Interview radiophonique de Taisha Abelar par John Martinez sur Radio KPFK
( Transcription )
Radio KPFK - février 1993 - Interview dans les locaux de Toltecs Artist Inc. - Los Angeles
John Martinez : Taisha Abelar est l'auteur du Passage des Sorciers, Le Voyage Initiatique d'une Femme. Elle fait le récit de son expérience, comment elle a fait la connaissance des sorciers et des pratiques véritables de sorcellerie. Collègue de Carlos Castaneda, de Carlos Tiggs et de Florinda Donner-Grau, Taisha Abelar parle dans l'interview suivante de la validité des expériences de la réalité non-ordinaire et explique en détails les processus des sorciers, aussi bien que les perspectives des sorciers concernant l'ordre social, le féminisme et la liberté.
Et nous sommes ici avec Taisha Abelar, auteur du Passage des Sorciers, Le Voyage Initiatique d'une Femme. Tout d'abord, Madame Abelar, bienvenue sur KPFK.
Taisha Abelar : Oui, c'est un grand plaisir d'être ici et de me voir offrir la possibilité de parler de mon travail et de quelques-uns des concepts de sorcellerie.
JM : Taisha, pourriez-vous s'il vous plaît commencer par une courte biographie de vous-même, de votre vie, antérieurement à ce dont vous faites référence dans le livre, pour donner à nos auditeurs une idée générale de qui est exactement Taisha Abelar.
TA : La question que vous venez de poser ne s'adresse pas réellement à Taisha Abelar car Taisha Abelar est un nom sorcier qui m'a été donné afin d'achever un certain stade de mon apprentissage. L'apprentissage en question déplaçait réellement le point d'assemblage, et je parlerai de ça à un autre moment. Donc la position depuis laquelle je vous parle est une position de sorcier, la position d'une sorcière. Et c'est ce qu'est Taisha Abelar.
Avant cela, j'étais une personne ordinaire. Je suis entrée dans le monde de don Juan vers l'âge de vingt ans, et je n'avais aucune aptitude particulière. J'étais juste une jeune femme ignorante qui n'avait aucun centre d'intérêt, à part celui de vivre une romance ou d'être aimée, soucieuse de ce que les gens disaient d'elle. Je ne poursuivais pas le moindre apprentissage académique.
Donc, mon histoire, avant d'entrer dans le monde de don Juan, est vraiment comparable à celle de n'importe qui. On me pose souvent la question, "Aviez-vous quelque aptitude particulière qui vous a permis de vous ouvrir à cela, ou avez-vous été choisie d'une certaine manière?" Non. Pensez plutôt à moi comme à une personne normale, une personne comme une autre qui est tombée sur le monde de don Juan.
De mon point de vue, cela était perturbant parce que j'étais simplement dans le désert. J'avais l'habitude de dessiner. Je faisais quelques croquis quand une femme s'est approchée de moi. Et nous avons commencé à parler. J'ai pensé que c'était une personne très intéressante parce qu'elle était allée en Chine et qu'elle avait pratiqué les arts martiaux. Avant d'entrer dans le monde de don Juan, j'avais pratiqué, moi aussi, les arts martiaux.
Voilà ce qu'il y a eu avant. J'étais intéressée par le mouvement et aussi par le dessin, mais à part ça je n'avais pas d'autre centre d'intérêt. Elle m'a invité à aller au Mexique pour passer quelques jours en sa compagnie, et j'ai accepté parce que je pensais qu'on parlerait de Bouddhisme et de philosophie orientale et de choses comme ça.
Alors je l'ai suivie et suis restée quelques jours avec elle au Mexique. Les jours sont devenus des semaines, puis des mois. Et elle m'a poussé à pratiquer ces séries d'exercices qui... elle m'a dit qu'en me donnant un coup d'oeil rapide, elle avait vu que j'étais énergétiquement épuisée, et que je devais donc suivre un certain entraînement. Et je ne savais pas du tout que c'était de la sorcellerie.
Il y avait une grotte près de la maison et je devais y aller tous les jours et m'asseoir à l'intérieur. Elle disait que je devais suivre ce processus consistant à passer en revue toute ma vie. Je ne savais vraiment pas que c'était une technique ancienne de sorcellerie appelée "récapitulation". Cela engageait simplement la respiration pendant la remémoration du passé, afin de ramener l'énergie de ma propre histoire.
Et j'aborde cela maintenant parce que ce qui s'est passé au cours de cette procédure c'est que j'ai commencé à me perdre moi-même en tant que personne ordinaire. La récapitulation est une sorte de déblayage du moi humain ou du moi ordinaire, en terme de passé et de là où l'on est né. Toutes ces choses se dissolvent et vous perdez votre histoire personnelle, ce qui vous permet de construire votre personne en tant que sorcier, votre personnalité.
Puis j'ai rencontré don Juan. Quand j'ai eu accumulé assez d'énergie, j'ai été présentée à don Juan Matus et à quelques-uns de ses compagnons, de ses collègues, et ils m'ont appris les autres techniques de sorcellerie.
Une des caractéristiques relatives à mon état d'esprit à cette époque était que je n'avais aucun intérêt pour les études ou la connaissance ou... Je ne savais pas penser, je ne savais pas parler, avant d'entrer dans le monde de don Juan. J'étais une de ces personnes qui grandissent en apprenant qu'on ne doit pas parler à moins qu'on ne vous adresse la parole, que les enfants peuvent être regardés mais pas écoutés. Je ne connaissais alors aucun moyen de m'exprimer, je n'avais aucune idée de ce qu'était la conceptualisation. La pensée abstraite m'était totalement étrangère car je n'étais intéressée que par les choses pratiques de la vie de tous les jours, comme rencontrer d'autres personnes, trouver l'amour, et par tout ce qui intéresse les femmes à cet âge là.
Donc, dans ce sens, je n'avais rien d'extraordinaire. Alors, j'ai reçu l'ordre, car cela faisait partie de mon apprentissage de sorcière, d'entrer à l'université et d'entamer une formation. Il ne s'agissait pas seulement d'être capable de changer les attentes de la société concernant les femmes, en termes de... Bon, ce sont les hommes qui doivent recevoir une formation et avoir un travail ou faire une carrière, et d'autres choses, tandis que pour les femmes, c'est un peu comme elles veulent. Si elles veulent, c'est okay, si elles ne veulent pas, c'est aussi okay, parce que leur destin est déjà prédéterminé, c'est-à-dire, trouver un mari, avoir une famille et d'autres choses comme ça, ce qui faisait aussi partie de mon destin.
Donc, il y a eu deux aspects dans ma formation. L'un a consisté en quelque sorte à chambouler ce que j'attendais de mes possibilités, de mes capacités, ou de ce que les autres attendaient de moi. Et l'autre aspect, c'est que cela m'a donné l'occasion de devenir capable de penser de manière analytique, de conceptualiser, de comprendre ce qu'est la sorcellerie. Car bien qu'ils nous aient enseigné des techniques, certaines pratiques et procédures, ils nous ont également fourni des concepts très abstraits sur ce qu'est la sorcellerie, sur comment les sorciers perçoivent le monde et voient la réalité. Cela demande un intellect très aiguisé afin d'être capable de saisir l'essence de ce dont ils parlent.
Sinon vous ne restez qu'à un certain niveau, et vous abordez la sorcellerie à la manière, disons, d'un anthropologue : seulement depuis l'extérieur, en restant à la surface. Et vous pensez que la sorcellerie implique de chanter, de guérir, de danser, de porter des masques, de faire des rituels bizarres. Voilà nos conceptions, du point de vue de notre société, sur ce que font les sorciers.
Je ne savais rien de la sorcellerie à cette époque et je ne me doutais même pas que c'était ce qu'ils m'enseignaient, mais c'est venu petit à petit. Et alors que cela émergeait, il m'a fallu comprendre non pas le vernis superficiel de ce qu'est la sorcellerie mais ce que cela impliquait vraiment, et pour cela on doit avoir un intellect très pénétrant et une solide instruction pour être capable d’en saisir les concepts.
JM : Taisha, pouvez-vous... Je sais que Carlos Castaneda a écrit à propos du chemin de la connaissance yaqui et de sa quête pour devenir un homme de connaissance, … et avec l'ingestion de peyotl son travail est devenu très populaire à la fin des années 60 et au début des années 70. Et il est encore beaucoup lu aujourd'hui... Je sais que Castaneda a écrit l'avant-propos de votre livre. Pouvez-vous aborder les questions qui sont soulevées sans cesse avec Castaneda ? Tout d'abord le fait que son travail serait une fiction, puis le fait qu'il préconise ou donne son accord pour ce qu'on appelle aujourd'hui l’usage de drogues illicites. Pouvez-vous dire quelque chose sur l'influence de Castaneda aujourd'hui, vingt ans après ?
TA : Absolument, car l'apprentissage que j'ai reçu dans le monde de don Juan a été très semblable à celui de Carlos Castaneda ; nous sommes vraiment un très petit groupe à avoir reçu l'enseignement de don Juan et de ses associés. Il s'agit de moi, de Florinda Donner, qui a fait le récit de son apprentissage dans Les Portes du Rêve, et de Carol Tiggs. Nous sommes juste une poignée, et nous avons tous reçu fondamentalement le même enseignement.
Mais les ouvrages de Carlos Castaneda, bien sûr, sont sortis au tout début des années 60. Les deux premiers livres, L'Herbe du Diable et la Petite Fumée, et Voir traitent de l'utilisation des drogues... en fait, pas des drogues mais des plantes hallucinogènes. Ce sont des substances hallucinogènes que nous appelons des drogues d'altération de la conscience, ou quelque chose comme ça.
Il y a plusieurs raisons à cela. Je peux aborder cette question et ensuite revenir à la validité de son travail. La raison pour laquelle don Juan a donné des drogues à Carlos Castaneda durant son apprentissage tient en deux points. Le premier est que Carlos Castaneda était le nouveau nagual. Il était celui qui était vu à cette époque comme le leader du nouveau groupe, même si cette situation a évolué dramatiquement. Il n'y a vraiment pas de groupe depuis.
Quelque chose, au cours de l'enseignement, a fait que don Juan et ses proches ont réalisé que cette génération n'était pas du tout la même que la leur. Il y a donc eu des changements notoires dans son apprentissage, en opposition à l'apprentissage traditionnel d'un sorcier. Mais il voulait poursuivre malgré tout. Don Juan a donc pensé qu'il devait transmettre la tradition de l'utilisation et du mode de préparation de ces plantes car cela faisait partie de la tradition de sorcellerie, et il était de son devoir de la transmettre à son apprenti. Ainsi, il lui a enseigné toute la tradition, toute les préparations, tous les détails de l'utilisation de ces plantes.
La seconde raison a été que le but de l'utilisation des plantes se rapporte, comme disent les sorciers, au déplacement du point d'assemblage. Je pense que je dois expliquer à présent ce qu'est le point d'assemblage, parce qu'on va en reparler, sinon ce ne sera pas clair pour les auditeurs.
Quand les sorciers voient le corps énergétique d'une personne, ils voient un point de luminosité très intense fait d'une lumière très brillante. Celui-ci est situé à un certain endroit sur le corps énergétique et illumine certains filaments énergétiques qui s'alignent avec les fibres énergétiques de l'univers dans son ensemble. Il y a donc un nombre infini de possibilités qui composent l'univers et qui composent également nos corps d'énergie. Seule une très petite portion d'entre elles, une "bande", s'aligne avec ce qu'il y a dehors pour assembler, disons, les perceptions qui sont là dehors dans l'univers.
Quand cet alignement se produit, les sorciers disent que la perception a lieu. Nous construisons notre réalité. Et cela dépend de la position du point d'assemblage. Donc nous sommes tous nés sur une certaine position. Nous avons tous nos points d'assemblage à un certain endroit qui fait que nous nous accordons mutuellement sur ce que nous voyons, que nous nous accordons sur ce que nous percevons.
L'utilisation des drogues, ou des plantes psychotropes, déplace le point d'assemblage vers des positions différentes et allume des filaments différents, ce qui nous fait percevoir des choses différentes. Les drogues, par le biais des réactions chimiques... affectent le corps d'énergie, et vous avez des perceptions différentes, vous percevez certaines choses.
Maintenant, la raison pour laquelle don Juan a exposé Carlos aux plantes psychotropes n'était pas juste la tradition, mais Carlos étant un être rationnel, il lui était très difficile de déplacer son point d'assemblage en utilisant des méthodes naturelles et les autres pratiques de sorcellerie. Il devait être fortement ébranlé pour pouvoir sortir rapidement de cette position. Et c'est ce que font ces plantes, l'usage de la petite fumée ou du peyotl. Elles déplacent le point d'assemblage violemment et énergiquement vers une autre position.
Les dangers encourus sont néanmoins énormes. Par exemple, parce qu'il n'y a aucun contrôle. Rien ne vous dit vers où le point d'assemblage va se déplacer, quels univers vous allez percevoir, sous l'influence de la petite fumée ou juste des drogues d'aujourd'hui, que ce soit de la marijuana, ou même du tabac... Cela n'a pas besoin d'être de la cocaïne, ou des choses comme ça. Les dangers sont les mêmes. Nous n'avons aucun contrôle sur ce qui va arriver à notre perception de la réalité. Puis il y a les dangers physiques : le mal que cela produit au corps, combien cela est nocif au corps d'énergie à cause de l'énergie que cela consomme.
A chaque fois que vous avez une expérience de déplacement du point d'assemblage, à moins que vous ne le fassiez de manière contrôlée, cela vous affaibli sur le plan énergétique, et vous... Bien sûr, le danger ultime est que vous pouvez même en mourir ou devenir fou ou perdre l'esprit, ou d'autre chose encore. Ce sont des choses qui arrivent. On voit ça tous les jours.
Mais don Juan, bien sûr, lorsqu'il transmettait la tradition des plantes à Carlos Castaneda, était toujours présent à ses côtés, avec don Genaro qui le gardait, pour s'assurer de l'endroit vers lequel se déplaçait son point d'assemblage. Ils savaient exactement quelle réalité il était en train d'allumer, grâce à leur "voir", et ils lui fournissaient le contrôle qu'il était incapable d'avoir lui-même parce qu'il était sous l'influence de quelque chose d'autre, d'une force extérieure. Donc, ils fournissaient le contrôle et s'assuraient que rien ne lui arrive, que rien de mal ne lui arrive. Et cela pour être sûr qu'il pourrait revenir, que son point d'assemblage pourrait revenir, ce qui survient naturellement lorsque les effets se dissipent.
Mais parfois ça ne se passe pas comme ça. Parfois les sorciers se perdent dans d'autres réalités et tout simplement ne se réveillent pas. Ils ne reviennent pas. Et ils meurent. On court donc là un danger extrême. Et faire ceci sans un guide ou quelqu'un qui s'y connaît, c'est suicidaire, vraiment.
Donc, le but est de sortir de la fixation rationnelle qui est la notre, qui fait que cette réalité est telle qu'on la connaît : ce qui de notre point de vue est une donnée, mais qui, du point de vue des sorciers, est un acte de création.
Et les phénoménologues aussi... Bon, je vais parler un peu de phénoménologie et parler ensuite de la validité de son travail. De cette manière nous toucherons aux deux questions.
Juste pour conclure la partie sur les plantes psychotropes, notre apprentissage n'a fait l'objet d'aucune prise de plantes, d'aucun usage de drogue ou de peyotl. Y compris Florinda Donner et Carol Tiggs. Les femmes n'ont pas besoin d'être secouées de manière aussi extême pour relâcher leur prise sur la réalité. Leur point d'assemblage est très fluide et se déplace automatiquement. Le point d'assemblage de tout le monde se déplace durant le sommeil lorsque nous rêvons, mais, bien sûr, il fait des allées et venues et nous n'avons aucun contrôle. Mais le mouvement du point d'assemblage est naturel pendant le sommeil.
Les femmes, lorsqu'elles ont leurs règles, ont leur point d'assemblage qui vient à se déplacer très légèrement. Elles sont alors en mesure de voir des choses, elles peuvent avoir de brefs aperçus, elles peuvent entendre des choses, elles deviennent très très sensibles sur le plan émotif, parce que leur point d'assemblage se déplace tous les mois. Elles peuvent utiliser ce déplacement naturel pour faire "du rêve" ou pour faire de la sorcellerie. C'est ce que font les femmes, les femmes sorcières.
Donc sauf dans de rares cas et parce que Carlos Castaneda était le nagual, on lui a donné des plantes pour vraiment qu'il comprenne et pour qu'il sache les utiliser. Ses deux premiers livres traitent de ce travail, et après on n'en entend plus beaucoup parler. Et cela parce qu'il n'a plus... Son point d'assemblage était suffisamment fluide pour qu'il puisse le déplacer par d'autres moyens, des moyens plus doux, des moyens plus naturels. Et la suite de son apprentissage, tous les autres livres, traite de déplacer le point d'assemblage en utilisant d'autres techniques de sorcellerie.
Donc je voulais parler un peu de nos conceptions de la réalité et de la conception que les sorciers ont de la réalité car c'est en rapport étroit avec le point d'assemblage. Les sorciers affirment que tout ce que nous percevons est déterminé par la position du point d'assemblage. Et nous sommes nés dans cette réalité étant enfants. Bien sûr le point d'assemblage est erratique. Les nouveau-nés ne peuvent pas parler, ils n'ont pas le langage. Ils perçoivent le monde différemment. Mais au fur et à mesure qu'ils grandissent, leur perception du monde se calque sur celle de tous ceux qui les entourent et alors une correspondance, un "alignement" s'établit.
Les phénoménologues disent que la matérialité du monde est construite, elle n'est pas donnée, même si nous croyons qu'elle l'est. Les phénoménologues tiennent compte de cet accord tacite que nous partageons tous sur la vie de tous les jours, qu'il y a un hier en termes de temporalité, de spatialité et d’inter-subjectivité, nous permettant de trouver un accord sur ce que font les autres dans la même pièce. Les phénoménologues prennent en considération ces hypothèses et ces a priori et les voient comme des phénomènes à étudier.
