Mon Déjeuner Avec Carlos Castaneda
Par Benjamin Epstein
Psychology Today - Mars/Avril 1996
Castaneda, une des figures les plus insaisissables des temps modernes, s’est récemment matérialisé à notre plus grande surprise durant une petite conférence à Anaheim en Californie. Le reporteur Benjamin Epstein était sur place pour marquer le coup.
Il est l’auto-apprenti sorcier du vingtième siècle. Il est l’homme invisible, éphémère, évanescent : à un moment vous le voyez, le moment d’après vous ne le voyez plus. Il est le navigateur traçant sa route à travers un univers vivant dans un flux exquis. Ou bien, comme le dit lui-même Castaneda, il est un connard, un imbécile, un pet. Il a été dit que Jésus Christ était soit le Fils de Dieu, soit le plus grand menteur qui ait jamais existé. Carlos Castaneda, qui doit sans doute avoir un culte d’adeptes mais qui dit que les déités sont la dernière chose dont les gens aient besoin, présente une énigme similaire. Les critiques lui ont mis le grappin dessus : l’une d’entre elles l’appelle le "faux-homme (jeu de mots sur ‘sham-man’) qui distribue des cadeaux...il a menti pour nous apporter la vérité."
Le jury a toujours était là, depuis que des livres comme L’Herbe Du Diable Et La Petite Fumée ont produit une véritable tempête au sein du public et du monde académique dans les années 60 et 70, et qui est toujours d’actualité. Castaneda a maintenant publié neuf livres qu’il déclare être basés sur ses expériences surnaturelles avec don Juan Matus, un voyant yaqui. Demeurer invisible, dit-il, est la voie du sorcier. Il ne permet jamais d’être pris en photo ou que sa voix soit enregistrée. Il ne donne que très rarement des interviews. Dans les années 80, il a complètement disparu de façon frappante. Mais ses livres continuent de se vendre (8 millions dans 17 pays) et n’ont jamais été épuisés. En 1993, il a commencé à donner des séminaires occasionnels, et L’Art De Rêver est parut l’année d’après.
Malgré le très promotionnel "La Tenségrité de Carlos Castaneda," à l’occasion d’un récent week-end de séminaire près de Disneyland à Anaheim, même les organisateurs de l’évènement ne savaient pas si Castaneda se montrerait. Même si 400 dévots venus du monde entier – dont un tiers de Californie – aient payé chacun 250$ pour y assister que Castaneda se montre ou pas. Ils sont venus pour apprendre des séries de "passes magiques," des mouvements dont l’intention est d’accroître la perception.
"C’est un univers pensant, un univers vivant, un univers exquis!" dit Castaneda, en démarrant le séminaire de manière exubérante. "Nous devons équilibrer la linéarité de l’univers connu avec la non linéarité de l’univers inconnu." Le charismatique Castaneda se révèle être étonnamment convainquant lorsqu’il décrit sa vie au milieu des êtres inorganiques, avec qui il a apparemment passé beaucoup de temps ; le point d’assemblage, un endroit situé à un bras de distance derrière nos omoplates qui peut se déplacer pour visiter d’autres royaumes ; et un univers prédateur dans lequel les "flyers" se nourrissent sans arrêt de la conscience humaine, ôtant la brillance de nos œufs lumineux et ne nous laissant qu’un tas de débris constitué d’égocentrisme et d’égomanie.
Il insiste sur le fait qu’il n’a rien inventé. "Je ne suis pas fou vous savez. Bon, peut-être un petit peu fou. Mais pas ridiculement fou!"
Il est également charmant, énergique, en pleine forme, et drôle. Et en conclusion de sa conférence d’introduction, Castaneda répondit à une demande d’interview en invitant subitement le journaliste à dîner.
Être assis dans un café de Anaheim, en face de Castaneda, était suffisant pour réaligner le point d’assemblage de n’importe qui : le journaliste prit sa non linéarité à cœur, glissant avec facilité entre le déjeuner et les conférences du séminaire, et se laissant entraîné par le type de discours qu’utilise souvent Castaneda pour élucider les idées de son maître. Après tout, Castaneda a remplacé don Juan en tant que nagual, le sorcier en chef, un être avec deux sphères lumineuses, et si c’est bon pour un nagual, c’est bon pour un autre.
A la table se trouvent quelques membres du personnel de Cleargreen et les trois femmes chacmools qui ont aidé Castaneda à compiler les mouvements, et qui les enseignent méthodiquement durant le séminaire.
"Est-ce cela que vous avez fait durant tout ce temps, des passes magiques?" demandai-je à Castaneda.
"Noooon…j’étais très rondouillard," dit-il. Don Juan m’a recommandé une utilisation obsessionnelle des passes magiques pour garder mon corps à son niveau optimal. Donc, en termes d’activité physique, oui, c’est ce que nous faisons. Les mouvements forcent également notre conscience à se concentrer sur l’idée que nous sommes des sphères lumineuses, un conglomérat de champs énergétiques, maintenus ensemble par une colle spéciale."
"Est-ce que la Tenségrité est un T’ai Chi toltèque? Un Yoga toltèque?" Demandai-je.
