par un de leurs amis. Cela ressemblait à un humain, à une ombre volant au-dessus de la foule.
« C’est un endroit particulièrement bon pour les flyers pour se nourrir, parce qu’il est rempli d’importance personnelle, à cause du fait que tout le monde à cet endroit à le sentiment que son énergie s’emploie à je ne sais quel objectif de " sauver le monde." Ou bien, peut-être se sentent-ils très importants parce qu’ils sont les réceptacles de " l’énergie cosmique " qui est envoyée par les dieux vers les élus qui sont là. Un autre bon endroit pour trouver des flyers est dans les maisons funéraires où les gens se réunissent pour se livrer à l’auto apitoiement et à l’attitude du pauvre bébé, ce n’est pas de leur faute, c’est juste comme ça que ça se passe. C’est pourquoi lorsque nous rencontrons une telle situation, nous devons être conscient (à travers la pratique continue de la récapitulation) de ce qui est en train de se passer, et ne pas être la proie de notre propre importance personnelle ou notre propre apitoiement, qui nous rendront vulnérables en face des flyers. C’est pourquoi nous n’avons pas besoin de rituels, de nettoyages énergétiques, d’amulettes, de talismans, etc. La meilleure protection possible et la seule offre que vous pouvez faire à l’esprit, est de vous débarrasser de votre importance personnelle, et de suivre un chemin impeccable, un chemin qui a du cœur.
« J’ai vécu au sommet de certains arbres dans la maison des sorciers pendant deux ans. Cela faisait partie de mon entraînement de traqueuse. Le traqueur est maître dans l'art de fixer le point d’assemblage à un endroit différent. Lorsque vous dormez, le point d’assemblage bouge naturellement, mais à moins que vous ne commenciez à rêver, ce pour quoi vous avez besoin d’emmagasiner de l’énergie au travers des techniques que nous avons déjà mentionnées, vous ne serez pas conscient de ce mouvement. Immédiatement après avoir pris conscience que votre point d’assemblage a bougé, afin de tirer avantage de cette nouvelle position, vous avez besoin de le fixer, c’est cela traquer. Quand je vivais dans les arbres, une des choses les plus inhabituelles qui bougeait mon point d’assemblage vers une nouvelle position, était le fait que j’avais perdu le point de référence de l’horizon. Tout ce que je pouvais percevoir était du feuillage et le ciel. Le sol était toujours ‘en bas’, tandis que normalement, nous bougeons en étant cloué au sol, dans un système comportant quatre directions. En vivant au sommet des arbres, je suis entrée dans un système de déplacement à six directions, car je n’étais pas autorisée à toucher le sol. Cela a fait bouger mon point d’assemblage, qui s'est ensuite fixé sur une nouvelle position.
« Le point d’assemblage, tel que les voyants le voient, a un côté brillant, qui chez les hommes est orienté vers l’extérieur de l’œuf lumineux, et chez les femmes, ce côté brillant est tourné vers l’intérieur. Due à mon existence au sommet des arbres, mon point d’assemblage commença à se tourner vers l’extérieur, dans la direction des hommes. Quand don Juan vit cela, il me fit faire une autre traque afin de le corriger. Il m’envoya vivre dans une ville mexicaine où Nelida vivait comme une riche femme de la haute société, bien connue dans cette ville. Je devais devenir sa nièce, qui était venue vivre avec elle pour trouver un mari. Ainsi, on m’enseigna tout sur comment " être féminine" ; l’art du maquillage, de la cuisine, les bonnes manières, le tricot, la danse, jouer du piano, et je prenais même des leçons de français. Nous avions l’habitude d’aller dans toutes les fêtes de la haute société, et on me présentait comme une jeune fille éduquée, étant à la recherche d’un bon parti, jusqu’à ce qu’un jour, après six mois, je rencontre un prêtre excommunié qui avait de profonds troubles émotionnels, et tout ce qui me vint à l’esprit fut de le suspendre à un arbre pour l’aider.