Le fait que nous sachions qu'il y a une histoire naturelle pour toute chose... Voyons, je vais vous donner quelques exemples, juste pour clarifier cela. Nous savons donc que, disons, cette porte-là ne vient pas juste d'apparaître. Nous savons qu'elle était là avant que nous n'entrions dans la pièce. Nous savons qu'elle y sera après que nous en serons sortis. Ceci est une continuité temporelle qui est construite par notre perception de la réalité.
La continuité spatiale aussi est construite. Nous savons qu'il y a une rue là dehors, et qu'au-delà de la rue il y a des immeubles, bien que nous ne les percevions pas directement. Nous savons qu'il y a un océan à un certain nombre de kilomètres. Nous avons cartographié notre espace, notre réalité spatiale. La réalité est basée sur notre conception de l'espace et du temps et sur notre certitude que les autres savent aussi que nous sommes dans une certaine pièce. Nous construisons tous les mêmes enveloppes basées sur le langage : la porte, la rue, la maison.
Mais les sorciers, eux, recherchent la perception immédiate, directe, au lieu de s'appuyer sur des enveloppes à la manière dont nous le faisons dans notre vie de tous les jours. Nous ne percevons pas directement. Nous avons déjà filtré la perception au travers du langage, au travers de notre culture, au travers de nos expériences passées. Nous ne percevons pas immédiatement. L'apprentissage des sorciers consiste à revenir soi-même à la perception immédiate de la réalité.
Les sorciers se posent les mêmes questions que les phénoménologues : qu'est-ce que la perception, qu'est-ce que la réalité, qu'est-ce qu'un accord, un consensus, qu’est-ce qu’une convention ? Mais ils disent que la perception est vraiment une question d'avoir le point d'assemblage sur la même position. Ou disons que l'accord se produit lorsque tout le monde a le point d'assemblage au même endroit. Quand il bouge, d'autres réalités toutes aussi réelles que celle dans laquelle nous sommes maintenant sont constituées.
La validité de quoi que ce soit ne peut être établie que par l'expérience authentique. Tout ce que nous faisons dans nos vies quotidiennes est réel parce que nous en avons fait l'expérience ou que d'autres en ont fait l'expérience, et que nous partageons... Nous avons un accord intersubjectif et un langage commun qui nous permet de comprendre ce dont nous sommes en train de parler.
Par exemple, un astronaute ou un homme qui marche sur la Lune : nous voyons ça à la télévision, nous le lisons les journaux, nous entendons même prononcer les mots "un pas de géant pour l'humanité" qui sont maintenant si célèbres. Donc, bien que nous ne les ayons pas vus sur la Lune, la nuit nous regardons la Lune et nous nous disons "oui, des hommes sont allés là-haut". Maintenant, est-ce que c'est un sursaut de foi ? Non, pas exactement, pas comme une vierge qui donne naissance ou l'immaculée conception. C'est basé sur le travail des gens de la NASA, sur l'industrie aérospatiale.
Chaque sous-groupe possède ce que les phénoménologues, et même les sociologues, appellent une adhésion au groupe. Ils sont capables de valider leur propre petit segment. C'est comme des couches sur des couches, comme les couches de la combinaison d'astronaute. Ils ont 24 ou 25 couches dans leur combinaison. Pour moi, ça défie l'imagination. Nous avons l'habitude de penser à une seule couche à deux faces, double épaisseur laine et coton. Mais non, eux, ils ont 18, 20 couches, chacune d'entre elles faisant quelque chose de très particulier. Les gens qui fabriquent ces combinaisons savent ce qu'ils font, et de quoi ils parlent. Nous sommes réduits à admettre ce qu'ils font parce que nous n'en avons pas de connaissance directe.
Tous ceux qui ont travaillé ensemble avec cette formidable concentration, durant des années d'entraînement, ont été capables de rendre cet exploit raisonnable, de rendre cette expérience valide du fait que des hommes sont allés sur la Lune, de telle façon que maintenant personne ne se pose plus de questions. Mais la sorcellerie demande également des années d'entraînement. Vous ne pouvez pas simplement dire "je vais m'allonger", et d'un seul coup devenir un corbeau ou quelque chose comme ça. Bien sûr, ça parait absurde. Et c'est absurde. Du point de vue de notre vie quotidienne, de la réalité de notre être-dans-le-monde, les exploits des sorciers ne sont que des contes d'énergie, des histoires de pouvoir. Ce ne sont que des contes, et de là provient la question du doute et des histoires que les gens racontent sur le travail de Carlos Castaneda, ou notre travail, qui ne serait globalement que de la fiction, que des histoires. Et c'est vrai du point de vue de la vie de tous les jours, car il n'y a aucun moyen pour une personne ordinaire de le valider, à moins que nous gagnions son adhésion.
Et nous, nous ne pouvons pas aller marcher sur la Lune, ça ne nous est pas accessible. Mais être un sorcier ou une sorcière, oui, ça nous est accessible. N'importe qui peut valider par lui-même ou par elle-même ce que Carlos Castaneda ou moi-même avons écrit dans nos livres, parce que nous ne décrivons pas seulement ces autres réalités en disant "oh, oui, ça existe, alors ayez la foi". Non, en les décrivant, nous devenons véritablement des phénoménologues. Nous décrivons ce qui nous est arrivé physiquement du point de vue corporel, et du point de vue de notre corps d'énergie. Nous en avons fait l'expérience.
Pour nous, ce ne sont pas des histoires de pouvoir, ou des contes d'énergie, ce sont vraiment des descriptions que nous faisons au mieux de nos capacités. Selon la quantité d'énergie que nous avons, nous sommes capables de décrire ces autres positions du point d'assemblage sur lesquelles nous nous sommes déplacés. Mais après je parlerai certainement de la manière exacte dont vous pouvez déplacer votre point d'assemblage.
Les choses qui sont dans les livres, dans ce travail, sont des indications. Ils disent à tous que si vous faites ces choses, si vous pratiquez la récapitulation, si vous pratiquez le non-faire, si vous mettez en pratique l'abandon de votre histoire personnelle, si vous pratiquez la contemplation, votre point d'assemblage se déplacera et votre corps saura. Vous saurez, avec tout votre être, ce dont parlent les sorciers.
La validité est là pour quiconque veut la découvrir. Mais c'est un processus de création exactement comme poser un homme sur la Lune est un processus de création. Ça ne se produit pas dans un claquement de doigt. Cela exige énormément d'énergie, de puissance mentale et conceptuelle, des mathématiciens, des physiciens, des astrophysiciens, et l'entraînement physique des astronautes. Il a fallu rassembler tout ceci pour accomplir un seul et unique exploit.
C'est la même chose avec la sorcellerie. Cela prend des années, toute notre vie. J'avais une vingtaine d'années quand je suis entrée dans le monde de don Juan. A partir de ce moment là, chaque chose faisait partie de mon entraînement, mon entraînement en sorcellerie. Et cela inclut le fait d'aller à l'université. C'était un mandat qu'ils m'avaient donné. Ils m'ont dit, "Tu dois cultiver une romance avec la connaissance". Et il a fallu que je suive une formation universitaire, que je passe un doctorat, et non pas du point de vue d'une personne ordinaire, de la manière dont les gens vont habituellement à l'école. Non, c'était un exercice de traque. J'ai dû utiliser les petits tyrans qui se présentaient : les professeurs. J’ai dû me défaire des attentes, des espoirs avec lesquels j'avais grandi, par la récapitulation. Récapituler vous permet réellement de voir quels sont vos modèles, vos modèles de comportement et quelles sont vos attentes. Alors vous appliquez ce que vous avez appris en récapitulant. Vous l'appliquez dans votre vie de tous les jours, à votre être-dans-le-monde. Et en l'appliquant, vous validez la position des sorciers, au lieu de valider la position de la vie de tous les jours, la position de vos parents, la position de vos pairs, de ce que la société vous dit.
Nous sommes toujours en train de valider cela à travers nos comportements, nos pensées, notre langage, et notre dialogue intérieur. Nous nous répétons encore et encore les choses que nous devons nous répéter, comme dans un petit cercle, pour bien nous assurer que rien d'autre n'y pénètre. Nous sommes toujours chargé au maximum de notre capacité, question perception. C'est comme une bulle. C'est scellé de telle manière qu'il n'y pas de moyen de s'échapper. L'ouverture doit venir de l'extérieur, d'une autre position du point d'assemblage.
Don Juan nous a donné cet accès, cette ouverture. Il appelait cela le centimètre cube de chance qui surgit. Et vous, ou bien... Et bien, soit vous êtes tellement captivé par vous-même que vous ne le voyez même pas, soit vous ne le saisissez pas à cause des raisons qui sont les vôtres : vous êtes trop rationnel ou trop savant, au sens où vous savez déjà tout et où vous avez un esprit fermé. Ou bien vous le saisissez. Les personnes avec qui nous sommes, qui ont été avec don Juan, ont saisi ce centimètre cube de chance. Et nous continuons à valider tout ce qui nous a été dit sur ce qu'est la sorcellerie et la potentialité d'être plus que ce qui vous a été alloué en tant qu'être né dans le monde, sur une certaine position.
JM : Si vous voulez juste conclure sur ce point, il y a des personnes dans la société qui critiquent Castaneda pour son travail et le discréditent en disant que cela fait la promotion de l'usage et de l'abus des drogues. Font-ils juste la démonstration de leur ignorance en ce qui concerne le contexte du chemin de la connaissance de Castaneda?
TA : Ce qu'ils ont fait c'est qu'ils ont lu un peu vite les livres ou n'ont peut-être même pas du tout lu certains des livres. Peut-être n'ont-ils même pas lu les livres du tout, peut-être juste les deux premiers livres et ils se sont arrêtés là, parce que les deux premiers livres, comme je l'ai dit, traitent seulement de la tradition des plantes psychotropes. Mais avant de dire quoi que ce soit, ils devraient absolument lire tous les livres et voir quel en est le contexte.
Ils parlent aussi depuis le point de vue de la vie de tous les jours, de cette position depuis laquelle, bien sûr, les drogues sont mauvaises. Je ne pense pas qu'il y ait réellement ici un désaccord en ce qui concerne l'usage des drogues.
En ce qui nous concerne, je veux dire Carlos Castaneda et quiconque pratiquant la sorcellerie, nous menons des vies absolument pures. Et nous sommes très attentifs à ce que nous mangeons car tout ce qui affecte le corps d'énergie diminue les chances de sobriété, de contrôle. Si cela affecte le corps d'énergie de façon destructrice, alors on manquera de contrôle dans ce que les sorciers appellent la traque, la capacité de traquer.
Traquer c'est vraiment la capacité d'adopter une nouvelle position du point d'assemblage. Cela n'a pas besoin d'être une position différente, ça peut être celle sur laquelle on se trouve, et alors c'est explorer ses ramifications. Mais pour ça vous avez besoin d'énergie. Vous avez besoin d'énergie pour observer ce qu'est la réalité. Sans ça on avance à l'aveuglette et on laisse les choses nous arriver. On est à la merci de la modalité de l'époque, qui est ce que don Juan appelait le point particulier où nos point d'assemblage se situent tous.
Nous sommes nés dans ce qui est appelé "la modalité de notre temps". Nous sommes à la merci de ce qui nous tombe dessus, que ce soit nos parents ou nos proches, notre système éducatif, que ce soit ce que nous entendons à la radio, ou ce que nous lisons dans les livres et les journaux. Tout ça nous dit d'une certaine manière ce que nous pouvons faire et ce que nous pouvons être. Nous sommes complètement affectés par cela.
Mais pour se rendre compte de ça, nous devons avoir de l'énergie, plutôt que de rester à la merci [des médias]. Disons que les adultes ou les proches qui disent, "Oui, prend de la marijuana, fais-ci, fais-ça", n'ont pas l'énergie pour y résister. Je ne veux pas dire résister, mais plutôt s'interroger. Ils sont inspirés par ce que leur environnement dit et fait. Et ils y vont, que ce soit suicidaire ou non.
La sorcellerie dit exactement le contraire. Elle dit non, interrogez-vous. N'acceptez pas n'importe quoi. N'acceptez pas les dogmes religieux. N'acceptez pas ce que vos amis disent lorsqu'ils vous glissent un petit paquet de cocaïne ou de quoi que ce soit. Mais qui peut réellement s'interroger sur ces questions ? Seulement quelqu'un qui possède une force qui vient d'ailleurs. Et où se trouve cet ailleurs ? Les sorciers disent que c'est le corps d'énergie.
Nous tous avons réellement deux positions du point d'assemblage : la première, c'est celle qui nous est donnée, celle de nos parents, celle sur laquelle nous sommes nés, celle qui manifeste cette réalité particulière, lui permet de maintenir sa continuité, et est la force qui nous fait accepter cette réalité comme étant la seule et unique qui soit.
Mais nous avons tous un corps d'énergie, comme sur une position fantôme. Les sorciers l'appellent le double. C'est une autre position que nous activons durant les rêves, intuitivement. Nous avons tous le sentiment qu'il existe quelque chose d'autre, là, mais nous n'avons pas l'énergie de le saisir. Ou bien nous sentons que nous pourrions être différent, ou plus cohérent, plus clair, plus vivant. Et nous ne pouvons pas. Nous ne le pouvons pas à cause du poids de la société, de notre travail, des soucis de la vie de tous les jours, de nos inquiétudes à propos de nous-mêmes, de "qu'est ce qu'il va m'arriver". "Moi", et "Je" sont nos préoccupations premières. Nous n'avons pas d'énergie pour autre chose.
Mais don Juan affirme qu'il y a autre chose; tous les sorciers, pas seulement don Juan. Il y a une autre position que nous pouvons tous adopter, et nous devons l'activer. Nous devons l'utiliser comme contrepoids et c'est ce qui nous donne l'énergie de ne pas nous faire emporter par la vie quotidienne. Cela nous permet d'avoir une petite perche, une petite plate-forme, en dehors de ce bourbier, sur laquelle nous pouvons nous maintenir, et qui nous permet de voir depuis une perspective différente.
Quelle est cette autre perspective ? C'est une autre position du point d'assemblage, en dehors. Et comment est-ce qu'on y accède ? Comment la consolide-t-on ? Car c'est ce que les sorciers veulent faire. Ils veulent être capable de percevoir plus. C'est une question de perception. Ils veulent percevoir plus que ce qui est permis ou autorisé du point de vue de notre réalité quotidienne.
Notre réalité dit : "Non, les arbres sont des arbres, la maison est là, vous savez qu'il y a un océan". Nous avons un système établi d'enveloppes, d'interprétations, et elles sont comme rigidifiées. Elles ne sont pas flexibles. L'apprentissage des sorciers permet à l'esprit, au corps, d'acquérir la flexibilité de... Les drogues ou les plantes psychotropes déplacent aussi le point d'assemblage. Puis celui-ci revient directement où il était et vous vous retrouvez encore plus coincé qu'avant, parce que vous êtes énergétiquement affaibli. Vous avez blessé votre corps. Vous avez perdu le sens du contrôle, de la maîtrise. Et vous continuez à renforcez ça, et vous ne serez vraiment plus capable d'activer ce corps d'énergie. Vous le détruisez, en fait.
Donc l'autre méthode d'apprentissage, la récapitulation, est une des méthodes clés. Et nous la faisons tous, nous qui suivons cet entraînement de sorcellerie. Nous pratiquons. Nous faisons de la récapitulation. Carlos Castaneda récapitule constamment, constamment. Nous le faisons tous.
Ce que c'est, c'est que vous... Pratiquement, il y a deux couches. Du coté pragmatique, vous faites une liste de tous les gens que vous avez connu dans votre vie. Vous vous asseyez et visualisez depuis le présent, en remontant dans le temps, toutes les expériences qui constituent votre vie, le souvenir de ce que vous avez été, de ce qui a constitué la personne que vous êtes maintenant.
Et cela, bien sûr, inclut les interactions avec votre famille, avec vos amis. Tout ceci est intrinsèquement lié à ce qui vous constitue parce que vous êtes sous le coup de cette intersubjectivité. Vous ne vivez pas sous vide, et les sorciers non plus. Votre point d'assemblage et votre énergie sont constamment bombardés par ce que les autres vous disent. Et vous y répondez. Donc il y a cette interaction.
La récapitulation vous permet de voir cela et d'extraire votre énergie du souvenir de votre moi, de vos actions passées. Donc vous fermez les yeux et vous visualisez vos agissements, de manière très systématique. Vous avez votre liste et vous travaillez en remontant le temps et vous utilisez la respiration, car la respiration est une méthode très subtile. Vous ramenez l'énergie, vous visualisez. Vous commencez sur votre...
Je vais décrire ça très précisément maintenant, bien que cela soit décrit dans "Le Passage des Sorciers". Commencez à partir de votre épaule droite. Vous avez votre scène visualisée, et vous inspirez en déplaçant la tête vers votre épaule gauche. Et ensuite vous expirez tout ce qui vous est étranger, tout ce qu'ils ont déversé sur vous verbalement, physiquement, et que vous ne voulez plus, parce que tout est du passé de toute façon. Vous l’expulsez. Vous l'expirez. Vous le renvoyez pendant que vous déplacez votre tête vers votre épaule droite. Et ensuite vous ramenez votre tête au centre. Et vous continuez à balayer les scènes remémorées, et vous nettoyez.
Ce que vous faites, c'est ramener l'énergie qui est piégée pour pouvoir l'utiliser dans le présent. Et où est-ce que ça vous mène ? Bien sûr vous devez être très attentif à ne pas l'utiliser pour renforcer le moi, mais à l'utiliser pour construire votre corps d'énergie, pour être capable d'acquérir ce supplément d'énergie afin que vous puissiez voir ce qu'est la vie, examiner ce que vous êtes en train de faire. Vous gagnez ainsi un certain contrôle sur votre existence.