"Comparer la Tenségrité avec le Yoga ou le T’ai Chi est impossible. Elle a une origine différente et un but différent. Son origine est chamanique, son but est chamanique. Cela a à voir avec notre raison d’être. Notre raison d’être est d’affronter l’infini.
"Nous allons tous affronter l’infini au moment de mourir, dit-il. Pourquoi l’affronter alors que nous sommes faibles, alors que nous sommes brisés? Pourquoi ne pas le faire tant que nous sommes forts? Pourquoi pas maintenant? Vous devez l’affronter pragmatiquement. On ne peut pas se permettre de nourrir des idéaux."
"Où se trouve la place de Jésus là dedans? Où se trouve Bouddha?"
"Ce sont des idéalités, répondit Castaneda. Ils sont trop énormes, trop gigantesques pour être réels. Ce sont des déités. L’un et le Prince du Bouddhisme, l’autre le Fils de Dieu...les idéalités ne peuvent pas être utilisées dans un mouvement pragmatique."
"Permettez à votre perception de casser le système d’interprétation – un arbre cesse d’être un arbre et devient pure énergie – cela est une manœuvre pragmatique. Les choses avec lesquelles traitent les chamans sont extrêmement pratiques. Ils brisent les paramètres de la réalité historique normale. Les passes magiques n’en sont qu’un aspect."
Castaneda est très négatif à propos de la religion. Mais ce ne sont pas les diatribes habituelles. "Laisse Jésus sur sa croix. Il est très heureux là-haut ! disait don Juan. Arrête de l’embêter, laisse le tranquille. Ne lui demande pas ‘Pourquoi es-tu là, crucifié?’ Cela le rendrait cinglé de t’expliquer pourquoi.’ Alors c’est ce que j’ai fait. Il m’a dit bonjour, et puis salut."
Le serveur arriva pour prendre la commande. Les seuls choix discutés semblaient être le faux-filet, les côtes d’agneau, et le filet mignon, tout cela ne s’accordait guère avec les disciplines propres au New-Age.
"Les sorciers disent, ‘Que vous mangiez de la laitue ou un steak, c’est un être sensible’," m’explique la Chacmool Kylie Lundhal. Il s’avère que les Chacmools, nom donné aux gigantesques figures de gardien des pyramides mexicaines étaient pour ainsi dire totalement là aujourd’hui, et disparaîtraient le lendemain. Elles ont été relevées de leurs fonctions à la fin du séminaire, au cours des derniers commentaires de Castaneda. Personne n’a jamais dit que le chemin du guerrier était facile.
Castaneda commanda du pain de seigle avec du fromage fondu accompagné de bacon et de frites.
Don Juan fut une fois décrit comme "une énigme emballée dans un mystère, lui-même emballé dans une tortilla," et il en est de même pour Castaneda. Son agent, Tracy Kramer, et Cleargreen Inc., qui organise les séminaires, sont basés à Santa Monica. L’endroit où Castaneda passe la plupart de son temps est incertain. Au cours du séminaire, une remarque passagère indiqua qu’il devait bien payer un impôt foncier quelque part.
"Je ne vis pas ici, dit Castaneda. Je ne suis pas du tout là. J’utilise toujours l’euphémisme ‘J’étais à Mexico.’ Chacun d’entre nous divisons notre temps entre être ici et être tiré par quelque chose d'indescriptible et qui fait de nous les visiteurs d’un autre royaume. Mais au moment où vous commencez à en parler, vous avez l’air d’un idiot.
"Une fois, j’ai donné une interview. La première chose que m’a dit l’intervieweur fut, ‘On m’a dit que vous vous êtes transformé en corbeau. C’est vrai? Hahahaha.’ J’ai essayé de lui expliquer l’inter-subjectivité. ‘Pffff’, il a dit, ‘répondez-moi oui ou non.’ J’ai dit non."
"Pourquoi ne permettez-vous pas d’être photographié ou que votre voix soit enregistrée?" Demandai-je.
"L’enregistrement est une manière de vous figer dans le temps, répondit Castaneda. Un monde stagnant, une image stagnante sont l’antithèse du sorcier...Peut-être avez-vous vu un dessin représentant Carlos Castaneda [par Richard Oden pour Psychology Today en décembre 1997]. Il n’y avait pas de photographe, alors il m’a dessiné. C’était il y a trente ans. Pas très bon. Il a décidé de refaire le dessin. Ce fut un flop."
Les photographies ne sont pas les seules à être figées. "Le Nom de Dieu reste inchangé, dit-il. C’est un univers vivant. Ce qui est en flux est ce qui vit. Un monde inchangé doit par définition appartenir à un monde mort. Dans un univers qui est obligé de changer, il y aurait un mot écrit qui resterait inchangé? Ça c’est le monde du taxidermiste."
Lorsque le sandwich au fromage fondu de Castaneda arriva, le seigle était marbré de petits grains noirs. "C’est quoi ça, du pain au chocolat?" Demanda t-il avant de le renvoyer en cuisine. Mon esprit était à des milliers de kilomètres, peut-être sur un banc à Oaxaca.