« Cela fit un énorme scandale en ville, et don Juan vit qu’il était tant de changer de stratégie. Il me dit que puisque je voulais encore " attirer l’attention de tout le monde," il allait établir pour moi une traque qui me guérirait ou me tuerait, et il m’établit comme clocharde. Ils commencèrent par remplacer ma jolie robe blanche par des guenilles, puis ils mirent tout un tas de trucs collants dans mes cheveux. Je me souviens que Emilito arriva avec l’idée de mettre du chewing-gum dans mes cheveux, tandis que Nelida appliquait de la graisse sur ma peau afin qu’elle paraisse plus sombre et plus sale. Après qu’ils m’aient " costumée" en clocharde, don Juan appela une femme nommée Alfonsina, qui était une clocharde de la ville. Il lui dit que j’étais folle et qu’ils ne pouvaient plus me garder avec eux. Puis, don Juan donna un peu d’argent à la femme et lui dit de prendre soin de moi.
« Je partis avec cette femme et je me souviens qu’elle me dit : "T’as pas l’air très bavarde, hé...c’est bien, je crois qu’on va bien s’entendre..." Puis nous arrivâmes à sa maison, et je fus terrifiée. C’était l’endroit le plus puant et le plus sale que j’avais jamais vu. Elle vivait dans une pièce de 6 m2, faite de cartons et de tôle. Sur le sol souillé, il y avait deux nattes pleines d’insectes rampants. C’était si horrible que je fus obligée de partir. Je courus jusqu’à la maison, mais quand j’arrivai, les servants me dirent que tout le monde était parti pour un long voyage, mais qu’il était encore peut-être possible de les trouver dans les alentours de la ville. Je courus immédiatement vers les abords de la ville et, à mon grand soulagement, je trouvai la voiture de Nelida, arrêtée au coin d’une rue, attendant que le feu passe au vert. Je me dirigeai vers la voiture et vis que c’était don Juan qui conduisait. Je le suppliai de me sortir de cette situation de dingue. Je lui dis que je ne voulais pas être une clocharde, que tout ça allait trop loin, que la maison d’Alfonsina était un " trou merdique " et que je ne voulais pas y passer ne serait-ce qu’une seule nuit.
« Don Juan me regarda avec des yeux fixes et me dit que c’était le dessein de l’esprit de faire ça ; soit je réussissais, soit je ne reverrais jamais aucun d’entre eux. Il fouilla dans sa poche, me lança une pièce et dit : " Vas, et trouve ce que tu as à trouver, et tu verras que les gens te donneront de l’argent mais ils te mépriseront pour ce que tu es. Il y a toujours la possibilité que tu tombes sur quelqu’un qui se préoccupe vraiment de toi, alors tu auras réussi ta tâche, et tu apprendras à ne plus rechercher l’attention pour toi-même." Le feu passa au vert et ils partirent. Je restai là, sur la place principale, pensant que je n’avais pas d’autre option que de retourner à la maison d’Alfonsina et de jouer impeccablement le rôle d’une clocharde, sans aucune attente ou inquiétude de quand cela allait se terminer ou sur ce qui allait se passer. Je me préparai à être une clocharde pour le restant de ma vie si c’était ce que l’esprit voulait de moi.
« J’arrivai à la maison d’Alfonsina, elle était agenouillée en face du four à bois et préparait quelques tortillas de maïs. Sans dire un mot, elle me tendit une tortilla et je m’assis tranquillement et commençai à manger. A cause du fait que j’étais dans une petite ville, j’avais besoin d’avoir une histoire derrière moi, voici donc ce qu’Alphonsina raconta sur moi aux gens : j’étais sa fille folle qui vivait dans la grande ville avec son père, mais maintenant que le père était mort, on m’avait envoyé à elle. Ainsi, je commençai à appeler Alphonsina ‘maman’, et tous les jours, en rentrant à la maison je disais : ‘Bonjour maman, voici ce que j’ai récolté aujourd’hui’, et je donnais à Alphonsina tout ce que j’avais mendié durant la journée. La vie était dure comme elle l’est pour un clochard. Je devais lutter contre d’autres clochards afin d’obtenir une bonne place pour mendier. Alphonsina me dit que les meilleurs endroits pour mendier étaient à la sortie des restaurants ou des clubs de sport. Elle disait que lorsque les gens sont repus ou ont fait beaucoup d’exercices, ils donnent aux pauvres. En revanche, les églises n’étaient pas de bons endroits car les gens avaient déjà donné à l’église et préféraient donner à l’église plutôt qu’aux clochards.