La récapitulation, au sens abstrait, parce que les sorciers sont très abstraits en fait, c'est si abstrait qu'à ce niveau nos corps ne sont réellement qu'une idée. Nous ne sommes plus sur la position du point d'assemblage de la matérialité du monde qui veut que nous ayons un corps physique, que le banc soit ici, que l'arbre soit là. Non. Nous nous sommes interrogés sur tout ça et nous avons vu, à travers la récapitulation, que ces choses sont seulement une question d'accord, de consensus. On nous a dit cela et nos corps ont répondu d'eux-mêmes à l'accord selon lequel nous n'avons pas le choix, car nous sommes nés dedans.
Donc à un niveau abstrait, la récapitulation permet de construire autre chose, une petite plate-forme pour que vous puissiez vous y retirer progressivement, car pendant que vous vous remémorez le passé, votre passé énergétique, et que vous travaillez à reculons, vous travaillez à deux endroit en même temps. Vous vous déplacez depuis ici, depuis votre corps énergétique, vers ça : les souvenirs de votre propre matérialité, ce qui constituait votre monde. Et vous pouvez observez vos modèles se répéter eux-mêmes. Vous pouvez entendre ce que vos parents vous ont dit, et vous voyez.
D'un seul coup vous voyez. Mais c'est qui, qui voit ? Ce n'est pas le "vous-dans-le-monde," mais c'est cet autre être, le voyant. Don Juan l'appelait "le voyant en vous qui se réveille". Vous êtes en train d'activer cette position fantôme du point d'assemblage, que nous avons tous, mais vous la rendez plus forte. Vous l'utilisez pour la première fois. Au sein de notre culture, il ne nous est pas permis de l'utiliser. Nous n'avons même pas connaissance qu'elle est là.
Tout nous accapare entièrement, à cause de la modalité de notre époque. Réellement tout est consommé par nos besoins et nos désirs immédiats, et nous n'avons même pas le choix dans ce domaine. Cette autre position commence à s'activer, à se renforcer, et vous êtes alors en mesure de vraiment vous interroger, et de briser les barrières de la perception qui ont été établies par les préoccupations de la vie quotidienne.
JM : Taisha, vous venez de parler des termes et des concepts contenus dans votre ouvrage. Pouvez-vous nous donner une idée générale de votre livre en ce qui concerne les thèmes qui y sont abordés, les questions soulevées, les concepts. Nous pourrions commencer par ça.
TA : Fondamentalement, la première moitié du livre traite de la récapitulation, et il est raconté, expliqué en détail, comment elle s'effectue, et mes propres expériences, les difficultés rencontrées, et les procédures. Et donc cela même donne au lecteur l'occasion d'essayer par lui-même. C'est une invitation vraiment, pour n'importe qui, parce que les sorciers ne sont pas un groupe d'élites... qui auraient à être choisis, ou auraient besoin de croiser le chemin de don Juan ou auraient besoin d'avoir un sorcier comme guide.
Non, n'importe qui peut prendre ces livres et faire ces choses, les pratiques qui y sont décrites. Et c'est un moyen de valider ce dont on parle, en faisant vos propres expériences.
Donc la première partie du livre traite de la récapitulation. Et j'ai été aussi, comme je l'ai dit, quand j'ai eu assez d'énergie, j'ai été présentée à don Juan et à plusieurs autres membres de son groupe. Et cela aussi est décrit dans le livre : mes rencontres avec eux et les choses qu'ils m'ont enseigné.
On m'a montré certaines pratiques qui incluent des techniques de contemplation, des techniques de non-faire. Ils y a des passes de sorcellerie qui mettent en jeu directement le corps d'énergie, certains mouvements et certaines respirations qui le mettent en action, ou nettoient le corps d'énergie et activent certains centres d'énergie pour permettre au point d'assemblage de se déplacer avec plus de fluidité.
Et donc la deuxième partie du livre, je suppose à peu près à partir du milieu, c'est quand ils ont pensé que j'étais prête pour franchir ce qu'ils appellent le passage des sorciers, la grande traversée, qui est en somme un mouvement du point d'assemblage, un déplacement, parce que la récapitulation vous y prépare.
Je vivais ou séjournais dans cette maison, et il y avait une partie gauche de la maison dont ils faisaient toujours fait allusion, mais dans laquelle je n'avais jamais été autorisée à entrer. Et alors il est venu un moment où ils ont décidé que oui, j'étais prête à rencontrer les autres membres du clan qui m'attendaient dans le coté gauche de la maison. Ce qui est réellement un mouvement du point d'assemblage vers une autre réalité, parce que la partie gauche de la maison n'existe pas dans ce monde tel que nous le connaissons.
Donc je suis passée par une série de techniques et de mouvements énergétiques invoquant l'intention. Mon corps d'énergie était capable de s'activer de lui-même, bien sûr aussi avec l'aide de Nelida, qui était là à mes cotés. J'ai activé mon corps d'énergie, ce qui veut dire que j'ai déplacé mon point d'assemblage. Mais au lieu de le faire bouger harmonieusement vers une certaine position comme ils l'attendaient, là où ils m'attendaient, j'ai eu une sorte de décrochage et je n'ai pas pu me souvenir de là où mon point d'assemblage avait abouti. Et je n'ai pas pu me rappeler les détails de ma perception. C'est l'inconvénient. Cela arrive aussi dans certains cas lorsqu'il n'y a pas de contrôle. C'est un déplacement erratique. En d'autres termes, mon point d'assemblage s'est déplacé de façon erratique.
Et donc la seconde partie du livre traite des différents types d'entraînements. Je me suis retrouvée dans un bosquet d'arbres, dans une cabane dans les arbres, à l'avant de la maison. A ce moment je n'ai pas su comment j'avais atterri là. J'ai juste supposé que quelqu'un m'avait hissé dans un harnais, et j'étais là-haut dans une cabane dans les arbres. Mais ce que je ne savais pas c'était que je ne m'étais pas réveillée. Mon point d'assemblage n'était pas revenu sur sa position normale. Il était sur une position où... dans une autre réalité mais pas très éloignée. J'étais revenue de mes divagations et j'étais sur cette position. Donc la seconde partie de l'entraînement traite de la traque, qui consiste à stabiliser la position du point d'assemblage quel que soit l'endroit où il se trouve.
Dans mon cas c'était dans ce bosquet, dans la cabane d'arbre, à l'avant de la maison. Mais l'apprentissage lui-même... il était mené sous la conduite d'Emilito qui n'existe pas non plus dans la réalité de la vie de tous les jours. Il était sur une position du point d'assemblage, une position de rêve. Donc je m'étais réveillée sur une position de rêve à un endroit différent, mais j'avais à cultiver la technique des traqueurs pour pouvoir maintenir cette position et atteindre un certain degré de contrôle sur mon corps énergétique.
Cet apprentissage a été très très important pour ce qui est arrivé après. Parce qu'à nouveau, cela ne fait aucune différence que vous déplaciez votre point d'assemblage, si vous ne pouvez pas le stabiliser sur une autre position, et traquer cette réalité. Vous obtenez encore des visions incohérentes, comme ce qui arrive, je suppose, sous l'influence des drogues. Vous avez des visions d'apparitions incohérentes de monstres qui surgissent, ou bien votre point d'assemblage fait des bonds alentour. Et c'est ce qui est destructeur pour le corps d'énergie.
Donc vous devez être capable de le stabiliser sur une autre position. L'apprentissage des traqueurs, qui était très très important dans mon cas à cause de mon point d'assemblage erratique, consistait à explorer les ramifications d'une réalité différente. Et dans mon cas c'était le monde des arbres, dans la cabane. Mais cette cabane existait parce que d'autres membres du groupe de sorciers avaient aussi... Celle qui avait eu le même problème, à savoir Zuleïca, l'un des membres du clan de don Juan, et qui était en réalité Emilito, parce que Emilito était le corps de rêve de Zuleïca sur cette autre position... Donc ceux qui avaient des problèmes de mouvements erratiques du point d'assemblage étaient hissés en haut dans le harnais, et étaient envoyés dans la cabane d'arbre pour apprendre à le stabiliser.
Pourquoi étaient-ils placés dans les arbres ? Parce qu'être entouré par les arbres, être surélevé par rapport au sol, oblige le corps à développer une nouvelle relation avec ce qu'est vraiment notre corps d'énergie, mais il est vraiment aussi réel et solide que notre corps physique ou que le sol ou la gravité. Donc en étant dans les arbres, en grimpant aux branches, en récapitulant encore dans les arbres, en contemplant dans les arbres, et grâce à toutes les autres activités que vous pouvez pratiquer dans les arbres au-dessus du sol, tout cela m'a permis d'explorer une nouvelle position du point d'assemblage. Et elle était très limitée parce que je n'ai jamais quitté les arbres, la cabane dans les arbres. Je suis restée... Bon, en fait, je descendais et j'allais dans la maison principale, vous savez, si j'avais besoin d'aller aux toilettes, d'utiliser la salle de bains. Mais je remontais immédiatement. Et ma nourriture était hissée là-haut. C'était Emilito qui me hissait ma nourriture.
Donc je passais tout mon temps au-dessus du sol. Je devais dormir dans les arbres. Et la concentration et la sobriété requise pour grimper aux arbres est si intense, car le fait qu'au moindre faux mouvement vous pouvez tomber me forçait à garder toute mon attention fixée sur mon activité immédiate, plutôt que laisser mes pensées s'égarer en termes de passé, de présent et de futur, à la façon dont nous le faisons maintenant, sur la position habituelle du point d'assemblage.
Il nous est difficile d'être toujours concentrés sur l'ici et le maintenant où se trouve la moitié de nous-mêmes. La moitié de notre énergie est coincée dans le passé, dans des actions passées. L'autre moitié est en quelque sorte projetée dans un futur inconnu, et une très petite partie de nous-mêmes est réellement engagée dans ce que nous faisons dans l'instant. Mais ma vie dans les arbres, tout ça, était... Bien sûr, ayant déjà récapitulé, il n'y avait plus de passé, plus d'horizon temporel.
Les sorciers ont donc vraiment rompu l'accord spatial et temporel que nous avions appris corporellement, en nous plaçant dans un espace clos entouré par quelque chose qui nous a empêché de voir l'horizon. Il n'y avait pas de distance spatiale. Nous ne pouvions pas voir très loin, les arbres étaient si denses. Donc il n'y avait pas d'espace en termes de distance, et aussi... je ne pouvais pas supposer, à la manière dont nous supposons à partir de cette position du point d'assemblage, que oui il y avait des maisons dehors, des rues, l'océan. Je n'avais aucune idée de ce qui se trouvait au-delà du bosquet d'arbres. En fait c'était comme un vide.
Tout ce que j'avais, tout mon univers, se réduisait aux arbres. Donc l'apprentissage de la sorcellerie a effectivement rompu la continuité spatiale et temporelle. Il n'y avait plus cette perspective du "ici" et du "là-bas" que nous avons dans notre vie de tous les jours parce que nous sommes... C'est comme quand on est assis "ici", du point de vue de la vie de tous les jours, et qu'il y a toujours un "là" parce que manifestement nous sommes ici ; et que nous pouvons nous lever et marcher jusque là-bas, ou bien nous pouvons imaginer ce "là-bas" même si nous ne pouvons pas l'atteindre. Nous pouvons nous y rendre en avion ou en train. Je veux dire qu'il n'y a pas... Je ne peux pas le voir, mais l'intentionnalité, du point de vue phénoménologique, nous fait remplir les trous, nous fait combler les manques ou les interruptions spatiales, mais pas dans le monde des sorciers. Dans le monde des sorciers, dans les arbres, tout ce qu'il y avait devant moi était tout ce qui existait au monde, pendant cette période. Et c'était une manière de s'entraîner à se concentrer sur ce qu'on fait.
Plus tard, j'ai utilisé cet enseignement extraordinaire dans mon travail académique, pour me concentrer sur ce que j'étais en train de faire, et non pas pour supposer qu'il y avait une université là-bas, quelque part. Non, du point de vue des arbres et de la cabane dans les arbres, la vie de tous les jours n'existait plus. Ça avait été démoli ou avait complètement disparu, parce qu'il n'existait aucune garantie non plus que je revienne un jour.
Donc les instructions que je devais suivre, les choses que je devais faire, la récapitulation dans la cabane des arbres, formaient encore un niveau supplémentaire pour récupérer tout ce qui avait été laissé dans le passé, dans d'autres lieux, d'autres régions, pour tout ramener à l'intérieur, pour consolider le corps d'énergie. Et c'est seulement en consolidant le corps d'énergie que vous pouvez apprendre quelque chose sur lui et que vous pouvez l'utiliser. Et donc voilà ce qui a constitué la seconde partie de mon apprentissage.
J'ai aussi reçu des tâches de rêve que je pratiquais dans la cabane des arbres, parce qu'après un certain temps, le caractère immédiat de toute chose fait que vous avez envie de vous déployer. C'est bien d'être complètement dans l'immédiat mais vous pouvez également depuis cette position déplacer votre point d'assemblage vers une autre position. Donc la seconde étape a consisté à rêver depuis la cabane des arbres qui était déjà une position de rêve. Donc vous utilisez les positions de rêve, vous utilisez votre corps d'énergie pour vous déplacer.
L'apprentissage des traqueurs est de devenir absolument fluide, de maintenir une position du point d'assemblage, mais aussi d'être capable de bouger à partir de là. Mais alors, où que vous vous déplaciez, vous vous déplacez avec sobriété et contrôle, et avec le même niveau de discipline, et vous explorez votre nouvelle réalité de façon à rendre cela réel. Nous créons notre réalité à mesure que nous nous déplaçons.
Pendant que le point d'assemblage se déplace, de nouvelles réalités sont crées devant nos yeux. Mais nous devons interagir avec elles. Alors la réalité... revenons à notre... à la réalité de la vie de tous les jours. Elle n'est pas seulement là. Elle est là parce que nous interagissons avec elle. Nous savons qu'il y a un ici et un là-bas parce que nous nous déplaçons dans la pièce en contournant les meubles pour arriver à un certain endroit. Nous sommes dedans. Nous créons cette réalité comme nous faisons des choses, comme nous pensons, comme nous sommes... mais nous la créons à l'intérieur des limites établies par notre esprit linéaire et nos prédilections rationnelles.
Cette position du point d'assemblage limite en grande partie ce que nous pouvons faire à partir de là. Nous ne pouvons pas passer à travers le mur, en d'autres termes, parce qu'il est solide. Nous savons qu'il est là. Mais par le biais de la contemplation, et c'est ce que je faisais dans les arbres... Disons qu'une partie de l'entraînement consiste en des techniques de contemplation, parce que contempler est un moyen très simple, en fait tout le monde peut le faire, c'est un moyen fondamental pour réaliser la validité de ce dont je suis en train de parler.
Voyez plutôt : tout ce que vous devez faire est de regarder un arbre, une plante. Vous commencez à contempler les feuilles et assez rapidement tout passe en deux dimensions. C'est nous qui garnissons la face arrière, nous ne la voyons pas. L'intentionnalité dit qu'une feuille possède une face avant et une face arrière et qu'elle possède de petites veinures à l'intérieur. Les botanistes possèdent de très très nombreux niveaux de connaissance complexe sur les arbres et les plantes, que nous pouvons ne pas avoir, mais il y a des niveaux bien définis de connaissance de certaines choses sur lesquelles nous pouvons avoir un accord. Et lorsque vous commencez à contempler des arbres ou des feuilles ou du gravier ou quoi que ce soit, vous voyez seulement ce qui est donné à votre corps d'énergie : l'immédiateté. Là vous voyez réellement. C'est ça, ce que vous voyez. C'est pourquoi les sorciers appellent cela "voir", parce que c'est comme ça quand vous voyez vraiment. Vous placez votre corps d'énergie à la disposition de l'énergie qui émane de ce qui est là devant vous, et vous vous harmonisez de manière différente, de sorte que vous voyez l'énergie. Donc vous regardez un arbre ou vous le contemplez et tout d'un coup vous réalisez que non, ce n'est pas un fait accompli, ce n'est pas solide, ça bouge. Il n'a pas de face arrière, à la manière dont nous y pensons. Ou bien des racines. Nous ne voyons pas ça. Nous voyons des tournoiements de lumière. Tout d'un coup les feuilles se mettent à briller doucement et vous voyez des tournoiements d'énergie et vous vous dites "oh, c'est ça un arbre !"
Je n'en avais aucune idée jusqu'à ce que je commence à expérimenter quelques unes de ces techniques, en m'amusant avec. Et si vous essayez, vous direz aussi "oh, un arbre est bien plus que ce vernis". Vraiment un arbre est énergétiquement vivant, nous aussi sommes énergétiquement vivants. Et nous pouvons faire infiniment plus de choses qu'on ne nous l'a raconté, ou qu'on nous a dit être capable de faire avec notre corps physique.
Contempler nous permet d'engager notre être énergétique, une position différente du point d'assemblage, et cette position fantôme se renforce de plus en plus. Et alors nous voyons les arbres bouger. Tout d'un coup, nous pouvons les déplacer en focalisant notre énergie sur eux, et ils ne sont plus enraciné en un point particulier. Les sorciers disent qu'un bosquet d'arbres tout entier peut soudainement se retrouver ailleurs.
Maintenant, ceci est à nouveau un conte d'énergie, mais qui a été "vu", car lorsque le monde devient fluide, rien n'est plus enraciné, rien n'est plus définitif, rien n'est plus un fait accompli. C'est en mouvement permanent et c'est comme ça qu'est le monde. C'est comme ça qu'est la réalité. C'est nous qui la rendons limitée, solide, factuelle. Nous lui imposons ses limitations. Mais il n'y a pas de raison. Développer nos capacités en tant qu'être sensible, et utiliser d'autres aspects dont nous n'avons pas même conscience, c'est possible. Alors on utilise ou on voit le monde dans des termes différents.