"D’après votre livre Le Don De L’Aigle, don Juan Matus n’est pas mort, il est parti, il a ‘brûlé de l’intérieur.’ Allez-vous partir ou allez-vous mourir?
"Etant donné que je suis un connard, je suis sûr que je vais mourir, répliqua Castaneda. J’espère que j’aurais l’intégrité suffisante pour quitter le monde à sa manière…J’ai l’horrible sentiment que non. Mais je l'espère. J’y travaille comme un forcené."
Je me rappelai un article datant au moins d’une dizaine d’années, qui avait surnommé Castaneda le "Parrain du New Age."
"C’était le ‘grand-père’ ! protesta t-il. Et j'ai pensé, s’il vous plaît, appelez-moi l’oncle ou le cousin, pas le grand-père ! Oncle Charlie fera l’affaire. J’étais dépité de pouvoir être le grand-père de quoi que ce soit. Je lutte contre la sénilité et le vieil âge, à un point que vous ne pouvez pas imaginer. J’étais sénile lorsque j’ai rencontré don Juan, j’ai lutté durant 35 ans…
"Être jeune durant sa jeunesse n’est rien, dit Castaneda. Être vieux tout en restant jeune, ça c’est de la sorcellerie !"
Castaneda, dont l’ambiguïté est une façon de vivre à force d’être impitoyablement poursuivi, est un mélange des deux. Et son âge est aussi valable que n’importe quoi d’autre pour se faire une idée de l’homme.
D’après la société des Auteurs Contemporains (Contemporary Authors), Castaneda donne sa date et son lieu de naissance comme étant le 25 décembre 1931, à Sao Paulo au Brésil. Les registres d’immigration indiquent le 25 décembre, et l’année 1925, à Cajamarca au Pérou ; d’autres sources citent la fin des années 30. Un article du New York Times lui donnait 66 ans en 1981.
Donc, il est quelque part entre 60 et 80 ans, plutôt 64. Ou 70. Réciproquement, des sources autrement plus fiables indiquent que l’année où il a obtenu son doctorat se situe entre 1970 et 1973. En d’autres mots, c’est un être organique glissant.
Je posai une question sur les êtres inorganiques.
"Ils possèdent une conscience mais pas d’organisme, répondit Castaneda. Pourquoi la conscience devrait être la possession exclusive d’un organisme?"
L’Art De Rêver finit sur un épisode raconté par Castaneda se passant au milieu des années 70, lorsque Carol Tiggs et lui sont en train de "rêver" dans une chambre d’hôtel de Mexico, et que Tiggs disparaît à l’intérieur de ces rêves. (Elle est partie en voyage dans la "seconde attention," un état de conscience où l’énergie n’est pas dévorée par les "flyers.") D’après Castaneda, elle a réapparu dix ans plus tard, dans une librairie de Santa Monica, alors qu’il donnait une conférence.
Ce fut la Tiggs reconstituée qui donna l’impulsion de compiler les "passes magiques" de Tenségrité. D’après Castaneda, don Juan enseigna à ses quatre disciples des lignes séparées de passes toujours changeantes. Les deux autres, Florinda Donner-Grau et Taisha Abelar, ont chacune publié les compte-rendus de leur apprentissage, les deux se démarquant nettement de ceux de Castaneda, mais que celui-ci a approuvé.
Au cours des dix dernières années, le groupe a "arrangé les passes," arrivant à un consensus suffisamment générique pour être utilisé par la multitude. Si les mouvements de Tenségrité (le nom dérive d’un terme architectural relié à l’efficacité squelettique, combinant idéalement "tension" et "intégrité") semblent souvent angulaires et féroces à première vue. Ils sont intentionnés pour produire une secousse.
"Une fois, j’ai vu un magnifique film de science-fiction dans lequel des créatures d’une autre planète apparaissaient, dit Castaneda, trrrrèèèèès lentement. Un changement de perception ne se produit jamais de cette façon. C’est comme ça. D’un coup sec ! Vous annulez les paramètres de la perception normale. Vous bougez comme un voleur. Presque immédiatement, le voleur revient. C’est juste un instant. Mais les instants deviennent de plus en plus longs."
Les Chacmools ont dû être gommées, mais pas la Tenségrité. Une nouvelle formation de guerriers-gardiens a été mise en place pour guider les futurs séminaires, agrémentés de conférences données par les quatre disciples de don Juan – et un être inorganique appelé l’Eclaireur bleu.
La prémisse de don Juan était que le monde tel que nous le connaissons est seulement une version de la réalité, un état culturellement implanté fait d’accords et de descriptions. Castaneda parla de la futilité des avenues habituelles de l’investigation :
"Si vous cherchez avec le mental, cela ne vous mènera nulle part, si ce n’est à une situation tautologique où vous vous retrouvez à répéter des évidences. En science, les questions tautologiques se prouvent d’elles-mêmes. C’est l’art de notre science... ‘Toutes ces variables et rien d’autre.’ Nous sommes les champions du pseudo contrôle – nous réduisons le problème à une science docile. Quel fantasme !"