« Alphonsina m’enseigna aussi à toujours porter un petit paquet de bois, à utiliser en guise de bouclier quand j’étais attaquée par d’autres clochards parce que j’envahissais leur territoire. Ce petit paquet de bois s’avéra être très utile. J’aimais aller à l’église, pas pour mendier mais pour voir une très belle femme qui venait tous les jours ; elle avait quelque chose qui avait un pouvoir d’attraction sur moi. En entrant plus profondément dans mon rôle de clocharde, je commençai à entendre les pensées des gens, et je pouvais entendre des choses qui se passaient à plusieurs rues de là où j’étais. Un jour, alors que je mendiais à l’extérieur de l’église, cette très belle dame sortit et me parla ; elle voulait m’emmener chez elle, me laver, et me donner des affaires propres. Mais je refusai un certain temps, jusqu’à ce qu’un jour je me souvienne de ce que don Juan m’avait dit à propos de quelqu’un qui se ferait un ‘souci authentique’ pour moi, et j’acceptai d’aller chez elle.
« La dame me fit immédiatement prendre une douche et me débarrassa des guenilles que je portais. Alors que l’eau commençait à couler sur mon corps et que la saleté disparaissait de ma peau, la dame fut horrifiée par le fait que j’étais une ‘fille blanche’. Elle hurla : ‘Que t’ont-ils fait !’ J’étais sans voix. La dame me donna un cardigan, une robe et une grosse somme d’argent, et me dit de retourner de là où je venais mais de sortir de la rue. Je revins voir Alphonsina, et en lui tendant l’argent je lui dis comme toujours : ‘Maman, maman, regarde ce que j’ai récolté aujourd’hui.’ Lorsqu’elle me vit, elle s’évanouie. En revenant à elle, elle me dit : ‘Tu as été touché par un ange.’ Elle tomba malade et je l’emmenai dans la maison de Nelida. Là je retrouvai don Juan, Nelida, et tous les autres.
« Nelida emmena Alphonsina dans sa chambre et prit soin d’elle. Je restai dans le salon avec don Juan. J’étais angoissée par ce qui allait arrivé à Alphonsina parce qu’à ce moment, je savais que je l’aimais, inconditionnellement. Jusqu’à ce jour, je ne savais pas ce qu’était l’amour. J’essayai de transmettre cela à don Juan, mais il semblait déjà connaître mes sentiments, et il me dit que j’avais réussi dans ma tâche, et que je n’étais pas obligée de retourner avec Alphonsina. Alphonsina avait une fille qui l’aimait vraiment, mais pour elle, cette fille était morte à présent. A ce moment là, je sus que dans le monde des sorciers, les choses vont et viennent et que l’on doit y fluer sans attaches.
Guillermo
Un séminaire de Tenségrité fut donné le week-end dernier à Mexico City à l’hôtel Sheraton Maria Isabel, dans le cœur de la ville. Les trois Chacmools, ainsi que Florinda Donner, Taisha Abelar et Carol Tiggs étaient présentes. L’événement attira environ mille personnes, et consista en trois conférences données en soirée (le vendredi par Carol, le samedi par Taïsha et le dimanche par Florinda), et de deux sessions de Tenségrité, une session le samedi pour cinq cent personnes, et une autre le dimanche pour les cinq cent autres.
Conférence de Carol Tiggs
La grande salle de bal qui avait été louée à l’hôtel pour l’occasion était bondée. Environ mille personnes s’y trouvaient, car ils avaient laissé entrer les gens sans ticket ce jour là. Le groupe (Florinda, Taisha, Carol, Kylie, Renata, Nyei et deux autres de leurs associés) arriva. Carol et un traducteur s’assirent sur la scène et les autres restèrent dans les deux premières rangées qui leur étaient réservées, juste en face de la scène. Carol commença la conférence en se présentant aux gens, et récita un poème en espagnol, puis en anglais, qui attira l’attention de tout le monde, et qui donnait à peu près ceci :
Donnez-moi, mon Dieu, ce qui vous reste
Donnez-moi ce qu'on ne vous demande jamais.
Je ne vous demande pas le repos
Ni la tranquillité
Ni celle de l'âme, ni celle du corps.
Je ne vous demande pas la richesse
Ni le succès, ni même la santé.
Tout ça, mon Dieu, on vous le demande tellement
Que vous ne devez plus en avoir.
Donnez-moi, mon Dieu, ce qui vous reste.
Donnez-moi ce que l'on vous refuse.
Je veux l'insécurité et l'inquiétude.
Je veux la tourmente et le combat
Et que vous me les donniez, mon Dieu, définitivement.