JM : Taisha, vous abordez ces termes et ces concepts dans votre livre : rêver, traquer, point d'assemblage, récapitulation. Y a-t-il... Ou serait-il trop limitatif de tenter de poser cette question : y a-t-il certaines corrélations entre les termes et les concepts analytiques de la science et les termes et concepts de votre ouvrage ?
TA : Oui, il y a des corrélations. Et j'ai parlé longuement de l'un d'eux qui provient de la philosophie, à savoir la phénoménologie. Je n'ai pas besoin de revenir là-dessus, mais les phénoménologues savent théoriquement, ou ils ont l'intuition que c'est comme cela qu'est la perception, que ce serait la bonne approche quand nous parlons de réalité et de perception, que nous devrions suspendre notre jugement, ce qui veut dire ne pas imposer l'aspect factuel de notre monde pour parler de cela. Mais lorsque c'est appliqué... Et même en phénoménologie de très très nombreuses personnes sont familières de tout cela.
En fait, les anthropologues, les sociologues, sont très familiers de ces concepts. Mais, disons que, lorsqu'ils font leur travail de terrain, ou même lorsqu'ils vivent leur vie de tous les jours, ils ne s'aventurent jamais au-delà du stade théorique de l'utilisation de ces choses. Ils sont effrayés, car ce que fait la sorcellerie, par exemple, c'est bouleverser le confort et les certitudes de la vie quotidienne qui font que le monde est comme ci ou comme ça. C'est dévastateur, et beaucoup d'entre nous ne veulent pas de ce bouleversement.
Cela crée une dissonance très forte et très troublante, et ce doit être fait systématiquement. Sinon vous pouvez devenir complètement dingue si tout d'un coup, vous savez, le mur disparaît et vous vous retrouvez ailleurs sans vous y être réellement rendu en marchant. Vous vous réveillez, vous savez, à un pâté de maisons plus loin et vous vous dites, "où suis-je ?" C'est plutôt renversant !
Donc voilà les concepts. La phénoménologie et l'anthropologie en utilisent certains, pour vraiment approcher d'autres cultures, pour étudier d'autres réalités. Mais ils les "étudient". Le mot étudier prend pour eux le genre de sens académique de "théorisation dans le fauteuil", bien que je sois certaine que les anthropologues ne veulent plus se considérer eux-mêmes comme des "théoriciens dans le fauteuil". Ça, c'était au 19ème siècle. Mais d'une certaine façon ils continuent à le faire depuis la chambre d'hôtel, ou si ils partent sur le terrain ils peuvent... Ils ont pourtant toujours une théorie prédéfinie qu'ils veulent vérifier. Ils n'y vont pas en ayant suspendu leur jugement, comme les phénoménologues recommandent de le faire. Et ils ne veulent définitivement pas l'appliquer dans leur vie quotidienne, et en fait devenir quelque chose d'autre, quelque chose d'autre que ce qu'ils sont.
Vous ne pouvez pas étudier la sorcellerie ou comprendre ce que font les sorciers sans relâcher certaines de vos attaches du monde de tous les jours, sans en fait changer vos idées sur la nature de ce que vous êtes, sur ce que vous faites dans votre vie de tous les jours. Si vous vous servez toujours de ces hypothèses pour interpréter ce que... disons de ce que don Juan fait... Et c'est ce qui est arrivé avec les livres de Carlos Castaneda. Ses hypothèses ont été utilisées pour dire, "oh, il fait ceci et il le fait vraiment comme ceci", parce que celui qui dit ça n'a pas validé par lui-même ce que nécessite cet autre monde. Mais il y a d'autre domaines de... comme la philosophie orientale où il y a certains concepts identiques d'altération de la réalité, d'être conscient de ici et maintenant. Ils ont cette expression : "la grande traversée."
En fait, j'étais sur le point d'appeler mon livre "La Grande Traversée" mais ce terme est très spécifique à la philosophe bouddhiste qui n'est pas ce qu'est la sorcellerie. Bien que, si je reviens à votre question, à un niveau théorique, cela peut paraître identique. Eux sont intéressés par l'exploration de la perception, par l'expansion de la perception, par l'éveil du corps d'énergie. Certaines de ces techniques sont très similaires, interrompre le dialogue intérieur, utiliser la méditation. Mais la différence, c'est que... Ce qu'un praticien doit faire c'est abandonner son mode de pensée linéaire, et à moins que ce ne soit accompli et qu'il soit abandonné, l'attachement au moi reste l'obstacle fondamental. Les disciplines orientales parlent de ça aussi, mais tout ce que je peux vous dire est que c'est effectivement ça que nous faisons.
Nous consacrons toute notre vie à faire ça, et nous sommes en permanence engagés dans ce processus particulier, à renoncer à l'attachement au monde de la vie de tous les jours, à notre humanité, à ce point d'assemblage dans lequel nous sommes nés, et à en bouger et à explorer ces autres dimensions. Donc nous faisons... donc la différence, je pense que les concepts, oui, je pense qu'ils ne sont pas uniques, dans ce sens, mais les pratiques... Vous ne pouvez pas acquérir un concept sans vraiment vous engager dans sa mise en pratique, parce qu'un concept par lui-même ne signifie rien. Il doit devenir une expérience corporelle.
Et la sorcellerie est vraiment destinée à être mise en pratique, à acquérir une expérience corporelle, plutôt que juste parler philosophiquement de quelque chose à la manière dont les philosophes le font, ou à la manière dont les philosophes orientaux le font parfois, ou même comme les physiciens, ceux de la physique new-age. Je ne veux pas en parler parce que je ne connais pas bien la physique. Je ne suis pas physicienne. Mais ils évoquent certains domaines de l'indétermination, des limites de la perception, de la lumière, ou de ce que ça veut dire de voir quelque chose. Par exemple, un objet, pour des physiciens, du point de vue de leurs études et de leurs expérimentations, n'est pas solide du tout. Ça n'a de sens que par rapport à votre perspective et votre taille.
Donc la solidité de quelque chose n'existe que parce que nous sommes des êtres humains et que nous pouvons voir quelque chose. Une abeille ou une chauve-souris auront une perspective totalement différente, disons d'un arbre, d'une bûche ou d'un morceau de bois. Elle les verront de façon totalement différente. Donc les physiciens explorent les limites de la réalité, de ce qui la constitue. Et il y a des livres qui combinent la sagesse orientale avec la physique. Et donc il y a cette relation.
Mais je ne connais aucun physicien aujourd'hui qui pourrait mettre en pratique dans sa vie quotidienne toutes les choses qu'il connaît intellectuellement. Lorsqu'il rentre chez lui il s'assoie toujours dans sa vieille chaise, et il a sa femme qui est là, et il a toujours le même comportement. Les sociologues, c'est pareil. Ils comprennent certains concepts qui sont similaires à ceux de la sorcellerie, mais la sorcellerie n'est pas seulement un concept.
La sorcellerie est une manière abstraite de vivre qui fait que la totalité de votre être devient aussi abstrait que ses concepts. Donc quand nous disons que le corps énergétique est lumineux, qu'il est composé de filaments fluides, c'est ce qu'est un sorcier. Il ne se contente pas de le dire. Il l'est parce qu'il utilise ce fait et que sa réalité se base là-dessus, sur l'utilisation de ces filaments de lumière.
Par exemple... il y a un bon exemple dans un des livres de Carlos Castaneda, quand don Genaro saute par-dessus la chute d'eau. Du point de vue de quelqu'un qui ne fait que simplement regarder, c'est le cas de Carlos Castaneda au début, il a seulement vu... bon, il a vu oui et non, moitié-moitié. Il a juste vu quelqu'un faire une espèce de bond, très agilement, en faisant des choses étranges, des pitreries, des pirouettes, des acrobaties. Maintenant, bien sûr, si il avait pu "voir" la même chose, il aurait su exactement ce qui se passait parce que lui-même aurait pu le faire. Son corps peut comprendre parce qu'il peut projeter ses lignes, ses fibres de lumière, et les accrocher à quelque chose. La récapitulation vous permet de faire ça, elle aussi, de projeter vos fibres, des rayons énergétiques, en arrière dans le passé, et de les nouer sur des choses ou de les dénouer. C'est fondamental, vous pouvez déloger l'énergie qui est retenue là. Donc oui, il y a des parallèles, mais pas vraiment du point de vue de la pratique réelle.
JM : Revenons à nouveau à votre livre. Vous avez mentionné brièvement ce qu'est la sorcellerie et ce que font les sorciers. Pouvez-vous donner un point de vue sur... Cela dépend encore du milieu des sorciers eux-mêmes. Y a-t-il une dichotomie sexuelle entre les sorciers mâles et femelles ? N'y a-t-il pas quelque chose en rapport avec le concept féministe ? Pouvez-vous donner une explication, une description de ce qu'est un sorcier, de ce qu'est son rôle ? Font-ils toujours partie du milieu socioculturel ? Y a-t-il un genre de système de valeur, une vision du monde que les sorciers détiennent en ce qui concerne la manière dont ils voient la réalité ? Pouvez-vous en dire plus, et aller vers une description en profondeur de la sorcellerie et des sorciers ?
TA : Hou-hou, oui. Il y a plusieurs questions là-dedans. Commençons par une définition de la sorcellerie parce que c'est très élémentaire. La sorcellerie est, fondamentalement, la capacité de percevoir plus que ce qui nous est alloué du point de vue du monde dans lequel on est né. Les sorciers essayent d'accroître la perception et ils font ça en... Ils ont certaines techniques : le rêve, la traque, les techniques de contemplation. Beaucoup d'entre elles, et en fait toutes, sont décrites dans les livres.
Et elles aboutissent toutes au déplacement du point d'assemblage et vous font lâcher vos amarres aux monde de la vie de tous les jours, pour que vous puissiez être en mesure de percevoir davantage. Comment pouvez-vous percevoir une autre réalité s'il ne vous a été donné que de percevoir celle-ci. Je veux dire que c'est une contradiction. On ne peut pas y arriver. On doit lâcher prise.
C'est comme le singe qui fourre sa main dans une bouteille pour attraper une pleine poignée de cacahuètes. Il ne peut pas dégager sa main pour aller ailleurs. Il est coincé là. Mais s'il lâche ce qu'il a attrapé il peut dégager sa main et être libre. Donc les sorciers, tout ce qu'ils font, c'est de relâcher leurs attaches : la poignée de cacahuètes que nous serrons tous, c'est à dire les attentes que nous avons de nous-mêmes, et ce qu'on nous a appris à propos du monde. Donc vous laissez tomber tout ça, et par le simple fait de laisser aller, quelque chose d'autre s'insinue. C'est ce que font les sorciers.
Maintenant l'apprentissage est fondamentalement le même pour tout le monde, sauf que j'ai mentionné que Carlos Castaneda, étant le nagual, a reçu un apprentissage lié aux plantes psychotropes durant les toutes premières étapes. Après ça, il a été également entraîné... Il a fait autant de récapitulation que nous tous. C'est fondamental.
La première chose que n'importe qui peut faire : oubliez la marijuana, oubliez la prise de quoi que ce soit, vous vous asseyez et vous commencez une récapitulation méticuleuse. Cela en soi va vous préparer et vous permettre de vous déplacer ailleurs. Récapituler votre vie c'est lâcher cette poignée de cacahuètes que vous tenez serrée, ou quoi que ce soit d'autre. Lorsque vous la relâchez c'est très pénible parce que toute notre vie on nous a appris à bien la serrer. Plus vous serrez fort, et meilleur vous êtes ! Et plus votre ego est vigoureux !
Alors les sorciers enseignent le contraire. C'est pourquoi nous appelons l'apprentissage de la sorcellerie le "non-faire", parce qu'ils ne font rien en particulier. Ils se contentent de ne pas faire les choses que nous avons été entraînés à faire. C'est donc très simple. Mais du fait même de cette simplicité, cela devient presque impossible. Et il y a très peu de preneurs, bien sûr.
Les gens pensent que tout le monde veut rejoindre Carlos Castaneda et son, entre guillemets, groupe. Et les rares gens dont... disons, leurs chemins se croisent et d'une manière ou d'une autre... ce n'est pas qu'ils sont invités à devenir membre du groupe mais c'est un peu ça... peut-être qu'ils sont appelés à récapituler ou, dans une certaine mesure... Est-ce qu'ils le font ?
Non, parce que pour récapituler vous devez prélever de l'énergie de votre vie de tous les jours. Vous devez la prélever sur vos nuits ou sur vos rendez-vous ou sur n'importe quoi ; sur vos sorties en boîte ou sur "regarder la télé," ou sur les inquiétudes concernant votre travail et d'autres choses ; ou sur la préoccupation que vous avez de vous-même. Comme l'énergie pour récapituler doit bien venir de quelque part, ce que vous devez faire d'abord et avant tout c'est dégager du temps : physiquement vous devez avoir du temps pour le faire.
Donc l'opportunité est là vraiment pour chacun. Mais la volonté doit aussi être stabilisée. Elle doit accompagner l'opportunité, pour vraiment pouvoir le faire. Sinon cela devient juste une histoire d'énergie à laquelle vous pensez.
Et nous avons tous cette idée : "Oh, ce serait bien que je sois différent, ce serait bien que je puisse faire ça." Mais vous n'en avez pas l'énergie. Avec la récapitulation comme méthode d’entraînement, vous gagnez de l'énergie. Vous créez l'énergie, vous arrêtez enfin de souhaiter, vous avez "l'intention."
Et l'intention est très différente du souhait. L'intention accroche votre énergie, votre but, à quelque chose qui est déjà établi par les sorciers. Et si vous vous accrochez à ça par l'intermédiaire, disons de la récapitulation, cela vous tire en avant. Mais vous devez le faire.
A propos de ça, une autre technique est la contemplation. J'avais l'habitude de beaucoup beaucoup regarder la télévision quand je suis entrée au début dans le monde de don Juan. Et ils m'ont dit : "Okay, tu y passes combien de temps ?"... Et c'est vrai pour tout le monde. On passe peut-être combien, deux heures ? Des études ont été faites là-dessus, peut-être deux heures par jour à regarder la télé. Ils m'ont dit : "Okay, regarde la télé, mais ne l'allume pas !"
Alors je m'asseyais devant la télé pour la contempler. Ça c'est un acte de non-faire. C'est un exemple de non-faire. Et vous créez vos propres non-faires, vous inventez vos non-faires, que ce soit regarder une petite allumette se consumer en aspirant sa lumière, c'est un non-faire, ou contempler quelque chose.
Donc j'ai découvert qu'en contemplant la télé... Bien sûr, en privé. Vous êtes dans le faux, là, si vous commencez à faire ça en public, avec des gens autour. Ils vont commencer à se demander ce qui vous arrive. Donc vous faites ça mais vous n'en faites pas étalage parce que tout le monde va vous juger depuis son propre point de vue.
Et la réalité de la vie de tous les jours est comme Alcatraz. Je veux dire qu'il n'y a pas moyen de s'échapper. Il y a des vigiles et des gardes partout qui s'assurent que vous ne quittez pas ce rocher. Donc, quiconque veut s'aventurer dans ces eaux-infestées-de-requins... et il n'y a aucune garantie que vous arriviez quelque part.
Vous devez pratiquer la traque et être très discret. Un traqueur, pour donner une définition du traqueur, est quelqu'un... en fait, une des définitions est que c'est quelqu'un qui vraiment arrive l'art d'être invisible. Donc, vous pouvez sauter du rocher aussi longtemps que personne ne vous voit ! C'est aussi simple que ça. Rien ne vous retient ici vraiment. Lâchez seulement cette poignée de cacahuètes. Mais assurez-vous que personne ne vous voit. Faites le graduellement. Sinon ils viendront s'assurer que... Ils viendront mettre des entraves sur votre chemin, c'est garanti.
Donc, pendant que je contemplais la télé... Et c'est à ce moment-là que vous vous apercevez que le côté factuel de la télévision est pris comme allant de soi parce que ça commence à se dissoudre, ça commence à passer en deux dimensions.
L'idée d'un espace à trois dimensions n'est qu'une hypothèse. C'est quelque chose qu'on apprend étant enfant, dès le premier âge, afin de réellement voir en trois dimensions. Ainsi, traverser la rue ou parler, c'est quelque chose que les enfants apprennent. Ils savent que ces voitures se déplacent vite. Un nouveau-né ou un bébé ne sait pas ça. C'est pourquoi la mère doit dire sans cesse : "Ne traverse pas la rue, des voitures arrivent." Ils ne savent pas ce qu'une voiture est capable de faire car ils n'ont pas encore acquis l'enveloppe ou l'interprétation "voiture." ils vont vite l'acquérir, en espérant que ce ne soit pas de façon trop dure ! Par contre, s'ils se brûlent les doigts sur une flamme, ils vont vite réaliser ce qu'est la chaleur, et ce que sont les propriétés du feu. Même si ce n'est pas un fait acquis. Parce qu'il existe des gens qui peuvent marcher sur les braises sans se brûler.
Nous apprenons les paramètres de notre réalité, et ainsi la contemplation conduit à une rupture de l'aspect factuel, "fait accompli," de notre réalité quotidienne.
Permettez-moi de parler un peu des femmes. J'ai été entraînée par, oui, globalement, par les membres féminins du groupe de don Juan. Emilito, pour moi, était absolument un homme, mais c'était le corps de rêve de Zuleica. Votre rêve peut être n'importe quoi, mâle, femelle. Et bien sûr, j'ai reçu l'enseignement de don Juan lui-même car il y avait certaines choses que nous avions besoin de savoir et d'être capable de comprendre parce que notre situation, avec Florinda Donner, Carlos Castaneda, et Carol Tiggs, notre situation n'était pas la même que la sienne dans laquelle il y avait les quatre rêveurs, les quatre traqueurs, et surtout la règle qui les guidait dans la manière de procéder.