"Un jour, en me dirigeant vers la cafétéria de UCLA, je ne voyais plus les gens, je voyais de l’énergie, des bulles, des sphères lumineuses. C’était radieux. Avant ça, rien n’existait à part moi, moi, moi. Je suis allé voir un psychiatre avec qui je travaillais. Très gentiment, il m’a prescrit un tranquillisant et m’a dit, ‘Carlos, tu travailles trop. Prends deux jours de congé.’ C’était impossible d’établir un dialogue avec lui."
Les propres recherches de Castaneda l’ont mené de l’anthropologie académique vers l’herméneutique pratique, la science de l’interprétation ; il a lancé un journal en janvier, La Voie du Guerrier : Un Journal d’Herméneutique Appliquée. Des titres étudiés pour un travail gigantesque en cours incluant l’ethno-herméneutique et l’anthropologie phénoménologique.
"Lorsque les sorciers voient, l’herméneutique est leur ultime aventure," dit Castaneda. Voir, pour la plupart d’entre nous, n’implique apparemment que le sens de la vue, et encore seulement de manière minimale.
"Lorsque vous me regardez maintenant, que voyez-vous?" Demandai-je.
"J’ai besoin d’être dans une humeur spéciale, dit-il. Il est très difficile pour moi de voir. J’ai besoin d’être dans une humeur très sombre, très lourde. Si je suis joyeux et que je vous regarde, je ne vois rien. Alors je me retourne et je la vois, et qu’est-ce que je vois? ‘J’ai rejoint la marine pour voir le monde, et qu’est-ce que je vois? Je vois la mer!’
"J’en sais plus que je ne le voudrais. C’est l’enfer, vraiment. Si vous voyez trop, vous devenez insupportable."
Castaneda commanda un cappuccino, puis enleva méticuleusement la mousse de lait, cuillérée après cuillérée.
D’après Castaneda, la plupart des sorciers doivent rester célibataires afin de conserver leur énergie. "Tout dépend des circonstances dans lesquelles nous avons a été conçus."
"La plupart d’entre nous sommes ce que nous appelons des B.E., le produit d’une baise ennuyeuse, expliqua t-il. Comment est-ce que j’ai été conçu? Etait-ce au cours d’une grande excitation sexuelle, ou était-ce fade, stupide, fantaisiste? Pour moi ce fut stupide. Les deux personnes impliquées ne savaient pas ce qu’elles faisaient. J’ai été conçu derrière une porte, donc je suis venu au monde en étant très nerveux, sur le qui-vive. Et c’est comme ça que je suis, en gros. Pour moi, faire usage de l’énergie que je n’ai pas peut être fatal."
"Qu’en est-il des gens mariés?"
"Cette question revient sans arrêt. C’est une question d’énergie, dit-il. Si vous savez que vous n’avez pas été conçu dans un état de véritable excitation, alors non. A un certain niveau, cela ne change rien que les gens soient mariés ou pas. Avec le lancement de la Tenségrité, nous ne savons pas vraiment ce qui va se passer."
"Vous ne savez pas ce qui va se passer? Cela semble irresponsable."
"Comment pourrions-nous le savoir? Demanda t-il. C’est une implication de notre système syntaxique. Notre syntaxe exige un début, un développement, et une fin. J’étais, je suis, je serai. Nous sommes pris là-dedans. Comment pourrions-nous savoir ce que vous serez capable de faire si vous avez suffisamment d’énergie
"Je suis en train de vous donner une série d’idées, si vous avez les couilles de les prendre au sérieux. Peut-être que vous vous dites que c’est stupide, qu’est-ce que c’est que ces conneries? Comme la petite victime qui pleurniche, ‘Mais qu’est-ce qui va m’arriver?’ On ne le saura jamais."
"Les autres disciples – ces pets – ont des couilles ; ce sont des femmes gigantesques, avec les plus grosses couilles que vous ayez jamais vues. Essayez d’arrêter Taisha Abelar et voyez ce qui arrive. Essayez d’arrêter Florinda."
Le quatrième disciple, lui-même ne bronche pas.
"Don Juan a catégorisé les gens en trois types, dit-il. L’un regroupe les pets, comme moi, un pet puant – très sûr de lui, prêt à vous dire, ‘Allez vous faire foutre, vous êtes sûr qu’il faut faire comme ça?’ Et don Juan, très patiemment, m’assurait que oui, il en était sûr. Je n’ai pas cette patiente. Si quelqu’un me demande si je suis sûr, ça me rend dingue parce que je ne suis pas sûr !"
"Dans la seconde catégorie on trouve la pisse en or – les êtres les plus doux, les plus gentils. Ils pourraient mourir pour vous, enfin c’est ce qu’ils disent. Ils ne le feront pas, mais ils le diront, ce qui est très gentil – plus gentil que le pet, pour qui vous devez mourir."
"Le troisième type, c’est le vomi. Pas un pet, pas une pisse, juste un vomi – le genre qui n’a rien à donner, mais qui promet le monde, et que vous devez supplier…"
"Par chance, j’étais un pet, et don Juan a pris beaucoup de plaisir avec ce pet."