Que je sois sûr de les avoir toujours,
Car je n'aurai pas toujours le courage
De vous les demander.
Donnez-moi, mon Dieu, ce qui vous reste.
Donnez-moi ce dont les autres ne veulent pas.
Mais donnez-moi aussi le courage
Et la force et la Foi.
(« La Prière du Parachutiste », André Zirnheld)
Ensuite, elle parla de sa première rencontre avec Carlos Castaneda au parc Alameda à Mexico City, et de comment don Juan l’avait accroché avec un rot sonore, puis avec ses yeux, et lui avait fait savoir qu’elle était une femme double, et que Carlos Castaneda était énergétiquement identique à elle. Puis elle nous parla de sa disparition pendant plus de dix ans de ce monde, et elle dit que pour elle, cela avait été comme un rêve, mais que le temps avait perdu sa signification durant cet événement.
« Lorsque je suis revenue ici, je me suis retrouvée à Tucson, en Arizona, dix ans plus tard. Il me fut très difficile de reconnaître l’endroit, mais je suis sûr que don Juan savait que cela allait arriver, parce qu’il m’avait fait cacher des sacs plastique plein d’argent dans différents endroits de cette ville et d’autres villes, ce qui, à l’époque m’avait parut absurde, mais à cet instant là, j’ai parfaitement compris. Donc, j’y suis allée et j’ai retrouvé un de ces sacs, et avec l’argent, je suis allée à Los Angeles. Là, j’ai rôdé pendant un moment comme un zombie, jusqu’à ce que je découvre que Carlos Castaneda était sur le point de donner une conférence à la librairie Phoenix, dans Santa Monica. J’y suis allée, et Carlos Castaneda m’a vu. Il a parlé pendant deux heures sans savoir ce qu’il disait parce qu’il était stupéfait de me voir là. »
« Carlos et moi avions l’habitude de nous retrouver en rêve, allongés nus dans le lit d’une chambre étrange. Il y avait aussi cette petite fille qui venait dans la chambre en disant " Pas encore maman !" Lorsque les choses devenaient hors de contrôle dans ce monde bizarre, Carlos me faisait sauter dans le lit et criait : " Tournoie, Carol, tournoie," et nous commencions tous les deux à tournoyer jusqu’à ce que nous nous réveillions dans notre lit. »
Elle mentionna également un acteur américain des années 30 ou 40 qui fumait la pipe. Ce personnage devint aussi un régulier de ce monde où Castaneda et elle allaient en rêve. Ce vieux monsieur parlait avec un accent spécial ; il appelait Carol "chérie" et appelait Carlos "petit."
« ... Comme n’importe quelle autre visite dans ce monde, cela commença lorsque nous nous retrouvâmes nus dans ce lit. Soudain, nous entendîmes quelqu’un venir. Carlos se cacha dans un placard qui était dans la chambre ; il voulait se cacher mais il ne fut pas capable de fermer la porte de l’intérieur. A ce moment, la petite fille entra dans la chambre en lançant comme d’habitude : " Pas encore maman," puis elle alla directement vers le placard et ferma la porte sur le nez de Carlos. A ce moment, j’entendis les pas du vieil homme à la pipe, il entra dans la chambre et dit : " Qu’est-ce qui se passe chérie ?" Je remarquai qu’il avait un journal à la main et cela m’intrigua. J’essayai désespérément d’y jeter un coup d’œil, essayant de découvrir dans quel langage il était écrit ou quelle était la date de parution. Je savais que Carlos serait très intéressé par ce journal, car comme il avait une orientation scientifique, il aurait adoré corroborer toute information de ce monde avec notre monde. »
« Alors, je ne sais pas où j’ai trouvé le courage d’arracher le journal des mains du vieil homme tandis qu'il quittait la chambre, et je me dépêchai de l’étaler sur le lit pour voir son contenu. Il y avait des photos en couleur de gens, mais quand je fixai mon attention sur le texte, je remarquai que les caractères ne faisaient pas partie de l’alphabet que nous utilisons, c’étaient des genres de symboles, comme des spirales, des triangles et des cercles. J’étais si excitée que je voulais que Carlos voie ça, alors je me dirigeai vers le placard, mais je remarquai qu’il n’y avait pas de poignée de