Notre enseignement n'a pas suivi la règle sauf dans un sens très minimal. Chaque fois qu'il entraînait Carlos Castaneda, il interrogeait les présages et cela est bien indiqué dans les livres. Il recherchait les présages pour voir si, et bien, s'il devait procéder comme ci ou comme ça. Et les présages disaient, "Non, ne suis pas la règle, laisse les choses arriver." Et ce fut pareil avec nous.
Nous avons été entraînés pour accomplir des choses particulières, mais il n'y avait aucune règle. Je veux dire que nous devions tous récapituler mais nous pouvions le faire de la manière qui nous convenait. Il se trouve que je... j'aime me trouver dans des espaces fermés, alors je faisais ça dans une grotte. Mais Florinda Donner, vous ne pouvez pas la mettre dans une grotte. Elle a récapitulé en marchant dans la rue, ou quand une chose en déclenchait une autre, ce pouvait être un souvenir du passé. Si nous ressentons la moindre petite agitation, nous la récapitulons. Nous sommes au bon endroit où que nous soyons.
Et les passes magiques. Ce sont des techniques, des mouvements corporels pour activer le corps d'énergie. Mais il en existe des centaines. Alors vous faites celles qui vous conviennent. Il n'y a vraiment pas de règles rigides d'apprentissage. Et la raison en est que pour déplacer le point d'assemblage vous devez être fluide. J'ai personnellement reçu un entraînement très poussé dans les techniques de traqueur et de traque parce que mon point d'assemblage était très erratique et donc j'avais besoin de cet entraînement.
D'autres personnes n'ont pas besoin d'entraînement. Elles ont un penchant naturel pour quelque chose, Florinda Donner a un penchant pour le rêve. Et elle parle de son apprentissage dans "Les Portes du Rêve." Elle a un penchant très naturel. Son point d'assemblage se déplace alors qu'elle est assise en face de moi. Tout d'un coup son point d'assemblage bouge et elle amalgame d'autres pans de réalité qui viennent à elle très, très facilement.
Les femmes arrivent à... Les femmes ont une facilité très naturelle à déplacer leur point d'assemblage grâce à deux choses, l'une étant biologique. Elles ont des cycles, elles ont leurs règles. Des choses changent chimiquement dans leur corps et ça leur donne une chance de laisser entrer d'autres stimuli. Ça arrive tout doucement. Elles possèdent une matrice et il y a quelque chose concernant la matrice qui permet, en tant qu'organe... C'est comme une fonction secondaire. La matrice peut percevoir et comprendre directement.
Et nous disons tous, bon, que les femmes sont plus intuitives que les hommes, ça revient dans notre jargon de tous les jours, et nous employons des expressions comme : "Les femmes sont plus intuitives", "elles sont si sensibles lorsqu'elles ont leurs règles", et ci, et ça. C'est vrai. Mais les femmes peuvent l'utiliser au lieu de se sentir rabaissées ou de le prendre comme quelque chose de négatif. Elles peuvent l'utiliser pour faire de la sorcellerie, pour récapituler, pour accroître leur concentration lorsqu'elles récapitulent. Elles ont du mal à lire de la phénoménologie au moment de leur règles, mais elle peuvent facilement rêver. Elle peuvent donc faire du rêve pendant cette période du mois.
La seconde raison pour laquelle c'est plus facile pour les femmes est que notre société ne leur demande pas ce qu'elle demande au hommes. Les hommes, les garçons, vous savez, les mères élèvent leur enfants pour les éduquer. Elles portent toute leur attention sur eux, les mâles, parce que ce sont eux qui doivent perpétuer l'ordre social. Ce sont eux qui reçoivent l'éducation afin qu'ils puissent enseigner et perpétuer tout ce à quoi ils ont été entraînés, quel qu'en soit l'aspect, que ce soit la science ou la médecine, ou la loi.
Encore que maintenant c'est en train de changer, bien sûr. Les femmes aussi font tout dans ces branches-là, mais essentiellement pour de mauvaises raisons. Les femmes entrent dans ces domaines pour pouvoir être comme les hommes, pour être les égales des hommes. Cela est utile et fonctionnel du point de vue de l'ordre social. Elles stabilisent leur position parce que maintenant elles sont avocates et médecins. Mais cela n'est pas du tout fonctionnel du point de vue de la véritable sorcellerie, parce que maintenant elles créent des liens, des liens plus forts, avec l'ordre social. Et donc cela a, bien sûr, des avantages et des inconvénients.
Ça ne veut pas dire qu'un sorcier ou quelqu'un qui apprend la sorcellerie ne peut pas devenir homme de loi ou médecin. Chacun de nous, Florinda Donner, Carol Tiggs, avons reçu une formation universitaire de façon à être capable de penser de façon abstraite et de communiquer, mais pas pour devenir des bastions de l'ordre social, vous savez, des professeurs d'anthropologie, des avocats ou des médecins.
Carol Tiggs possède un savoir immense en acupuncture, en médecine du corps, le corps physique et le corps énergétique, comparable à celui de n'importe quel médecin. Elle a acquis cela du point de vue de son apprentissage en sorcellerie, pour pouvoir s'en servir pour aller ailleurs.
Donc les femmes ont une meilleure, vraiment une meilleure chance de sortir de l'ordre social, de s'échapper de ce rocher d'Alcatraz, parce qu'elles ne vont vraiment manquer à personne. Leur véritable fonction est de perpétuer la famille, pas l'ordre social. Elles doivent "soutenir" leur homme comme dit la chanson, l'épauler dans toutes les circonstances. On nous a réellement conditionné à enseigner à nos enfants à être des citoyens bien droits, à faire ceci et cela, ou à se désoler pour eux s'ils filent du mauvais coton. Mais ils ne feront fausse route qu'à l'intérieur de la structure. Il y a de la place pour la déviance, bien sûr.
Donc la situation des femmes dans la vie de tous les jours, dans le monde quotidien, est une situation à deux facettes. D'un coté, vous pouvez voir ça d'une façon négative parce que les femmes sont, comme je l'ai dit, sont là pour réellement soutenir les hommes. Derrière tout grand homme, dit-on, il y a une femme. La femme doit rester à la maison et élever sa famille. Donc, il y a des limites qui lui sont imposées en termes d'éducation, et elle a moins d'opportunités que l'homme. Ses demandes et ses attentes gravitent véritablement autour du foyer.
Mais, comme je l'ai dit, c'est maintenant en train de changer, les femmes entrent dans le monde du travail et dans les domaines académiques. Mais elles y entrent avec une double charge car maintenant elles s'occupent de la maison et de leur apprentissage académique, leur carrière. Donc elles ont encore moins de chance d'avoir l'énergie supplémentaire pour pratiquer les techniques de sorcellerie. Mais d'un autre coté, les femmes ont une facilité naturelle pour accroître leur perception, pour se déplacer vers d'autres réalités.
Et don Juan et les membres féminins qui m'ont transmis cet enseignement, jouaient avec cette facilité naturelle. C'est ainsi que nous faisions la récapitulation, que nous pratiquions les techniques de contemplation, et plus particulièrement les techniques de rêve, et que nous utilisions la période de notre cycle menstruel. Nous nous servions de cela plutôt que juste nous sentir mal et rester au lit une journée entière, ou avoir des crampes ou avoir le "blues" prémenstruel, c'est-à-dire des choses que les femmes ont appris qu'elles devaient avoir. Au contraire, nous utilisions ces changements, les changements naturels qui se produisent, afin de déplacer le point d'assemblage et de faire du rêve et de la traque.
Donc il n'y a vraiment pas... je ne peux pas dire qu'il y a une réelle différence dans l'apprentissage entre les hommes et les femmes, mais chaque personne dans le monde de don Juan, et dans la manière dont ils nous ont entraîné, dépend de sa prédilection, de ses capacités naturelles. Comme certaines femmes qui sont des rêveuses fantastiques, comme je l'ai dit. Les hommes, les mâles, sortaient davantage. ils étaient botanistes par exemple, comme don Vicente. Ils interagissaient davantage avec le monde en tant que traqueurs.
Mais ça ne veut pas dire que les femmes n'étaient pas entraînées dans l'art de la traque. Puisque nous devions retourner dans le monde de la vie de tous les jours, nous ne pouvions pas juste rester dans une grotte et rêver, nous devions parfaire nos techniques de traque, être avec les gens, les utiliser comme petits tyrans, ou voir le monde à travers la folie contrôlée grâce à la contemplation. La contemplation est ce qui nous permet de vraiment voir que le monde n'est pas constitué de faits mais d'énergie. Et la contemplation combinée avec la récapitulation, ça coupe vraiment l'herbe sous le pied à la réalité !
Comme je l'ai dit, nous travaillions ou allions à l'université, mais nous le faisions toujours à partir du point de vue situé sur cette autre plate-forme que nous avions construite, sur laquelle nous pouvions nous appuyer, qui est notre corps énergétique. Nous agissions dans le monde à travers la folie contrôlée. Les femmes ont une très grande facilité pour faire ça, d'une manière naturelle, parce qu'elles n'ont pas cette très forte affinité avec l'abstraction, avec les idées. Elles sont très pragmatiques.
Et si quelqu'un disait... oui c'est trop absurde cet exemple, mais si il y avait un tremblement de terre en Floride ou ailleurs, qu'est-ce qu'elles feraient ? Elles diraient: "Bon, au moins ce n'est pas ici. Et si c'est pas ici, tout va bien". C'est pas vraiment ce qu'elles diraient, mais c'est pour dire qu'elles sont plus immédiates, plus directes. Être concerné par l'humanité en tant qu'abstraction, ça relève le plus souvent du tempérament mâle. Les mâles sont prêtres, les mâles sont politiciens, les mâles sont dans l'armée, à s'occuper de trucs à l'échelle mondiale. Les hommes sont astronautes, et sont dans la physique et l'aérodynamique.
Donc, les femmes, la façon dont... Ce que nous avons appris sur cette position du point d'assemblage sur laquelle nous sommes nés, est que les femmes sont pragmatiques et gèrent les situations immédiates qui sont en rapport avec la famille, les enfants, l'éducation, les intérêts du mari, ce genre de choses. Donc c'est facile de renoncer à... je ne veux pas dire abandonner votre mari, mais, si vous n'êtes pas mariée, ne prenez pas de mari. Alors vous n'aurez pas à vous soucier des enfants, et de la famille. Alors vous aurez toute votre énergie pour faire de la sorcellerie parce que personne ne va se faire du souci si vous ne devenez pas astrophysicienne. Ou du moins votre mère ne s'en fera pas. Mais si votre fils ne devient pas médecin ou quelque chose de bien, là elle va s'inquiéter. Donc vous avez plus de liberté. Les femmes ont plus de liberté.
Mais l'entraînement est fondamentalement le même. Et comme je l'ai dit, chacun a sa propre prédilection sur laquelle l'accent est mis, par laquelle il entre [dans le monde des sorciers]. Mais le point important de tout l'apprentissage est de briser la continuité prise comme allant de soi de la vie de tous les jours, afin que vous puissiez percevoir une réalité différente.
Et où est cette autre réalité ? Il y a une position du point d'assemblage qui est très proche de celle de la vie de tous les jours, la position jumelle, et qui amalgame une réalité jumelle, une réalité différente. Et vous y entrez en stimulant votre double, le point d'assemblage qui gouverne le corps d'énergie.
Et les sorciers affirment que l'univers est vraiment constitué de tresses de perception. C'est comme une tresse qui se replie sur elle-même, et chaque tresse est complète, fermée, totale. C'est une bulle. C'est une réalité en soi.
Nous sommes nés dans l'une de ces bulles, mais cette tresse se prolonge et il y a une certaine zone où elle chevauche une autre réalité. Ou du moins si vous brisez cette barrière, c'est-à-dire le "mur de brouillard" dont ils parlent, il y a un chevauchement, et ça peut se dissiper. Donc, c'est le premier endroit dans lequel les sorciers, les rêveurs, entrent. Et vous vous y retrouvez très naturellement, très harmonieusement, dans une réalité séparée, une réalité différente.
Les femmes peuvent entrer là très facilement. Elles n'ont aucun problème. Donc voilà vraiment l'avantage d'être une femme. Et don Juan et les sorciers disent que l'univers, l'univers entier, est féminin. L'énergie féminine peut aligner d'autres régions de l'univers plus facilement que l'énergie masculine qui est rigide et incapable de relâcher le contrôle. Mais c'est parce que les hommes sont considérés comme devant contrôler et commander dans n'importe quelle situation. Donc c'est vraiment difficile pour eux de laisser aller, d'abandonner, d'accepter, d'être pris dans l'une de ces autres réalités, c'est beaucoup plus facile pour une femme de le faire.
JM : Est-ce que je restreins la perspective de la sorcellerie si je vous demande ceci, en le formulant dans la perspective féministe, Taisha : dans le contexte de la sorcellerie et étant une femme, quels sont les bénéfices que vous avez retirés de la sorcellerie ?
TA : c'est une question valable. On nous pose parfois cette question, et alors nous disons, et bien, si vous... c'est comme être dans un magasin, un magasin très cher, et quand le vendeur arrive, et que vous demandez combien coûte ce costume, il vous dit que si vous demandez combien ça coûte c'est que vous n'en voulez pas. Alors quelques fois nous pensons que si vous en venez à vous demander pourquoi faire ça ou s'engager là dedans, c'est que ce n'est vraiment pas fait pour vous !
Mais c'est une question valable parce que nous, du point de vue de notre point d'assemblage, c'est sûr que nous nous demandons, et bien, qu'est ce qu'il y a pour nous là dedans, et pourquoi le faire.
Nous avons été élevés pour avoir une mentalité de marchand, des idées de marchand, et pour chercher la valeur des choses. Alors, à cet égard, il y a une valeur immédiate dans la sorcellerie et vous pouvez en faire l'expérience en le faisant.
Vous pouvez aborder cette question de deux manières. L'une est de se demander : est-ce que je veux rester sur cette position particulière du point d'assemblage sur laquelle je suis né, dans cette réalité. Et la plupart des gens répondront qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond là. La modalité de notre époque, selon les sorciers, se détériore vraiment. C'est une course sur la mauvaise pente, conduisant à la destruction. C'est vrai en général, mais c'est vrai aussi au niveau individuel en ce qui concerne notre propre bien-être.
Il existe des centaines de maladies qui peuvent nous attaquer n'importe quand et c'est garanti qu'une seule d'entre elles peut causer notre perte, parce que nous sommes tous destinés à mourir à moins que nous ne pratiquions la sorcellerie. Et les sorciers disent qu'en déplaçant le point d'assemblage, et en entrant dans l'une de ces autres réalités, la conscience reste intacte et on échappe à cet inévitable mort physique qui est vraiment inévitable seulement du point de vue d'une certaine position du point d'assemblage.
Et ils peuvent dire cela parce que le corps physique est quelque chose qui est en rapport étroit avec, ou limité par, notre perception de la réalité. Vous changez cette perception de la réalité et du même coup vous changez la perception de votre corps physique, et vous activez d'autres aspects de votre potentiel totale.
Le corps physique, qui va être détruit par la maladie et la mort, est seulement une conséquence de la position du point d'assemblage.
Alors nous avons le sentiment, chacun d'entre nous a le sentiment, qu'il y a quelque chose de plus là dehors, et qu'on voudrait pouvoir faire ça : on voudrait pouvoir être différent. On voudrait avoir davantage d'énergie mais ce qu'on fait dans l'immédiat c'est qu'on interprète ce désir, ce sentiment profond, cette connaissance intuitive. On traduit cela en termes humains, comme : "Je voudrais pouvoir avoir un meilleur boulot", "Je voudrais pouvoir avoir de meilleurs relations ou des relations plus intenses", "Je voudrais que les choses soient différentes au travail ou à la maison". On traduit cette insatisfaction, ou quoi que ce soit, ou ce manque énergétique dans le contrôle, pas vraiment dans le contrôle mais c'est une façon de dire, dans le contrôle de ce en quoi consiste notre destinée. Et en venant ici, j'ai vu un panneau d'affichage et je me suis dit que j'allais vous en parler. Ça disait : "La plupart des projets que les gens font pour l'avenir tombent toujours un petit peu à coté". Et c'était une publicité pour des pompes funèbres. Et je me suis dit, "C'est vrai, c'est exactement ça". Je veux dire, nos projets tombent toujours à coté, pas seulement un petit peu, mais je veux dire complètement à côté.
Alors les sorciers disent : "Non, ne vous contentez pas d'avoir des projets qui tournent court, et de ronchonner et de finir au cimetierre". Les sorciers pensent en grand. Ils pensent tellement grand qu'ils sont des abstractions. Ils font un bond dans l'infini. Ils bondissent au-delà de cette réalité où nos attentes ne sont jamais satisfaites, qui nous fait mourir déçus, contrariés, ou bien heureux mais néanmoins morts. Ça n'a pas d'importance qu'on meure heureux, riche, ou autrement, on finit de toute façon au même endroit.
Le destin de nos parents nous attend. Et ça nous le savons, nous le comprenons. Nous pouvons les voir vieillir, tomber malades, perdre leur lucidité, leur conscience. Les sorciers nous offrent, grâce à leur entraînement, une alternative, puisqu'ils disent : "Non, réfléchissez, emparez-vous de toute les possibilités d'être. Ne vous limitez pas vous-même à ce que vous avez appris, et à ce que votre langage et votre mode de pensée linéaire vous disent sur que vous pouvez seulement être". Parce que notre mode linéaire, il dit que ça commence à la naissance et que ça finit à la mort. Ça c'est un mode de pensée linéaire, basé sur notre culture. C'est la modalité de notre époque, la route super rationnelle et linéaire qui conduit à la destruction.
Les sorciers disent : "Non, n'acceptez pas ça. Contestez, remettez tout en question". Remettez même en question le fait que ce mur soit là. Contemplez-le et découvrez ce qu'est ce mur. Et alors vous voyez l'énergie qui constitue le mur, et vous découvrez que c'est fluide et que vous êtes fluide en tant qu'être sensible. La réalité est fluide.