Par Benjamin Epstein
Psychology Today - Mars/Avril 1996
Castaneda, une des figures les plus insaisissables des temps modernes, s’est récemment matérialisé à notre plus grande surprise durant une petite conférence à Anaheim en Californie. Le reporteur Benjamin Epstein était sur place pour marquer le coup.
Il est l’auto-apprenti sorcier du vingtième siècle. Il est l’homme invisible, éphémère, évanescent : à un moment vous le voyez, le moment d’après vous ne le voyez plus. Il est le navigateur traçant sa route à travers un univers vivant dans un flux exquis. Ou bien, comme le dit lui-même Castaneda, il est un connard, un imbécile, un pet. Il a été dit que Jésus Christ était soit le Fils de Dieu, soit le plus grand menteur qui ait jamais existé. Carlos Castaneda, qui doit sans doute avoir un culte d’adeptes mais qui dit que les déités sont la dernière chose dont les gens aient besoin, présente une énigme similaire. Les critiques lui ont mis le grappin dessus : l’une d’entre elles l’appelle le "faux-homme (jeu de mots sur ‘sham-man’) qui distribue des cadeaux...il a menti pour nous apporter la vérité."
Le jury a toujours était là, depuis que des livres comme L’Herbe Du Diable Et La Petite Fumée ont produit une véritable tempête au sein du public et du monde académique dans les années 60 et 70, et qui est toujours d’actualité. Castaneda a maintenant publié neuf livres qu’il déclare être basés sur ses expériences surnaturelles avec don Juan Matus, un voyant yaqui. Demeurer invisible, dit-il, est la voie du sorcier. Il ne permet jamais d’être pris en photo ou que sa voix soit enregistrée. Il ne donne que très rarement des interviews. Dans les années 80, il a complètement disparu de façon frappante. Mais ses livres continuent de se vendre (8 millions dans 17 pays) et n’ont jamais été épuisés. En 1993, il a commencé à donner des séminaires occasionnels, et L’Art De Rêver est parut l’année d’après.
Malgré le très promotionnel "La Tenségrité de Carlos Castaneda," à l’occasion d’un récent week-end de séminaire près de Disneyland à Anaheim, même les organisateurs de l’évènement ne savaient pas si Castaneda se montrerait. Même si 400 dévots venus du monde entier – dont un tiers de Californie – aient payé chacun 250$ pour y assister que Castaneda se montre ou pas. Ils sont venus pour apprendre des séries de "passes magiques," des mouvements dont l’intention est d’accroître la perception.
"C’est un univers pensant, un univers vivant, un univers exquis!" dit Castaneda, en démarrant le séminaire de manière exubérante. "Nous devons équilibrer la linéarité de l’univers connu avec la non linéarité de l’univers inconnu." Le charismatique Castaneda se révèle être étonnamment convainquant lorsqu’il décrit sa vie au milieu des êtres inorganiques, avec qui il a apparemment passé beaucoup de temps ; le point d’assemblage, un endroit situé à un bras de distance derrière nos omoplates qui peut se déplacer pour visiter d’autres royaumes ; et un univers prédateur dans lequel les "flyers" se nourrissent sans arrêt de la conscience humaine, ôtant la brillance de nos œufs lumineux et ne nous laissant qu’un tas de débris constitué d’égocentrisme et d’égomanie.
Il insiste sur le fait qu’il n’a rien inventé. "Je ne suis pas fou vous savez. Bon, peut-être un petit peu fou. Mais pas ridiculement fou!"
Il est également charmant, énergique, en pleine forme, et drôle. Et en conclusion de sa conférence d’introduction, Castaneda répondit à une demande d’interview en invitant subitement le journaliste à dîner.
Être assis dans un café de Anaheim, en face de Castaneda, était suffisant pour réaligner le point d’assemblage de n’importe qui : le journaliste prit sa non linéarité à cœur, glissant avec facilité entre le déjeuner et les conférences du séminaire, et se laissant entraîné par le type de discours qu’utilise souvent Castaneda pour élucider les idées de son maître. Après tout, Castaneda a remplacé don Juan en tant que nagual, le sorcier en chef, un être avec deux sphères lumineuses, et si c’est bon pour un nagual, c’est bon pour un autre.
A la table se trouvent quelques membres du personnel de Cleargreen et les trois femmes chacmools qui ont aidé Castaneda à compiler les mouvements, et qui les enseignent méthodiquement durant le séminaire.
"Est-ce cela que vous avez fait durant tout ce temps, des passes magiques?" demandai-je à Castaneda.
"Noooon…j’étais très rondouillard," dit-il. Don Juan m’a recommandé une utilisation obsessionnelle des passes magiques pour garder mon corps à son niveau optimal. Donc, en termes d’activité physique, oui, c’est ce que nous faisons. Les mouvements forcent également notre conscience à se concentrer sur l’idée que nous sommes des sphères lumineuses, un conglomérat de champs énergétiques, maintenus ensemble par une colle spéciale."
"Est-ce que la Tenségrité est un T’ai Chi toltèque? Un Yoga toltèque?" Demandai-je.