porte, ni rien pour l’ouvrir. Je commençai à m’inquiéter que le vieil homme revienne, lorsque j’entendis la voix de Carlos venant de l’intérieur qui me parlait d’une tâche noire sur le sol, sur laquelle je devais marcher. Je regardai par terre et je vis la tâche noire qui ressemblait à un bouton, je marchai dessus et la porte s’ouvrit. Carlos en sortit en faisant un bond d’une agilité féline. Je lui montrai le journal et cela le laissa perplexe. Tout ce qu’il me dit fut : " C’est réel Tiggs…C’est réel." Nous entendîmes à nouveau des pas dans le couloir et nous sautâmes dans le lit et commençâmes à tournoyer comme les autres fois jusqu’à ce que nous nous réveillions dans nos lits. »
« Afin d’entrer et de sortir de ces autres mondes, il faut être très sobre et avoir du contrôle car si vous vous accrochez à quelque chose qui appartient à ce monde (comme le journal), vous pouvez vous y perdre, car vous pouvez oublier d’où vous êtes venu et finir par vivre et mourir dans ce monde. C’est pourquoi le chemin du guerrier doit être impeccable, car quand vous devenez un navigateur, vous ne pouvez vous permettre aucune erreur. Ce monde était très similaire au notre car les gens y devenaient également vieux et mouraient, en fait nous avons vu la petite fille grandir. »
Carol révéla aussi que Carlos Castaneda était en train d’écrire un autre livre en ajoutant: « Carlos a appelé l’un des chapitres " Le Retour de Carol Tiggs." »
« Énergétiquement, Carlos Castaneda et moi avons été très distant durant ces trois dernières années. Il y a quelque temps, Carlos a fait un bond énergétique et c’est peut-être ce qui nous a séparé, mais il y a trois semaines, je me suis à nouveau réveillée dans ce monde étrange.
« Énergétiquement parlant, nous sommes un seul filament d’énergie qui est cyclique et qui s’étend vers différents mondes (qui sont comme les couches d’un oignon) et il semble que dans cette autre couche de l’oignon nous avons trouvé une paire d’êtres qui partageaient cet autre monde comme nous partageons ce monde-ci, et nous nous voyions dans ce monde comme des humains mais cela est dû à notre tendance à anthropomorphiser. Il est possible que ces créatures, dans ce monde, aient un moule différent du notre. La conclusion est que notre perception nous accompagne même lorsque nous allons dans d’autres couches de l’oignon. »
Elle termina sa conférence en lisant le poème, à nouveau en anglais, puis en espagnol.
Ce jour là, le séminaire de Tenségrité commença pour la moitié des personnes présentes. Les Chacmools arrivèrent seules, et commencèrent une série d’exercices d’échauffement et nous apprirent quatorze nouvelles passes qui, disaient-elles, avaient été spécialement intentionnées pour les personnes qui vivaient dans la Vallée de Mexico à cette époque particulière. Lorsque les gens commencèrent à poser des questions à ce sujet, Kylie répondit en racontant l’histoire suivante : « La vie est comme une rivière d’eau cristalline. Les gens continuent à ramasser les pierres au fond de la rivière et les vénèrent sans savoir que la part la plus précieuse de cette rivière est son eau, qui ne peut pas être conservée, tout ce qu’on peut faire, c’est couler avec elle. L’eau est le nagual et les pierres sont le tonal. Nous devons apprendre à laisser le tonal à sa place, afin de pouvoir aller avec le nagual. »
Conférence de Taisha Abelar
« Lorsque les voyants voient, ils voient que les traqueurs ont comme un châle de fibres lumineuses tombant de leurs épaules, et que les rêveurs semblent porter une jupe hawaïenne de fibres lumineuses tombant de leur taille… Je suis une traqueuse. Mes maîtres étaient une femme nommée Clara, et un homme nommé Emilito. Pour démarrer mon apprentissage, je devais d’abord empêcher le flyer de dévorer ma conscience. Don Juan disait que de la même façon que nous, humains, gardons des poulets dans des poulaillers, les flyers gardent les humains dans des " humaillers " pour faire la même chose que nous faisons avec les poulets.