Je peux dire catégoriquement que d'avoir de l'énergie, d'être énergétiquement vivant, d'être capable d'utiliser son corps d'énergie, d'avoir une alternative, d'avoir la clarté, la sobriété, c'est nettement mieux, supérieur, que d'être toujours dans un état de léthargie, de confusion, de déception, ou que d'atteindre des sommets extatiques suivis de descentes profondes, ou que d'avoir le sentiment d'être piégé, ce qui arrive à beaucoup de gens à cause de leur travail. Ils ne peuvent s'en échapper qu'en faisant du rafting sur le Colorado !
Les sorciers disent : "Non, ne vous limitez pas à ce genre d'évasion ou à la drogue ou à quoi que ce soit, fumer des cigarettes, le sexe, ou quoi que ce soit". Ce sont des manières de s'échapper, d'une certaine façon, des limites de notre vie quotidienne. Les sorciers disent : "Non, ne vous contentez pas des miettes. Prenez tout." Ils sont aussi avides qu'on peut l'être. Ils prennent... ils veulent être vivant avec la totalité d'eux-mêmes.
Et tout le monde a ce potentiel, cette opportunité. Mais disons qu'un sorcier a le courage de ne pas seulement désirer mais de vraiment s'engager dans la pratique à travers la récapitulation de sa vie, en lâchant la poignée de miettes à laquelle nous nous accrochons. En la lâchant pour pouvoir sortir la main et voir l'immensité qui est devant nous, pour être capable de percevoir d'autres choses qui sont inconcevables du point de vue de la vie de tous les jours, absolument inconcevables, mais parfaitement valables et acceptables du point de vue des sorciers.
Donc ils voyagent dans l'immensité, dans... ce qu'ils disent réellement, c'est qu'ils déplacent leur point d'assemblage en accumulant de l'énergie. Et toutes les techniques qui sont énumérées, qui sont décrites dans les livres, sont vraiment des façons d'emmagasiner de l'énergie, parce que à moins d'avoir l'énergie suffisante, vous ne pouvez même pas... je veux dire vous ne pouvez même pas passer une bonne journée au travail, et à plus forte raison voir votre patron comme un petit tyran.
Pour faire cela vous devez vous tenir sur la plate-forme de l'être énergétique, et rire, être capable de rire de ce que vous voyez autour de vous et de le voir depuis la folie contrôlée. Sinon, vous êtes pour toujours condamné à le voir, à considérer le monde qui nous a été donné, comme réel.
Et les sorciers disent : "Non, ce n'est pas réel." Ils disent qu'il y a cette possibilité et ils transforment la possibilité en action pratique. Donc ils n'en parlent pas ou ne théorisent pas dessus comme des physiciens, des philosophes, des philosophes extrême-orientaux, ils le transforment en action pratique. Et alors ils disent... l'impulsion qu'ils obtiennent... ils prennent les techniques qui sont dans les livres. Nous les offrons comme une ouverture pour quiconque veut bien les prendre. Et c'est comme si nous lancions une échelle et que chacun des barreaux soit quelque chose, une technique de non-faire, comme je l'ai dit déjà, interrompre le dialogue intérieur, ou récapituler.
Et comme vous le demandez, n'importe qui peut faire ces choses, et vous ne devez pas vous inquiétez sur le fait de les faire correctement, de savoir si la respiration est exactement comme ça. Il n'y a pas de règle. Regardez dans les livres. Prenez ce que vous pouvez. Et puis faites confiance à votre corps énergétique pour vous guider, pour vous dire ce qu'il faut faire. Et faites-le.
Ne vous découragez pas, et faites le. Et plus vous le ferez, plus vous verrez la validité de ce qu'est la sorcellerie et de ce dont nous parlons. Vous le verrez par vous-même et vous verrez aussi, bien sûr, son utilité, parce que vous ne ressentirez pas ces pointes de déception qui vous ravagent dès que vous faites quelque chose qui tourne mal. D'un seul coup, vous vous sentirez léger comme si un poids avait été enlevé de vos épaules.
Vous verrez les avantages quotidiens au fur et à mesure de la pratique de ces techniques. Les sorciers ont une expression. C'est une chanson, un air mexicain appelé "Valentina." Et dans cette chanson il y a une phrase qui dit, "Si tu vas mourir demain, tu ferais aussi bien de mourir aujourd'hui." Et c'est ce qui motive les sorciers. Ils savent qu'on va mourir. Je veux dire que, du point de vue de la vie de tous les jours, c'est tout ce qui nous attend. Donc vous feriez aussi bien de faire le saut et de mourir maintenant et vous vous retrouverez dans une autre réalité, et vous verriez que d'autres alternatives vous attendent, à votre plus grande stupéfaction et pour votre plus grand plaisir !
JM : Taisha, dans le contexte judéo-chrétien, il y a un mythe sur le commencement du monde, sur le commencement de la vie et de l'univers, et sur la fin concernant le retour du fils de Dieu et d'un nouveau paradis. N'y a-t-il pas une préoccupation des origines de la vie au sein de la sorcellerie, et de l'avenir de la vie en ce qui concerne l'humanité ? Comment un sorcier formulerait-il cela ?
TA : C'est une très grosse question du point de vue de la vie de tous les jours, parce que, bien sûr, nous sommes concernés par ce que sera notre futur. Chaque culture possède ses propres mythes concernant la création du monde. Et certaines cultures ont quelque chose comme six ou sept périodes de destructions, et le monde a été recréé et maintenant nous sommes dans le cinquième soleil, ce sont des cycles différents. Ce sont des mythes qui sont valables au sein de chaque cadre culturel pour tenter d'expliquer le parcours de l'humanité, et où va l'humanité.
Mais du point de vue des sorciers, la sorcellerie se préoccupe surtout de où va l'individu, plutôt que de l'abstraction appelée culture, ou humanité, ou société, parce que, comme nous le savons tous, ces choses-là sont constituées d'individus, et la société ne peut aller nulle part où ne vont ses individus. Donc les sorciers s'intéressent au destin des êtres individuels, aux personnes en particulier.
Et tous ces livres ont été écrits, vraiment, pour servir de guide, afin que toute personne individuelle, qui souhaite changer son destin, disons, puisse avoir une chance de s'échapper du parcours naturel de l'évolution, quel qu'il soit. Les sorciers ne spéculent vraiment pas tellement sur où cela va aller dans le futur. Ils ne passent pas leur temps à pronostiquer ce que va nous apporter le futur parce qu'ils sont intéressés par l'activation de leur corps d'énergie, afin de pouvoir maintenir leur conscience quel que soit l'endroit où ils se trouvent.
Le futur, le passé, cette façon linéaire de penser, ne s'applique pas vraiment au monde des sorciers. Mais vous pouvez y penser dans le sens où un sorcier, où qu'il soit, va y être avec la totalité de lui-même, énergétiquement intact. Ce qui veut dire qu'il n'y a pas d'intérêt à savoir ce qui s'est déroulé dans un certain passé, parce qu'il n'y a pas de passé. Le sorcier a récapitulé sa vie et il a rassemblé l'énergie pour se déplacer dans le présent immédiat.
Les anciens sorciers avaient une conception différente, plus en accord avec les mythes de différentes cultures, sur le fait qu'il existe un temps futur ou un temps passé, et un temps du rêve. Et nous, du moins nos anthropologues parlent d'un temps de rêve. Et ils le pensent comme une période de temps indéfini dans un passé chronologique précédent l'écriture. Ou bien en Chine nous avons l'empereur jaune et son royaume mythique, ou bien encore avant lui, les quatre empereurs mythiques. Et nous y pensons comme à une progression linéaire, ou je veux dire, un mouvement linéaire à rebours vers un point inconnu. Mais ça, c'est encore penser en termes linéaires.
C'est très facile de penser de la sorte. Et alors, si vous faites ça, vous en venez à vous tourmenter sur la nature de l'avenir. Mais un sorcier... [fait] tout ce que j'ai dit jusque là, en utilisant la perspective phénoménologique de l'accroissement de la perception, et la prise de conscience que le temps et l'espace sont une question d'intentionnalité que nous avons si bien incorporé que ça nous rend incapable de percevoir globalement, et à la place cela nous oblige à percevoir un "objet." Et cet objet possède déjà son futur et son passé par le fait même que nous percevons cette réalité.
Les sorciers, quand ils brisent ces concepts pris comme allant de soi, brisent aussi l'idée qu'il y a un futur là quelque part qui nous attend. Non, non, rien ne nous attend. Si il y a quelque chose qui nous attend, c'est cette eau infestée de requins après avoir sauté du rocher d'Alcatraz ! Et ce qu'il y a dans cette eau, ce sont tout d'abord les êtres inorganiques. Il existe d'autres entités en plus des êtres humains sensibles, dans l'univers en général.
Les rêveurs pénètrent dans ces domaines ou ces couches, non pas des couches temporelles ou spatiales, mais simplement des couches, des couches énergétiques. Plus vous avez d'énergie, plus vous vous déplacez et vous transformez. Mais vous ne vous déplacez pas dans l'espace et dans le temps à la façon dont les anciens sorciers le croyaient. Ils avaient un modèle ancien et différent de la façon dont cela fonctionne. Ils pensaient que c'était physiquement qu'on descendait à l'intérieur de la Terre, à travers différentes couches, ou qu'on montait à travers sept couches successives dans le ciel. Et c'est aussi un modèle, une sorte de modèle oriental bouddhiste dans lequel il y a différents degrés de saints et de personnages sacrés, et en bas on trouve les hommes, puis les démons. Tout est sous forme de couches. C'est un modèle linéaire.
Les anciens sorciers étaient habitués à penser que oui, on descendait dans ces sombres profondeurs. Mais les sorciers ont compris que ce n'est pas comme ça qu'est la réalité. C'est une question d'énergie, de transformation énergétique de ce qui se trouve en face de nous. En fait, vous ne bougez pas du tout. Vous faites simplement... Tout bouge en même temps. Ce n'est pas que vous vous trouvez ici et que quelque chose d'autre se trouve là-bas. Il n'y pas d'ici et de là-bas. Tout se dissout d'un seul coup. J'ai appris à dissoudre ça dans les arbres.
En d'autres termes nous sommes toujours ici et maintenant, mais le ici et le maintenant ne sont pas toujours les mêmes. Je veux dire, c'est là où intervient la traque. Les traqueurs découvrent ce qu'est ce "ici," et ce en quoi consiste ce "maintenant," pour cette nouvelle position de rêve. Et c'est toujours en train de changer, mais on est toujours ici et maintenant.
La sorcellerie comporte de nombreuses contradictions, d'apparentes contradictions, parce que notre esprit rationnel ne peut pas concevoir cela. Le problème n'est pas le destin du monde ou de l'humanité, car ils voient... Comme je l'ai dit, la réalité de la vie de tous les jours est dans un seul..., disons, n'est qu'un seul cheveu dans la tresse. Et les sorciers veulent aller ailleurs. Mais quoi qu'il puisse arriver après leur départ, ce n'est plus leur problème, sur le plan énergétique.
En ce qui concerne le destin du monde nous pouvons le voir en termes d'astronomie. Ils nous disent que nous avons découvert des galaxies, des constellations complètes d'un univers immense, immense, et sans fin, et que chacun est un monde à part entière. Alors le destin d'un seul grain de poussière ne va pas faire la moindre différence, du point de vue de la totalité.
Ce que font les sorciers, c'est qu'ils adoptent cette sublime perspective. Cela aurait une énorme signification si nous étions là et qu'un séisme nous frappe ou qu'une bombe nucléaire nous tombent dessus. Cela aurait une grande signification pour nous, mais nous ne serions plus là pour nous lamenter. Et du point de vue d'une perspective à grande échelle, si un sorcier est parti, ces événement-là n'entrent plus en ligne de compte dans son monde de traqueur. Mais le point important ici est que chaque individu peut partir et explorer son potentiel.
Donc ce ne sont pas des propos inhumains, parce que, d'un autre coté, ils [les sorciers] se contredisent eux-mêmes et se sentent très concernés, et disaient que nous devions écrire ces livres pour le cas où certaines personnes seraient intéresées, afin de pouvoir attraper un barreau de l'échelle et faire l'expérience de ces choses.
Un fois qu'un sorcier a quitté la réalité de la vie de tous les jours, son interaction avec ses semblables change. Et nous pouvons parler de comment un sorcier voit la société. Pas la société dans son ensemble, encore que les sorciers fassent des assertions sur la "modalité de notre époque" et qu'ils voient qu'ils existent certaines tendances. Ils appellent ça le syndrome du "pauvre bébé," ce qui caractérise la modalité de notre époque. Mais cela est encore en rapport avec l'individu. L'individualité et tout ce que nous faisons ou disons ou espérons, nous le tournons toujours en auto-contemplation, en "Pauvre bébé que je suis ! Qui va bien pouvoir m'aider ?" C'est ça la modalité de notre époque. C'est l'expression d'une pratique individuelle.
Lorsqu'un sorcier s'en va, il quitte les problèmes du moi. Il part vraiment vers une position que les traqueurs qualifient de "sans pitié" ou "détachement." Et alors qu'il se détache lui-même, ce qu'il fait réellement, il n'est plus en mesure de partager cette intersubjectivité avec ses semblables. Et voilà pourquoi il lui est si difficile d'interagir avec les gens : parce qu'il ne reflète plus les attentes des gens. Les gens pensent qu'il est bizarre, qu'il y a quelque chose d'anormal avec lui. Il arrive d'on ne sait où, et ça c'est vrai. Il vient de quelque part ailleurs. Alors l'intersubjectivité, la possibilité de communication, s'écroule.
Donc si un sorcier doit rester en compagnie des gens dans le monde, la seule manière de le faire est à travers ce que les sorciers appellent "la folie contrôlée," à travers "se traquer soi-même et traquer les autres," à travers la vision de toute chose sous forme d'énergie, en ne voyant aucune signification profonde aux valeurs et aux problèmes humains, parce que tout ça provient réellement de la préoccupation de soi.
Un sorcier n'a plus à se soucier d'un moi qu'il n'a plus, et il ne peut plus se servir de cette intersubjectivité, au sens de refléter cette auto-préoccupation. Et les autres ne peuvent pas voir en lui cette auto-préoccupation comme ils la voient en eux-mêmes. Alors ils comprennent qu'il y a quelque chose de bizarre. Ils n'ont plus ce miroir, cette glace, dans laquelle se regarder eux-mêmes.
C'est pourquoi un sorcier ne peut interagir qu'en terme de folie contrôlée. Et don Juan, c'était la manière dont il interagissait avec les gens, avec tous les membres du groupe de sorciers. Et maintenant, c'est la façon dont nous, nous interagissons. Carlos Castaneda voit rarement des gens, en somme, car il arrive un moment où on se déplace tellement loin du point d'assemblage de la vie de tous les jours qu'on perd tout intérêt à quoi que ce soit concernant monde ordinaire ou les relations avec les gens. Et non seulement on ne s'y intéresse plus, mais cela devient physiquement presque impossible. Ou bien les gens sont effrayés si on apparaît subitement dans la pièce, car ce qui arrive quand on déplace son point d'assemblage, c'est qu'on active, comme je l'ai dit, le corps d'énergie, et qu'il peut disparaître de la réalité de tous les jours. Donc quand un sorcier s'en va, il s'en va, entre guillemets, de la réalité de tous les jours. Il devient essentiellement invisible.
Et c'est ça l'entraînement des traqueurs. On devient de plus en plus invisible, jusqu'à ce qu'arrive le moment où on peut marcher dans la rue, si cela existe encore, et que personne ne nous voit, parce qu'on a interrompu le dialogue intérieur qui réaffirme sans cesse que, "Je suis dans le monde, je suis comme ceci et comme cela, je suis telle et telle personne, je suis moi-même vous savez !" Ce sujet de préoccupation a été dépassé et vous avez utilisé votre énergie pour entrer dans une réalité différente. Et vous vous retrouvez, un beau jour, très harmonieusement dans une autre réalité, où il y a des gens mais où ces gens ne sont pas les gens de la vie de tous les jours.
Vous vous êtes déplacé vers une autre tresse de cet univers de conscience et il y a d'autres choses là. Ce n'est pas le vide. Vous savez, ce n'est pas si évident que ça, cette réalité de la vie de tous les jours, dans laquelle nous sommes nés, qui dit qu'il n'y a rien d'autre. C'est ce que nous aimerions en quelque sorte penser, ou bien qu'il y a un paradis et un enfer là dehors, quelque part. Mais cela fait vraiment parti de notre pensée linéaire. Pourtant, pour les orientaux, c'est bien ça : c'est vide, il n'y a rien.
Non, il y a un nombre infini de fibres, de fibres énergétiques de conscience dont vous pouvez faire l'expérience empiriquement. Et vous pouvez voir d'autres choses. Les rêveurs visitent des quantités de mondes dans d'autres univers où il y a d'autres configurations planétaires, d'autres chiens, des animaux à trois pattes, toutes sortes de formes organiques qu'on ne trouvent pas dans cette réalité. Ils ont leur propre table des éléments, la table périodique des éléments, de différents éléments qui ne sont pas connus de nos physiciens et de nos chimistes. Et ces choses-là forment des combinaisons différentes. Donc un traqueur, quand sa position du point d'assemblage a changé, commence à traquer et à décrire cette autre réalité.
Carlos Castaneda a passé une grande partie de son temps, dernièrement, à rêver et à explorer certaines de ces régions. C'est pourquoi il n'était pas dans le monde de la vie quotidienne. Il va sortir un livre sur les portes du rêve, qui décrit les véritables procédures, comment sortir de la réalité de la vie de tous les jours et entrer dans ces autres mondes ["L'Art de Rêver"].
Donc voilà ce que font les sorciers. Et la réalité de la vie de tous les jours perd de son importance.