"Comparer la Tenségrité avec le Yoga ou le T’ai Chi est impossible. Elle a une origine différente et un but différent. Son origine est chamanique, son but est chamanique. Cela a à voir avec notre raison d’être. Notre raison d’être est d’affronter l’infini.
"Nous allons tous affronter l’infini au moment de mourir, dit-il. Pourquoi l’affronter alors que nous sommes faibles, alors que nous sommes brisés? Pourquoi ne pas le faire tant que nous sommes forts? Pourquoi pas maintenant? Vous devez l’affronter pragmatiquement. On ne peut pas se permettre de nourrir des idéaux."
"Où se trouve la place de Jésus là dedans? Où se trouve Bouddha?"
"Ce sont des idéalités, répondit Castaneda. Ils sont trop énormes, trop gigantesques pour être réels. Ce sont des déités. L’un et le Prince du Bouddhisme, l’autre le Fils de Dieu...les idéalités ne peuvent pas être utilisées dans un mouvement pragmatique."
"Permettez à votre perception de casser le système d’interprétation – un arbre cesse d’être un arbre et devient pure énergie – cela est une manœuvre pragmatique. Les choses avec lesquelles traitent les chamans sont extrêmement pratiques. Ils brisent les paramètres de la réalité historique normale. Les passes magiques n’en sont qu’un aspect."
Castaneda est très négatif à propos de la religion. Mais ce ne sont pas les diatribes habituelles. "Laisse Jésus sur sa croix. Il est très heureux là-haut ! disait don Juan. Arrête de l’embêter, laisse le tranquille. Ne lui demande pas ‘Pourquoi es-tu là, crucifié?’ Cela le rendrait cinglé de t’expliquer pourquoi.’ Alors c’est ce que j’ai fait. Il m’a dit bonjour, et puis salut."
Le serveur arriva pour prendre la commande. Les seuls choix discutés semblaient être le faux-filet, les côtes d’agneau, et le filet mignon, tout cela ne s’accordait guère avec les disciplines propres au New-Age.
"Les sorciers disent, ‘Que vous mangiez de la laitue ou un steak, c’est un être sensible’," m’explique la Chacmool Kylie Lundhal. Il s’avère que les Chacmools, nom donné aux gigantesques figures de gardien des pyramides mexicaines étaient pour ainsi dire totalement là aujourd’hui, et disparaîtraient le lendemain. Elles ont été relevées de leurs fonctions à la fin du séminaire, au cours des derniers commentaires de Castaneda. Personne n’a jamais dit que le chemin du guerrier était facile.
Castaneda commanda du pain de seigle avec du fromage fondu accompagné de bacon et de frites.
Don Juan fut une fois décrit comme "une énigme emballée dans un mystère, lui-même emballé dans une tortilla," et il en est de même pour Castaneda. Son agent, Tracy Kramer, et Cleargreen Inc., qui organise les séminaires, sont basés à Santa Monica. L’endroit où Castaneda passe la plupart de son temps est incertain. Au cours du séminaire, une remarque passagère indiqua qu’il devait bien payer un impôt foncier quelque part.
"Je ne vis pas ici, dit Castaneda. Je ne suis pas du tout là. J’utilise toujours l’euphémisme ‘J’étais à Mexico.’ Chacun d’entre nous divisons notre temps entre être ici et être tiré par quelque chose d'indescriptible et qui fait de nous les visiteurs d’un autre royaume. Mais au moment où vous commencez à en parler, vous avez l’air d’un idiot.
"Une fois, j’ai donné une interview. La première chose que m’a dit l’intervieweur fut, ‘On m’a dit que vous vous êtes transformé en corbeau. C’est vrai? Hahahaha.’ J’ai essayé de lui expliquer l’inter-subjectivité. ‘Pffff’, il a dit, ‘répondez-moi oui ou non.’ J’ai dit non."
"Pourquoi ne permettez-vous pas d’être photographié ou que votre voix soit enregistrée?" Demandai-je.
"L’enregistrement est une manière de vous figer dans le temps, répondit Castaneda. Un monde stagnant, une image stagnante sont l’antithèse du sorcier...Peut-être avez-vous vu un dessin représentant Carlos Castaneda [par Richard Oden pour Psychology Today en décembre 1997]. Il n’y avait pas de photographe, alors il m’a dessiné. C’était il y a trente ans. Pas très bon. Il a décidé de refaire le dessin. Ce fut un flop."
Les photographies ne sont pas les seules à être figées. "Le Nom de Dieu reste inchangé, dit-il. C’est un univers vivant. Ce qui est en flux est ce qui vit. Un monde inchangé doit par définition appartenir à un monde mort. Dans un univers qui est obligé de changer, il y aurait un mot écrit qui resterait inchangé? Ça c’est le monde du taxidermiste."
Lorsque le sandwich au fromage fondu de Castaneda arriva, le seigle était marbré de petits grains noirs. "C’est quoi ça, du pain au chocolat?" Demanda t-il avant de le renvoyer en cuisine. Mon esprit était à des milliers de kilomètres, peut-être sur un banc à Oaxaca.