« D’après le vieux nagual, quand nous naissons, notre oeuf lumineux brille de la lumière de la conscience, mais en grandissant et en entrant dans l’ordre social, les créatures qui partagent notre monde, appelés par les voyants les flyers, se nourrissent de notre conscience jusqu’à nous laisser seulement la brillance de notre œuf lumineux au niveau des talons (donc ils nous mangent jusqu’aux chevilles). Don Juan disait que cette conscience est suffisante pour vivre dans l’ordre social parce que c’est la conscience de l’auto-contemplation. Le problème pour l’homme de connaissance est de trouver un moyen d’arrêter les flyers de manger toute nouvelle conscience qui grandit au dessus des talons. Les flyers mangent cette conscience avec facilité à cause de l’auto apitoiement et l’attitude de "pauvre bébé" que nous avons envers la vie et envers nous-même. Alors, une des façons d’arrêter les flyers est à travers des actes disciplinés comme la récapitulation et la Tenségrité. En pratiquant ces actes disciplinés, nous générons un type de conscience que les flyers n’aiment pas, ainsi, à partir de là, nous pouvons commencer à faire croître notre conscience au-dessus de nos talons, sans s’inquiéter que les flyers la mangent, tant que nous demeurons des guerriers impeccables.
« Carlos recherche sans arrêt des personnes qui ont développée leur conscience au-dessus de leurs talons, et un jour quelqu’un lui dit qu’il y avait une femme gourou qui vivait à Los Angeles, qui était très populaire et qui avait beaucoup d’énergie. Elle recrutait des gens pour la méditation. Carlos nous emmena toutes les trois ; Carol, Florinda, et moi, pour voir cette femme. Lorsque nous la ‘virent’, nous remarquâmes que sa conscience était comme tout le monde ; sa conscience était au niveau de ses talons, la seule différence que nous vîmes était que cette femme avait un point d’assemblage plus large que la normale, et c’est de là que résultait son très gros ego, qui la rendait égomaniaque. Ainsi, elle pouvait croire et aussi faire croire aux autres qu’elle avait le pouvoir d’illuminer les autres.
Ensuite, avec l’aide de Kylie, Taisha nous montra une photo du flyer prise aux pyramides de Teotihuacan durant la cérémonie d’équinoxe l’année passée, par un de leurs amis. Cela ressemblait à un humain, à une ombre volant au-dessus de la foule.
« C’est un endroit particulièrement bon pour les flyers pour se nourrir, parce qu’il est rempli d’importance personnelle, à cause du fait que tout le monde à cet endroit à le sentiment que son énergie s’emploie à je ne sais quel objectif de " sauver le monde." Ou bien, peut-être se sentent-ils très importants parce qu’ils sont les réceptacles de " l’énergie cosmique " qui est envoyée par les dieux vers les élus qui sont là. Un autre bon endroit pour trouver des flyers est dans les maisons funéraires où les gens se réunissent pour se livrer à l’auto apitoiement et à l’attitude du pauvre bébé, ce n’est pas de leur faute, c’est juste comme ça que ça se passe. C’est pourquoi lorsque nous rencontrons une telle situation, nous devons être conscient (à travers la pratique continue de la récapitulation) de ce qui est en train de se passer, et ne pas être la proie de notre propre importance personnelle ou notre propre apitoiement, qui nous rendront vulnérables en face des flyers. C’est pourquoi nous n’avons pas besoin de rituels, de nettoyages énergétiques, d’amulettes, de talismans, etc. La meilleure protection possible et la seule offre que vous pouvez faire à l’esprit, est de vous débarrasser de votre importance personnelle, et de suivre un chemin impeccable, un chemin qui a du cœur.
« J’ai vécu au sommet de certains arbres dans la maison des sorciers pendant deux ans. Cela faisait partie de mon entraînement de traqueuse. Le traqueur est maître dans l'art de fixer le point d’assemblage à un endroit différent. Lorsque vous dormez, le point d’assemblage bouge naturellement, mais à moins que vous ne commenciez à rêver, ce pour quoi vous avez besoin d’emmagasiner de l’énergie au travers des techniques que nous avons déjà mentionnées, vous ne serez pas conscient de ce mouvement. Immédiatement après avoir pris conscience que votre point d’assemblage a bougé, afin de tirer avantage de cette nouvelle position, vous avez besoin de le fixer, c’est cela traquer. Quand je vivais dans les arbres, une des choses les plus inhabituelles qui bougeait mon point d’assemblage vers une nouvelle position, était le fait que j’avais perdu le point de référence de l’horizon. Tout ce que je pouvais percevoir était du feuillage et le ciel. Le sol était toujours ‘en bas’, tandis que normalement, nous bougeons en étant cloué au sol, dans un système comportant quatre directions. En vivant au sommet des arbres, je suis entrée dans un système de déplacement à six directions, car je n’étais pas autorisée à toucher le sol. Cela a fait bouger mon point d’assemblage, qui s'est ensuite fixé sur une nouvelle position.