JM : Si vous pouviez brièvement nous expliquer votre situation ou votre stade d'évolution actuel dans le processus de sorcellerie, et comment s'y insère l'écrivain... Je suppose qu'à l'origine, et de manière prédominante, il y a une tradition orale de la sorcellerie pour l'acquisition de la connaissance. Ainsi, voulez-vous bien nous dire, Taisha, pour résumer, comment vous vous situez en tant qu'écrivain, vers où vous mène votre chemin de connaissance, où vous en êtes maintenant, et toute autre remarque que vous auriez à faire.
TA : Je peux parler un petit peu de l'écriture, comment ces livres sont écrits ou comment moi j'ai écris mes livres. Ils traitent des toutes premières étapes de mon entraînement et donc ça m'a pris des années et des années pour écrire cela. Et pourquoi ce livre sort-il juste maintenant, après tant de temps passé ?
La raison est que nous ne... et je parle pour moi, pour Florinda Donner, Carol Tiggs, qui avons publié des livres. Nous ne les écrivons pas vraiment à la manière dont les gens écrivent des livres, d'une façon linéaire, en faisant des recherches et en notant l'information, ou en imaginant des personnages fictifs, en réorganisant les notes de terrain, pour ensuite présenter leurs histoires. Non, nous n'écrivons d'aucune de ces façons car nos travaux ne sont pas vraiment écrits à partir de l'esprit rationnel, dans le mode linéaire, à partir du point de vue de la vie de tous les jours. Ils proviennent d'une autre position du point d'assemblage. Et tout ce que nous avons appris, tout cet entraînement, ou au moins la plupart de l'entraînement que nous avons suivi, s'est déroulé depuis une position différente du point d'assemblage.
Emilito, qui m'a formée, mon second professeur, et qui m'a vraiment entraîné à traquer, et bien il n'existe pas dans le monde de la vie de tous les jours. Et ainsi le plus gros de mon entraînement a été effectué depuis une position de rêve. Et voilà pourquoi je vous ai dit au début, quand j'ai commencé à parler, j'ai dit que Taisha Abelar est réellement une position de rêve, qu'elle n'est pas née dans le monde de la vie de tous les jours.
Quoi que Taisha Abelar puisse être et quoi que je puisse vous dire maintenant, c'est quelque chose qui vient d'ailleurs, d'une autre position. Et l'énergie nécessaire pour non seulement faire l'expérience de ce qui a pu se passer ou se produire... et alors on a besoin d'une seconde couche d'énergie pour être capable de se le remémorer, parce qu'il y a plus, il y a beaucoup plus de choses, qui se sont produites dans des régions dont je n'ai pas souvenir.
Et ainsi, ma tâche actuelle consiste à les retrouver. Et plus j'emmagasine d'énergie, mieux je peux me souvenir et ramener ces choses à la surface, afin de pouvoir les relater. Et d'une certaine manière, ce que nous faisons est de traduire quelque chose qui est toujours ici et maintenant, c'est circulaire, c'est une couche différente, une couche énergétique. Nous le traduisons en un mode linéaire au mieux de nos capacités, en paroles, ce qui est linéaire, et à travers l'écriture.
Ainsi nos livres sont une traduction de ce qu'ont été nos expériences, dans le but de pouvoir les présenter de manière cohérente. Et là encore intervient l'importance d'une formation académique, de manière à ce qu'il y ait une racine, une fondation, que je puisse à présent utiliser, et sur laquelle je puisse compter pour ne pas avoir à dire : "Oh, c'est fantastique". Je veux dire, j'ai vu des choses fantastiques, dont je ne peux même pas parler, parce que lorsque vous voyez ces choses, il est impossible de parler, croyez moi !
Et quand j'y pense maintenant, je n'ai jamais la langue aussi clouée que quand je commence vraiment à faire revenir mon point d'assemblage ! Je le retiens en ce moment tout au long de cette conversation, sur une certaine position, grâce à mon entraînement de traqueur. Et seulement grâce à mon entraînement de traqueur.
A la minute où je quitterai ce lieu, mon point d'assemblage se déplacera ailleurs. Croyez-moi, je vais repartir d'où je suis venue, le "ici maintenant" d'une autre réalité ! Et là-bas je ne serai pas capable de parler de cette manière. Alors pendant la courte durée où je suis ici, ce que je veux faire c'est vraiment arriver à transmettre et à formuler, pour quiconque s'intéresse à comprendre quelques-unes de ces idées, les très difficiles et cependant très simples concepts qui font la sorcellerie.
Et nos livres ont le même objectif d'essayer d'ouvrir cette connaissance au public, parce que nous n'avons réellement aucun apprenti. La règle qui gouvernait le cercle de don Juan, son groupe, n'a plus cours.
Les quelques personnes qui ont été formées par lui, ont été entraînées avec une fluidité totale et une sobriété totale, pour que nous soyons capable de déplacer notre point d'assemblage depuis de multiples et multiples positions, avec fluidité et avec responsabilité, et avec une conscience et une sobriété absolues. Et finalement, nous partirons vers la liberté totale, où nous ne nous arrêterons nulle part en particulier. Ce sera si fluide que, quelque soit l'endroit où les pouvoirs nous emmèneront, (le pouvoir de l'intention), cet endroit sera là où nous sommes. Quel que soit cet endroit en définitive.
JM : Nous parlions avec Taisha Abelar de son livre "Le Passage des Sorciers, le Voyage Initiatique d'une Femme." Taisha, merci d'avoir pris le temps de parler sur KPFK.
TA : Okay. C'était un plaisir pour moi d'être ici.
Interview réalisée en février 1993, dans les locaux de Toltecs Artists Incorporated à Los Angeles.
( Transcription )
Radio KPFK - février 1993 - Interview dans les locaux de Toltecs Artist Inc. - Los Angeles
John Martinez : Taisha Abelar est l'auteur du Passage des Sorciers, Le Voyage Initiatique d'une Femme. Elle fait le récit de son expérience, comment elle a fait la connaissance des sorciers et des pratiques véritables de sorcellerie. Collègue de Carlos Castaneda, de Carlos Tiggs et de Florinda Donner-Grau, Taisha Abelar parle dans l'interview suivante de la validité des expériences de la réalité non-ordinaire et explique en détails les processus des sorciers, aussi bien que les perspectives des sorciers concernant l'ordre social, le féminisme et la liberté.
Et nous sommes ici avec Taisha Abelar, auteur du Passage des Sorciers, Le Voyage Initiatique d'une Femme. Tout d'abord, Madame Abelar, bienvenue sur KPFK.
Taisha Abelar : Oui, c'est un grand plaisir d'être ici et de me voir offrir la possibilité de parler de mon travail et de quelques-uns des concepts de sorcellerie.
JM : Taisha, pourriez-vous s'il vous plaît commencer par une courte biographie de vous-même, de votre vie, antérieurement à ce dont vous faites référence dans le livre, pour donner à nos auditeurs une idée générale de qui est exactement Taisha Abelar.
TA : La question que vous venez de poser ne s'adresse pas réellement à Taisha Abelar car Taisha Abelar est un nom sorcier qui m'a été donné afin d'achever un certain stade de mon apprentissage. L'apprentissage en question déplaçait réellement le point d'assemblage, et je parlerai de ça à un autre moment. Donc la position depuis laquelle je vous parle est une position de sorcier, la position d'une sorcière. Et c'est ce qu'est Taisha Abelar.
Avant cela, j'étais une personne ordinaire. Je suis entrée dans le monde de don Juan vers l'âge de vingt ans, et je n'avais aucune aptitude particulière. J'étais juste une jeune femme ignorante qui n'avait aucun centre d'intérêt, à part celui de vivre une romance ou d'être aimée, soucieuse de ce que les gens disaient d'elle. Je ne poursuivais pas le moindre apprentissage académique.
Donc, mon histoire, avant d'entrer dans le monde de don Juan, est vraiment comparable à celle de n'importe qui. On me pose souvent la question, "Aviez-vous quelque aptitude particulière qui vous a permis de vous ouvrir à cela, ou avez-vous été choisie d'une certaine manière?" Non. Pensez plutôt à moi comme à une personne normale, une personne comme une autre qui est tombée sur le monde de don Juan.
De mon point de vue, cela était perturbant parce que j'étais simplement dans le désert. J'avais l'habitude de dessiner. Je faisais quelques croquis quand une femme s'est approchée de moi. Et nous avons commencé à parler. J'ai pensé que c'était une personne très intéressante parce qu'elle était allée en Chine et qu'elle avait pratiqué les arts martiaux. Avant d'entrer dans le monde de don Juan, j'avais pratiqué, moi aussi, les arts martiaux.
Voilà ce qu'il y a eu avant. J'étais intéressée par le mouvement et aussi par le dessin, mais à part ça je n'avais pas d'autre centre d'intérêt. Elle m'a invité à aller au Mexique pour passer quelques jours en sa compagnie, et j'ai accepté parce que je pensais qu'on parlerait de Bouddhisme et de philosophie orientale et de choses comme ça.
Alors je l'ai suivie et suis restée quelques jours avec elle au Mexique. Les jours sont devenus des semaines, puis des mois. Et elle m'a poussé à pratiquer ces séries d'exercices qui... elle m'a dit qu'en me donnant un coup d'oeil rapide, elle avait vu que j'étais énergétiquement épuisée, et que je devais donc suivre un certain entraînement. Et je ne savais pas du tout que c'était de la sorcellerie.
Il y avait une grotte près de la maison et je devais y aller tous les jours et m'asseoir à l'intérieur. Elle disait que je devais suivre ce processus consistant à passer en revue toute ma vie. Je ne savais vraiment pas que c'était une technique ancienne de sorcellerie appelée "récapitulation". Cela engageait simplement la respiration pendant la remémoration du passé, afin de ramener l'énergie de ma propre histoire.
Et j'aborde cela maintenant parce que ce qui s'est passé au cours de cette procédure c'est que j'ai commencé à me perdre moi-même en tant que personne ordinaire. La récapitulation est une sorte de déblayage du moi humain ou du moi ordinaire, en terme de passé et de là où l'on est né. Toutes ces choses se dissolvent et vous perdez votre histoire personnelle, ce qui vous permet de construire votre personne en tant que sorcier, votre personnalité.
Puis j'ai rencontré don Juan. Quand j'ai eu accumulé assez d'énergie, j'ai été présentée à don Juan Matus et à quelques-uns de ses compagnons, de ses collègues, et ils m'ont appris les autres techniques de sorcellerie.
Une des caractéristiques relatives à mon état d'esprit à cette époque était que je n'avais aucun intérêt pour les études ou la connaissance ou... Je ne savais pas penser, je ne savais pas parler, avant d'entrer dans le monde de don Juan. J'étais une de ces personnes qui grandissent en apprenant qu'on ne doit pas parler à moins qu'on ne vous adresse la parole, que les enfants peuvent être regardés mais pas écoutés. Je ne connaissais alors aucun moyen de m'exprimer, je n'avais aucune idée de ce qu'était la conceptualisation. La pensée abstraite m'était totalement étrangère car je n'étais intéressée que par les choses pratiques de la vie de tous les jours, comme rencontrer d'autres personnes, trouver l'amour, et par tout ce qui intéresse les femmes à cet âge là.
Donc, dans ce sens, je n'avais rien d'extraordinaire. Alors, j'ai reçu l'ordre, car cela faisait partie de mon apprentissage de sorcière, d'entrer à l'université et d'entamer une formation. Il ne s'agissait pas seulement d'être capable de changer les attentes de la société concernant les femmes, en termes de... Bon, ce sont les hommes qui doivent recevoir une formation et avoir un travail ou faire une carrière, et d'autres choses, tandis que pour les femmes, c'est un peu comme elles veulent. Si elles veulent, c'est okay, si elles ne veulent pas, c'est aussi okay, parce que leur destin est déjà prédéterminé, c'est-à-dire, trouver un mari, avoir une famille et d'autres choses comme ça, ce qui faisait aussi partie de mon destin.
Donc, il y a eu deux aspects dans ma formation. L'un a consisté en quelque sorte à chambouler ce que j'attendais de mes possibilités, de mes capacités, ou de ce que les autres attendaient de moi. Et l'autre aspect, c'est que cela m'a donné l'occasion de devenir capable de penser de manière analytique, de conceptualiser, de comprendre ce qu'est la sorcellerie. Car bien qu'ils nous aient enseigné des techniques, certaines pratiques et procédures, ils nous ont également fourni des concepts très abstraits sur ce qu'est la sorcellerie, sur comment les sorciers perçoivent le monde et voient la réalité. Cela demande un intellect très aiguisé afin d'être capable de saisir l'essence de ce dont ils parlent.
Sinon vous ne restez qu'à un certain niveau, et vous abordez la sorcellerie à la manière, disons, d'un anthropologue : seulement depuis l'extérieur, en restant à la surface. Et vous pensez que la sorcellerie implique de chanter, de guérir, de danser, de porter des masques, de faire des rituels bizarres. Voilà nos conceptions, du point de vue de notre société, sur ce que font les sorciers.
Je ne savais rien de la sorcellerie à cette époque et je ne me doutais même pas que c'était ce qu'ils m'enseignaient, mais c'est venu petit à petit. Et alors que cela émergeait, il m'a fallu comprendre non pas le vernis superficiel de ce qu'est la sorcellerie mais ce que cela impliquait vraiment, et pour cela on doit avoir un intellect très pénétrant et une solide instruction pour être capable d’en saisir les concepts.
JM : Taisha, pouvez-vous... Je sais que Carlos Castaneda a écrit à propos du chemin de la connaissance yaqui et de sa quête pour devenir un homme de connaissance, … et avec l'ingestion de peyotl son travail est devenu très populaire à la fin des années 60 et au début des années 70. Et il est encore beaucoup lu aujourd'hui... Je sais que Castaneda a écrit l'avant-propos de votre livre. Pouvez-vous aborder les questions qui sont soulevées sans cesse avec Castaneda ? Tout d'abord le fait que son travail serait une fiction, puis le fait qu'il préconise ou donne son accord pour ce qu'on appelle aujourd'hui l’usage de drogues illicites. Pouvez-vous dire quelque chose sur l'influence de Castaneda aujourd'hui, vingt ans après ?
TA : Absolument, car l'apprentissage que j'ai reçu dans le monde de don Juan a été très semblable à celui de Carlos Castaneda ; nous sommes vraiment un très petit groupe à avoir reçu l'enseignement de don Juan et de ses associés. Il s'agit de moi, de Florinda Donner, qui a fait le récit de son apprentissage dans Les Portes du Rêve, et de Carol Tiggs. Nous sommes juste une poignée, et nous avons tous reçu fondamentalement le même enseignement.
Mais les ouvrages de Carlos Castaneda, bien sûr, sont sortis au tout début des années 60. Les deux premiers livres, L'Herbe du Diable et la Petite Fumée, et Voir traitent de l'utilisation des drogues... en fait, pas des drogues mais des plantes hallucinogènes. Ce sont des substances hallucinogènes que nous appelons des drogues d'altération de la conscience, ou quelque chose comme ça.
Il y a plusieurs raisons à cela. Je peux aborder cette question et ensuite revenir à la validité de son travail. La raison pour laquelle don Juan a donné des drogues à Carlos Castaneda durant son apprentissage tient en deux points. Le premier est que Carlos Castaneda était le nouveau nagual. Il était celui qui était vu à cette époque comme le leader du nouveau groupe, même si cette situation a évolué dramatiquement. Il n'y a vraiment pas de groupe depuis.
Quelque chose, au cours de l'enseignement, a fait que don Juan et ses proches ont réalisé que cette génération n'était pas du tout la même que la leur. Il y a donc eu des changements notoires dans son apprentissage, en opposition à l'apprentissage traditionnel d'un sorcier. Mais il voulait poursuivre malgré tout. Don Juan a donc pensé qu'il devait transmettre la tradition de l'utilisation et du mode de préparation de ces plantes car cela faisait partie de la tradition de sorcellerie, et il était de son devoir de la transmettre à son apprenti. Ainsi, il lui a enseigné toute la tradition, toute les préparations, tous les détails de l'utilisation de ces plantes.
La seconde raison a été que le but de l'utilisation des plantes se rapporte, comme disent les sorciers, au déplacement du point d'assemblage. Je pense que je dois expliquer à présent ce qu'est le point d'assemblage, parce qu'on va en reparler, sinon ce ne sera pas clair pour les auditeurs.
Quand les sorciers voient le corps énergétique d'une personne, ils voient un point de luminosité très intense fait d'une lumière très brillante. Celui-ci est situé à un certain endroit sur le corps énergétique et illumine certains filaments énergétiques qui s'alignent avec les fibres énergétiques de l'univers dans son ensemble. Il y a donc un nombre infini de possibilités qui composent l'univers et qui composent également nos corps d'énergie. Seule une très petite portion d'entre elles, une "bande", s'aligne avec ce qu'il y a dehors pour assembler, disons, les perceptions qui sont là dehors dans l'univers.
Quand cet alignement se produit, les sorciers disent que la perception a lieu. Nous construisons notre réalité. Et cela dépend de la position du point d'assemblage. Donc nous sommes tous nés sur une certaine position. Nous avons tous nos points d'assemblage à un certain endroit qui fait que nous nous accordons mutuellement sur ce que nous voyons, que nous nous accordons sur ce que nous percevons.
L'utilisation des drogues, ou des plantes psychotropes, déplace le point d'assemblage vers des positions différentes et allume des filaments différents, ce qui nous fait percevoir des choses différentes. Les drogues, par le biais des réactions chimiques... affectent le corps d'énergie, et vous avez des perceptions différentes, vous percevez certaines choses.