"D’après votre livre Le Don De L’Aigle, don Juan Matus n’est pas mort, il est parti, il a ‘brûlé de l’intérieur.’ Allez-vous partir ou allez-vous mourir?
"Etant donné que je suis un connard, je suis sûr que je vais mourir, répliqua Castaneda. J’espère que j’aurais l’intégrité suffisante pour quitter le monde à sa manière…J’ai l’horrible sentiment que non. Mais je l'espère. J’y travaille comme un forcené."
Je me rappelai un article datant au moins d’une dizaine d’années, qui avait surnommé Castaneda le "Parrain du New Age."
"C’était le ‘grand-père’ ! protesta t-il. Et j'ai pensé, s’il vous plaît, appelez-moi l’oncle ou le cousin, pas le grand-père ! Oncle Charlie fera l’affaire. J’étais dépité de pouvoir être le grand-père de quoi que ce soit. Je lutte contre la sénilité et le vieil âge, à un point que vous ne pouvez pas imaginer. J’étais sénile lorsque j’ai rencontré don Juan, j’ai lutté durant 35 ans…
"Être jeune durant sa jeunesse n’est rien, dit Castaneda. Être vieux tout en restant jeune, ça c’est de la sorcellerie !"
Castaneda, dont l’ambiguïté est une façon de vivre à force d’être impitoyablement poursuivi, est un mélange des deux. Et son âge est aussi valable que n’importe quoi d’autre pour se faire une idée de l’homme.
D’après la société des Auteurs Contemporains (Contemporary Authors), Castaneda donne sa date et son lieu de naissance comme étant le 25 décembre 1931, à Sao Paulo au Brésil. Les registres d’immigration indiquent le 25 décembre, et l’année 1925, à Cajamarca au Pérou ; d’autres sources citent la fin des années 30. Un article du New York Times lui donnait 66 ans en 1981.
Donc, il est quelque part entre 60 et 80 ans, plutôt 64. Ou 70. Réciproquement, des sources autrement plus fiables indiquent que l’année où il a obtenu son doctorat se situe entre 1970 et 1973. En d’autres mots, c’est un être organique glissant.
Je posai une question sur les êtres inorganiques.
"Ils possèdent une conscience mais pas d’organisme, répondit Castaneda. Pourquoi la conscience devrait être la possession exclusive d’un organisme?"
L’Art De Rêver finit sur un épisode raconté par Castaneda se passant au milieu des années 70, lorsque Carol Tiggs et lui sont en train de "rêver" dans une chambre d’hôtel de Mexico, et que Tiggs disparaît à l’intérieur de ces rêves. (Elle est partie en voyage dans la "seconde attention," un état de conscience où l’énergie n’est pas dévorée par les "flyers.") D’après Castaneda, elle a réapparu dix ans plus tard, dans une librairie de Santa Monica, alors qu’il donnait une conférence.
Ce fut la Tiggs reconstituée qui donna l’impulsion de compiler les "passes magiques" de Tenségrité. D’après Castaneda, don Juan enseigna à ses quatre disciples des lignes séparées de passes toujours changeantes. Les deux autres, Florinda Donner-Grau et Taisha Abelar, ont chacune publié les compte-rendus de leur apprentissage, les deux se démarquant nettement de ceux de Castaneda, mais que celui-ci a approuvé.
Au cours des dix dernières années, le groupe a "arrangé les passes," arrivant à un consensus suffisamment générique pour être utilisé par la multitude. Si les mouvements de Tenségrité (le nom dérive d’un terme architectural relié à l’efficacité squelettique, combinant idéalement "tension" et "intégrité") semblent souvent angulaires et féroces à première vue. Ils sont intentionnés pour produire une secousse.
"Une fois, j’ai vu un magnifique film de science-fiction dans lequel des créatures d’une autre planète apparaissaient, dit Castaneda, trrrrèèèèès lentement. Un changement de perception ne se produit jamais de cette façon. C’est comme ça. D’un coup sec ! Vous annulez les paramètres de la perception normale. Vous bougez comme un voleur. Presque immédiatement, le voleur revient. C’est juste un instant. Mais les instants deviennent de plus en plus longs."
Les Chacmools ont dû être gommées, mais pas la Tenségrité. Une nouvelle formation de guerriers-gardiens a été mise en place pour guider les futurs séminaires, agrémentés de conférences données par les quatre disciples de don Juan – et un être inorganique appelé l’Eclaireur bleu.
La prémisse de don Juan était que le monde tel que nous le connaissons est seulement une version de la réalité, un état culturellement implanté fait d’accords et de descriptions. Castaneda parla de la futilité des avenues habituelles de l’investigation :
"Si vous cherchez avec le mental, cela ne vous mènera nulle part, si ce n’est à une situation tautologique où vous vous retrouvez à répéter des évidences. En science, les questions tautologiques se prouvent d’elles-mêmes. C’est l’art de notre science... ‘Toutes ces variables et rien d’autre.’ Nous sommes les champions du pseudo contrôle – nous réduisons le problème à une science docile. Quel fantasme !"