« Le point d’assemblage, tel que les voyants le voient, a un côté brillant, qui chez les hommes est orienté vers l’extérieur de l’œuf lumineux, et chez les femmes, ce côté brillant est tourné vers l’intérieur. Due à mon existence au sommet des arbres, mon point d’assemblage commença à se tourner vers l’extérieur, dans la direction des hommes. Quand don Juan vit cela, il me fit faire une autre traque afin de le corriger. Il m’envoya vivre dans une ville mexicaine où Nelida vivait comme une riche femme de la haute société, bien connue dans cette ville. Je devais devenir sa nièce, qui était venue vivre avec elle pour trouver un mari. Ainsi, on m’enseigna tout sur comment " être féminine" ; l’art du maquillage, de la cuisine, les bonnes manières, le tricot, la danse, jouer du piano, et je prenais même des leçons de français. Nous avions l’habitude d’aller dans toutes les fêtes de la haute société, et on me présentait comme une jeune fille éduquée, étant à la recherche d’un bon parti, jusqu’à ce qu’un jour, après six mois, je rencontre un prêtre excommunié qui avait de profonds troubles émotionnels, et tout ce qui me vint à l’esprit fut de le suspendre à un arbre pour l’aider.
« Cela fit un énorme scandale en ville, et don Juan vit qu’il était tant de changer de stratégie. Il me dit que puisque je voulais encore " attirer l’attention de tout le monde," il allait établir pour moi une traque qui me guérirait ou me tuerait, et il m’établit comme clocharde. Ils commencèrent par remplacer ma jolie robe blanche par des guenilles, puis ils mirent tout un tas de trucs collants dans mes cheveux. Je me souviens que Emilito arriva avec l’idée de mettre du chewing-gum dans mes cheveux, tandis que Nelida appliquait de la graisse sur ma peau afin qu’elle paraisse plus sombre et plus sale. Après qu’ils m’aient " costumée" en clocharde, don Juan appela une femme nommée Alfonsina, qui était une clocharde de la ville. Il lui dit que j’étais folle et qu’ils ne pouvaient plus me garder avec eux. Puis, don Juan donna un peu d’argent à la femme et lui dit de prendre soin de moi.
« Je partis avec cette femme et je me souviens qu’elle me dit : "T’as pas l’air très bavarde, hé...c’est bien, je crois qu’on va bien s’entendre..." Puis nous arrivâmes à sa maison, et je fus terrifiée. C’était l’endroit le plus puant et le plus sale que j’avais jamais vu. Elle vivait dans une pièce de 6 m2, faite de cartons et de tôle. Sur le sol souillé, il y avait deux nattes pleines d’insectes rampants. C’était si horrible que je fus obligée de partir. Je courus jusqu’à la maison, mais quand j’arrivai, les servants me dirent que tout le monde était parti pour un long voyage, mais qu’il était encore peut-être possible de les trouver dans les alentours de la ville. Je courus immédiatement vers les abords de la ville et, à mon grand soulagement, je trouvai la voiture de Nelida, arrêtée au coin d’une rue, attendant que le feu passe au vert. Je me dirigeai vers la voiture et vis que c’était don Juan qui conduisait. Je le suppliai de me sortir de cette situation de dingue. Je lui dis que je ne voulais pas être une clocharde, que tout ça allait trop loin, que la maison d’Alfonsina était un " trou merdique " et que je ne voulais pas y passer ne serait-ce qu’une seule nuit.
« Don Juan me regarda avec des yeux fixes et me dit que c’était le dessein de l’esprit de faire ça ; soit je réussissais, soit je ne reverrais jamais aucun d’entre eux. Il fouilla dans sa poche, me lança une pièce et dit : " Vas, et trouve ce que tu as à trouver, et tu verras que les gens te donneront de l’argent mais ils te mépriseront pour ce que tu es. Il y a toujours la possibilité que tu tombes sur quelqu’un qui se préoccupe vraiment de toi, alors tu auras réussi ta tâche, et tu apprendras à ne plus rechercher l’attention pour toi-même." Le feu passa au vert et ils partirent. Je restai là, sur la place principale, pensant que je n’avais pas d’autre option que de retourner à la maison d’Alfonsina et de jouer impeccablement le rôle d’une clocharde, sans aucune attente ou inquiétude de quand cela allait se terminer ou sur ce qui allait se passer. Je me préparai à être une clocharde pour le restant de ma vie si c’était ce que l’esprit voulait de moi.
« J’arrivai à la maison d’Alfonsina, elle était agenouillée en face du four à bois et préparait quelques tortillas de maïs. Sans dire un mot, elle me tendit une tortilla et je m’assis tranquillement et commençai à manger. A cause du fait que j’étais dans une petite ville, j’avais besoin d’avoir une histoire derrière moi, voici donc ce qu’Alphonsina raconta sur moi aux gens : j’étais sa fille folle qui vivait dans la grande ville avec son père, mais maintenant que le père était mort, on m’avait envoyé à elle. Ainsi, je commençai à appeler Alphonsina ‘maman’, et tous les jours, en rentrant à la maison je disais : ‘Bonjour maman, voici ce que j’ai récolté aujourd’hui’, et je donnais à Alphonsina tout ce que j’avais mendié durant la journée. La vie était dure comme elle l’est pour un clochard. Je devais lutter contre d’autres clochards afin d’obtenir une bonne place pour mendier. Alphonsina me dit que les meilleurs endroits pour mendier étaient à la sortie des restaurants ou des clubs de sport. Elle disait que lorsque les gens sont repus ou ont fait beaucoup d’exercices, ils donnent aux pauvres. En revanche, les églises n’étaient pas de bons endroits car les gens avaient déjà donné à l’église et préféraient donner à l’église plutôt qu’aux clochards.
« Alphonsina m’enseigna aussi à toujours porter un petit paquet de bois, à utiliser en guise de bouclier quand j’étais attaquée par d’autres clochards parce que j’envahissais leur territoire. Ce petit paquet de bois s’avéra être très utile. J’aimais aller à l’église, pas pour mendier mais pour voir une très belle femme qui venait tous les jours ; elle avait quelque chose qui avait un pouvoir d’attraction sur moi. En entrant plus profondément dans mon rôle de clocharde, je commençai à entendre les pensées des gens, et je pouvais entendre des choses qui se passaient à plusieurs rues de là où j’étais. Un jour, alors que je mendiais à l’extérieur de l’église, cette très belle dame sortit et me parla ; elle voulait m’emmener chez elle, me laver, et me donner des affaires propres. Mais je refusai un certain temps, jusqu’à ce qu’un jour je me souvienne de ce que don Juan m’avait dit à propos de quelqu’un qui se ferait un ‘souci authentique’ pour moi, et j’acceptai d’aller chez elle.
« La dame me fit immédiatement prendre une douche et me débarrassa des guenilles que je portais. Alors que l’eau commençait à couler sur mon corps et que la saleté disparaissait de ma peau, la dame fut horrifiée par le fait que j’étais une ‘fille blanche’. Elle hurla : ‘Que t’ont-ils fait !’ J’étais sans voix. La dame me donna un cardigan, une robe et une grosse somme d’argent, et me dit de retourner de là où je venais mais de sortir de la rue. Je revins voir Alphonsina, et en lui tendant l’argent je lui dis comme toujours : ‘Maman, maman, regarde ce que j’ai récolté aujourd’hui.’ Lorsqu’elle me vit, elle s’évanouie. En revenant à elle, elle me dit : ‘Tu as été touché par un ange.’ Elle tomba malade et je l’emmenai dans la maison de Nelida. Là je retrouvai don Juan, Nelida, et tous les autres.
« Nelida emmena Alphonsina dans sa chambre et prit soin d’elle. Je restai dans le salon avec don Juan. J’étais angoissée par ce qui allait arrivé à Alphonsina parce qu’à ce moment, je savais que je l’aimais, inconditionnellement. Jusqu’à ce jour, je ne savais pas ce qu’était l’amour. J’essayai de transmettre cela à don Juan, mais il semblait déjà connaître mes sentiments, et il me dit que j’avais réussi dans ma tâche, et que je n’étais pas obligée de retourner avec Alphonsina. Alphonsina avait une fille qui l’aimait vraiment, mais pour elle, cette fille était morte à présent. A ce moment là, je sus que dans le monde des sorciers, les choses vont et viennent et que l’on doit y fluer sans attaches.
Guillermo