"Un jour, en me dirigeant vers la cafétéria de UCLA, je ne voyais plus les gens, je voyais de l’énergie, des bulles, des sphères lumineuses. C’était radieux. Avant ça, rien n’existait à part moi, moi, moi. Je suis allé voir un psychiatre avec qui je travaillais. Très gentiment, il m’a prescrit un tranquillisant et m’a dit, ‘Carlos, tu travailles trop. Prends deux jours de congé.’ C’était impossible d’établir un dialogue avec lui."
Les propres recherches de Castaneda l’ont mené de l’anthropologie académique vers l’herméneutique pratique, la science de l’interprétation ; il a lancé un journal en janvier, La Voie du Guerrier : Un Journal d’Herméneutique Appliquée. Des titres étudiés pour un travail gigantesque en cours incluant l’ethno-herméneutique et l’anthropologie phénoménologique.
"Lorsque les sorciers voient, l’herméneutique est leur ultime aventure," dit Castaneda. Voir, pour la plupart d’entre nous, n’implique apparemment que le sens de la vue, et encore seulement de manière minimale.
"Lorsque vous me regardez maintenant, que voyez-vous?" Demandai-je.
"J’ai besoin d’être dans une humeur spéciale, dit-il. Il est très difficile pour moi de voir. J’ai besoin d’être dans une humeur très sombre, très lourde. Si je suis joyeux et que je vous regarde, je ne vois rien. Alors je me retourne et je la vois, et qu’est-ce que je vois? ‘J’ai rejoint la marine pour voir le monde, et qu’est-ce que je vois? Je vois la mer!’
"J’en sais plus que je ne le voudrais. C’est l’enfer, vraiment. Si vous voyez trop, vous devenez insupportable."
Castaneda commanda un cappuccino, puis enleva méticuleusement la mousse de lait, cuillérée après cuillérée.
D’après Castaneda, la plupart des sorciers doivent rester célibataires afin de conserver leur énergie. "Tout dépend des circonstances dans lesquelles nous avons a été conçus."
"La plupart d’entre nous sommes ce que nous appelons des B.E., le produit d’une baise ennuyeuse, expliqua t-il. Comment est-ce que j’ai été conçu? Etait-ce au cours d’une grande excitation sexuelle, ou était-ce fade, stupide, fantaisiste? Pour moi ce fut stupide. Les deux personnes impliquées ne savaient pas ce qu’elles faisaient. J’ai été conçu derrière une porte, donc je suis venu au monde en étant très nerveux, sur le qui-vive. Et c’est comme ça que je suis, en gros. Pour moi, faire usage de l’énergie que je n’ai pas peut être fatal."
"Qu’en est-il des gens mariés?"
"Cette question revient sans arrêt. C’est une question d’énergie, dit-il. Si vous savez que vous n’avez pas été conçu dans un état de véritable excitation, alors non. A un certain niveau, cela ne change rien que les gens soient mariés ou pas. Avec le lancement de la Tenségrité, nous ne savons pas vraiment ce qui va se passer."
"Vous ne savez pas ce qui va se passer? Cela semble irresponsable."
"Comment pourrions-nous le savoir? Demanda t-il. C’est une implication de notre système syntaxique. Notre syntaxe exige un début, un développement, et une fin. J’étais, je suis, je serai. Nous sommes pris là-dedans. Comment pourrions-nous savoir ce que vous serez capable de faire si vous avez suffisamment d’énergie
"Je suis en train de vous donner une série d’idées, si vous avez les couilles de les prendre au sérieux. Peut-être que vous vous dites que c’est stupide, qu’est-ce que c’est que ces conneries? Comme la petite victime qui pleurniche, ‘Mais qu’est-ce qui va m’arriver?’ On ne le saura jamais."
"Les autres disciples – ces pets – ont des couilles ; ce sont des femmes gigantesques, avec les plus grosses couilles que vous ayez jamais vues. Essayez d’arrêter Taisha Abelar et voyez ce qui arrive. Essayez d’arrêter Florinda."
Le quatrième disciple, lui-même ne bronche pas.
"Don Juan a catégorisé les gens en trois types, dit-il. L’un regroupe les pets, comme moi, un pet puant – très sûr de lui, prêt à vous dire, ‘Allez vous faire foutre, vous êtes sûr qu’il faut faire comme ça?’ Et don Juan, très patiemment, m’assurait que oui, il en était sûr. Je n’ai pas cette patiente. Si quelqu’un me demande si je suis sûr, ça me rend dingue parce que je ne suis pas sûr !"
"Dans la seconde catégorie on trouve la pisse en or – les êtres les plus doux, les plus gentils. Ils pourraient mourir pour vous, enfin c’est ce qu’ils disent. Ils ne le feront pas, mais ils le diront, ce qui est très gentil – plus gentil que le pet, pour qui vous devez mourir."
"Le troisième type, c’est le vomi. Pas un pet, pas une pisse, juste un vomi – le genre qui n’a rien à donner, mais qui promet le monde, et que vous devez supplier…"
"Par chance, j’étais un pet, et don Juan a pris beaucoup de plaisir avec ce pet."