Maintenant, la raison pour laquelle don Juan a exposé Carlos aux plantes psychotropes n'était pas juste la tradition, mais Carlos étant un être rationnel, il lui était très difficile de déplacer son point d'assemblage en utilisant des méthodes naturelles et les autres pratiques de sorcellerie. Il devait être fortement ébranlé pour pouvoir sortir rapidement de cette position. Et c'est ce que font ces plantes, l'usage de la petite fumée ou du peyotl. Elles déplacent le point d'assemblage violemment et énergiquement vers une autre position.
Les dangers encourus sont néanmoins énormes. Par exemple, parce qu'il n'y a aucun contrôle. Rien ne vous dit vers où le point d'assemblage va se déplacer, quels univers vous allez percevoir, sous l'influence de la petite fumée ou juste des drogues d'aujourd'hui, que ce soit de la marijuana, ou même du tabac... Cela n'a pas besoin d'être de la cocaïne, ou des choses comme ça. Les dangers sont les mêmes. Nous n'avons aucun contrôle sur ce qui va arriver à notre perception de la réalité. Puis il y a les dangers physiques : le mal que cela produit au corps, combien cela est nocif au corps d'énergie à cause de l'énergie que cela consomme.
A chaque fois que vous avez une expérience de déplacement du point d'assemblage, à moins que vous ne le fassiez de manière contrôlée, cela vous affaibli sur le plan énergétique, et vous... Bien sûr, le danger ultime est que vous pouvez même en mourir ou devenir fou ou perdre l'esprit, ou d'autre chose encore. Ce sont des choses qui arrivent. On voit ça tous les jours.
Mais don Juan, bien sûr, lorsqu'il transmettait la tradition des plantes à Carlos Castaneda, était toujours présent à ses côtés, avec don Genaro qui le gardait, pour s'assurer de l'endroit vers lequel se déplaçait son point d'assemblage. Ils savaient exactement quelle réalité il était en train d'allumer, grâce à leur "voir", et ils lui fournissaient le contrôle qu'il était incapable d'avoir lui-même parce qu'il était sous l'influence de quelque chose d'autre, d'une force extérieure. Donc, ils fournissaient le contrôle et s'assuraient que rien ne lui arrive, que rien de mal ne lui arrive. Et cela pour être sûr qu'il pourrait revenir, que son point d'assemblage pourrait revenir, ce qui survient naturellement lorsque les effets se dissipent.
Mais parfois ça ne se passe pas comme ça. Parfois les sorciers se perdent dans d'autres réalités et tout simplement ne se réveillent pas. Ils ne reviennent pas. Et ils meurent. On court donc là un danger extrême. Et faire ceci sans un guide ou quelqu'un qui s'y connaît, c'est suicidaire, vraiment.
Donc, le but est de sortir de la fixation rationnelle qui est la notre, qui fait que cette réalité est telle qu'on la connaît : ce qui de notre point de vue est une donnée, mais qui, du point de vue des sorciers, est un acte de création.
Et les phénoménologues aussi... Bon, je vais parler un peu de phénoménologie et parler ensuite de la validité de son travail. De cette manière nous toucherons aux deux questions.
Juste pour conclure la partie sur les plantes psychotropes, notre apprentissage n'a fait l'objet d'aucune prise de plantes, d'aucun usage de drogue ou de peyotl. Y compris Florinda Donner et Carol Tiggs. Les femmes n'ont pas besoin d'être secouées de manière aussi extême pour relâcher leur prise sur la réalité. Leur point d'assemblage est très fluide et se déplace automatiquement. Le point d'assemblage de tout le monde se déplace durant le sommeil lorsque nous rêvons, mais, bien sûr, il fait des allées et venues et nous n'avons aucun contrôle. Mais le mouvement du point d'assemblage est naturel pendant le sommeil.
Les femmes, lorsqu'elles ont leurs règles, ont leur point d'assemblage qui vient à se déplacer très légèrement. Elles sont alors en mesure de voir des choses, elles peuvent avoir de brefs aperçus, elles peuvent entendre des choses, elles deviennent très très sensibles sur le plan émotif, parce que leur point d'assemblage se déplace tous les mois. Elles peuvent utiliser ce déplacement naturel pour faire "du rêve" ou pour faire de la sorcellerie. C'est ce que font les femmes, les femmes sorcières.
Donc sauf dans de rares cas et parce que Carlos Castaneda était le nagual, on lui a donné des plantes pour vraiment qu'il comprenne et pour qu'il sache les utiliser. Ses deux premiers livres traitent de ce travail, et après on n'en entend plus beaucoup parler. Et cela parce qu'il n'a plus... Son point d'assemblage était suffisamment fluide pour qu'il puisse le déplacer par d'autres moyens, des moyens plus doux, des moyens plus naturels. Et la suite de son apprentissage, tous les autres livres, traite de déplacer le point d'assemblage en utilisant d'autres techniques de sorcellerie.
Donc je voulais parler un peu de nos conceptions de la réalité et de la conception que les sorciers ont de la réalité car c'est en rapport étroit avec le point d'assemblage. Les sorciers affirment que tout ce que nous percevons est déterminé par la position du point d'assemblage. Et nous sommes nés dans cette réalité étant enfants. Bien sûr le point d'assemblage est erratique. Les nouveau-nés ne peuvent pas parler, ils n'ont pas le langage. Ils perçoivent le monde différemment. Mais au fur et à mesure qu'ils grandissent, leur perception du monde se calque sur celle de tous ceux qui les entourent et alors une correspondance, un "alignement" s'établit.
Les phénoménologues disent que la matérialité du monde est construite, elle n'est pas donnée, même si nous croyons qu'elle l'est. Les phénoménologues tiennent compte de cet accord tacite que nous partageons tous sur la vie de tous les jours, qu'il y a un hier en termes de temporalité, de spatialité et d’inter-subjectivité, nous permettant de trouver un accord sur ce que font les autres dans la même pièce. Les phénoménologues prennent en considération ces hypothèses et ces a priori et les voient comme des phénomènes à étudier.
Le fait que nous sachions qu'il y a une histoire naturelle pour toute chose... Voyons, je vais vous donner quelques exemples, juste pour clarifier cela. Nous savons donc que, disons, cette porte-là ne vient pas juste d'apparaître. Nous savons qu'elle était là avant que nous n'entrions dans la pièce. Nous savons qu'elle y sera après que nous en serons sortis. Ceci est une continuité temporelle qui est construite par notre perception de la réalité.
La continuité spatiale aussi est construite. Nous savons qu'il y a une rue là dehors, et qu'au-delà de la rue il y a des immeubles, bien que nous ne les percevions pas directement. Nous savons qu'il y a un océan à un certain nombre de kilomètres. Nous avons cartographié notre espace, notre réalité spatiale. La réalité est basée sur notre conception de l'espace et du temps et sur notre certitude que les autres savent aussi que nous sommes dans une certaine pièce. Nous construisons tous les mêmes enveloppes basées sur le langage : la porte, la rue, la maison.
Mais les sorciers, eux, recherchent la perception immédiate, directe, au lieu de s'appuyer sur des enveloppes à la manière dont nous le faisons dans notre vie de tous les jours. Nous ne percevons pas directement. Nous avons déjà filtré la perception au travers du langage, au travers de notre culture, au travers de nos expériences passées. Nous ne percevons pas immédiatement. L'apprentissage des sorciers consiste à revenir soi-même à la perception immédiate de la réalité.
Les sorciers se posent les mêmes questions que les phénoménologues : qu'est-ce que la perception, qu'est-ce que la réalité, qu'est-ce qu'un accord, un consensus, qu’est-ce qu’une convention ? Mais ils disent que la perception est vraiment une question d'avoir le point d'assemblage sur la même position. Ou disons que l'accord se produit lorsque tout le monde a le point d'assemblage au même endroit. Quand il bouge, d'autres réalités toutes aussi réelles que celle dans laquelle nous sommes maintenant sont constituées.
La validité de quoi que ce soit ne peut être établie que par l'expérience authentique. Tout ce que nous faisons dans nos vies quotidiennes est réel parce que nous en avons fait l'expérience ou que d'autres en ont fait l'expérience, et que nous partageons... Nous avons un accord intersubjectif et un langage commun qui nous permet de comprendre ce dont nous sommes en train de parler.
Par exemple, un astronaute ou un homme qui marche sur la Lune : nous voyons ça à la télévision, nous le lisons les journaux, nous entendons même prononcer les mots "un pas de géant pour l'humanité" qui sont maintenant si célèbres. Donc, bien que nous ne les ayons pas vus sur la Lune, la nuit nous regardons la Lune et nous nous disons "oui, des hommes sont allés là-haut". Maintenant, est-ce que c'est un sursaut de foi ? Non, pas exactement, pas comme une vierge qui donne naissance ou l'immaculée conception. C'est basé sur le travail des gens de la NASA, sur l'industrie aérospatiale.
Chaque sous-groupe possède ce que les phénoménologues, et même les sociologues, appellent une adhésion au groupe. Ils sont capables de valider leur propre petit segment. C'est comme des couches sur des couches, comme les couches de la combinaison d'astronaute. Ils ont 24 ou 25 couches dans leur combinaison. Pour moi, ça défie l'imagination. Nous avons l'habitude de penser à une seule couche à deux faces, double épaisseur laine et coton. Mais non, eux, ils ont 18, 20 couches, chacune d'entre elles faisant quelque chose de très particulier. Les gens qui fabriquent ces combinaisons savent ce qu'ils font, et de quoi ils parlent. Nous sommes réduits à admettre ce qu'ils font parce que nous n'en avons pas de connaissance directe.
Tous ceux qui ont travaillé ensemble avec cette formidable concentration, durant des années d'entraînement, ont été capables de rendre cet exploit raisonnable, de rendre cette expérience valide du fait que des hommes sont allés sur la Lune, de telle façon que maintenant personne ne se pose plus de questions. Mais la sorcellerie demande également des années d'entraînement. Vous ne pouvez pas simplement dire "je vais m'allonger", et d'un seul coup devenir un corbeau ou quelque chose comme ça. Bien sûr, ça parait absurde. Et c'est absurde. Du point de vue de notre vie quotidienne, de la réalité de notre être-dans-le-monde, les exploits des sorciers ne sont que des contes d'énergie, des histoires de pouvoir. Ce ne sont que des contes, et de là provient la question du doute et des histoires que les gens racontent sur le travail de Carlos Castaneda, ou notre travail, qui ne serait globalement que de la fiction, que des histoires. Et c'est vrai du point de vue de la vie de tous les jours, car il n'y a aucun moyen pour une personne ordinaire de le valider, à moins que nous gagnions son adhésion.
Et nous, nous ne pouvons pas aller marcher sur la Lune, ça ne nous est pas accessible. Mais être un sorcier ou une sorcière, oui, ça nous est accessible. N'importe qui peut valider par lui-même ou par elle-même ce que Carlos Castaneda ou moi-même avons écrit dans nos livres, parce que nous ne décrivons pas seulement ces autres réalités en disant "oh, oui, ça existe, alors ayez la foi". Non, en les décrivant, nous devenons véritablement des phénoménologues. Nous décrivons ce qui nous est arrivé physiquement du point de vue corporel, et du point de vue de notre corps d'énergie. Nous en avons fait l'expérience.
Pour nous, ce ne sont pas des histoires de pouvoir, ou des contes d'énergie, ce sont vraiment des descriptions que nous faisons au mieux de nos capacités. Selon la quantité d'énergie que nous avons, nous sommes capables de décrire ces autres positions du point d'assemblage sur lesquelles nous nous sommes déplacés. Mais après je parlerai certainement de la manière exacte dont vous pouvez déplacer votre point d'assemblage.
Les choses qui sont dans les livres, dans ce travail, sont des indications. Ils disent à tous que si vous faites ces choses, si vous pratiquez la récapitulation, si vous pratiquez le non-faire, si vous mettez en pratique l'abandon de votre histoire personnelle, si vous pratiquez la contemplation, votre point d'assemblage se déplacera et votre corps saura. Vous saurez, avec tout votre être, ce dont parlent les sorciers.
La validité est là pour quiconque veut la découvrir. Mais c'est un processus de création exactement comme poser un homme sur la Lune est un processus de création. Ça ne se produit pas dans un claquement de doigt. Cela exige énormément d'énergie, de puissance mentale et conceptuelle, des mathématiciens, des physiciens, des astrophysiciens, et l'entraînement physique des astronautes. Il a fallu rassembler tout ceci pour accomplir un seul et unique exploit.
C'est la même chose avec la sorcellerie. Cela prend des années, toute notre vie. J'avais une vingtaine d'années quand je suis entrée dans le monde de don Juan. A partir de ce moment là, chaque chose faisait partie de mon entraînement, mon entraînement en sorcellerie. Et cela inclut le fait d'aller à l'université. C'était un mandat qu'ils m'avaient donné. Ils m'ont dit, "Tu dois cultiver une romance avec la connaissance". Et il a fallu que je suive une formation universitaire, que je passe un doctorat, et non pas du point de vue d'une personne ordinaire, de la manière dont les gens vont habituellement à l'école. Non, c'était un exercice de traque. J'ai dû utiliser les petits tyrans qui se présentaient : les professeurs. J’ai dû me défaire des attentes, des espoirs avec lesquels j'avais grandi, par la récapitulation. Récapituler vous permet réellement de voir quels sont vos modèles, vos modèles de comportement et quelles sont vos attentes. Alors vous appliquez ce que vous avez appris en récapitulant. Vous l'appliquez dans votre vie de tous les jours, à votre être-dans-le-monde. Et en l'appliquant, vous validez la position des sorciers, au lieu de valider la position de la vie de tous les jours, la position de vos parents, la position de vos pairs, de ce que la société vous dit.
Nous sommes toujours en train de valider cela à travers nos comportements, nos pensées, notre langage, et notre dialogue intérieur. Nous nous répétons encore et encore les choses que nous devons nous répéter, comme dans un petit cercle, pour bien nous assurer que rien d'autre n'y pénètre. Nous sommes toujours chargé au maximum de notre capacité, question perception. C'est comme une bulle. C'est scellé de telle manière qu'il n'y pas de moyen de s'échapper. L'ouverture doit venir de l'extérieur, d'une autre position du point d'assemblage.
Don Juan nous a donné cet accès, cette ouverture. Il appelait cela le centimètre cube de chance qui surgit. Et vous, ou bien... Et bien, soit vous êtes tellement captivé par vous-même que vous ne le voyez même pas, soit vous ne le saisissez pas à cause des raisons qui sont les vôtres : vous êtes trop rationnel ou trop savant, au sens où vous savez déjà tout et où vous avez un esprit fermé. Ou bien vous le saisissez. Les personnes avec qui nous sommes, qui ont été avec don Juan, ont saisi ce centimètre cube de chance. Et nous continuons à valider tout ce qui nous a été dit sur ce qu'est la sorcellerie et la potentialité d'être plus que ce qui vous a été alloué en tant qu'être né dans le monde, sur une certaine position.
JM : Si vous voulez juste conclure sur ce point, il y a des personnes dans la société qui critiquent Castaneda pour son travail et le discréditent en disant que cela fait la promotion de l'usage et de l'abus des drogues. Font-ils juste la démonstration de leur ignorance en ce qui concerne le contexte du chemin de la connaissance de Castaneda?
TA : Ce qu'ils ont fait c'est qu'ils ont lu un peu vite les livres ou n'ont peut-être même pas du tout lu certains des livres. Peut-être n'ont-ils même pas lu les livres du tout, peut-être juste les deux premiers livres et ils se sont arrêtés là, parce que les deux premiers livres, comme je l'ai dit, traitent seulement de la tradition des plantes psychotropes. Mais avant de dire quoi que ce soit, ils devraient absolument lire tous les livres et voir quel en est le contexte.
Ils parlent aussi depuis le point de vue de la vie de tous les jours, de cette position depuis laquelle, bien sûr, les drogues sont mauvaises. Je ne pense pas qu'il y ait réellement ici un désaccord en ce qui concerne l'usage des drogues.
En ce qui nous concerne, je veux dire Carlos Castaneda et quiconque pratiquant la sorcellerie, nous menons des vies absolument pures. Et nous sommes très attentifs à ce que nous mangeons car tout ce qui affecte le corps d'énergie diminue les chances de sobriété, de contrôle. Si cela affecte le corps d'énergie de façon destructrice, alors on manquera de contrôle dans ce que les sorciers appellent la traque, la capacité de traquer.
Traquer c'est vraiment la capacité d'adopter une nouvelle position du point d'assemblage. Cela n'a pas besoin d'être une position différente, ça peut être celle sur laquelle on se trouve, et alors c'est explorer ses ramifications. Mais pour ça vous avez besoin d'énergie. Vous avez besoin d'énergie pour observer ce qu'est la réalité. Sans ça on avance à l'aveuglette et on laisse les choses nous arriver. On est à la merci de la modalité de l'époque, qui est ce que don Juan appelait le point particulier où nos point d'assemblage se situent tous.
Nous sommes nés dans ce qui est appelé "la modalité de notre temps". Nous sommes à la merci de ce qui nous tombe dessus, que ce soit nos parents ou nos proches, notre système éducatif, que ce soit ce que nous entendons à la radio, ou ce que nous lisons dans les livres et les journaux. Tout ça nous dit d'une certaine manière ce que nous pouvons faire et ce que nous pouvons être. Nous sommes complètement affectés par cela.
Mais pour se rendre compte de ça, nous devons avoir de l'énergie, plutôt que de rester à la merci [des médias]. Disons que les adultes ou les proches qui disent, "Oui, prend de la marijuana, fais-ci, fais-ça", n'ont pas l'énergie pour y résister. Je ne veux pas dire résister, mais plutôt s'interroger. Ils sont inspirés par ce que leur environnement dit et fait. Et ils y vont, que ce soit suicidaire ou non.
La sorcellerie dit exactement le contraire. Elle dit non, interrogez-vous. N'acceptez pas n'importe quoi. N'acceptez pas les dogmes religieux. N'acceptez pas ce que vos amis disent lorsqu'ils vous glissent un petit paquet de cocaïne ou de quoi que ce soit. Mais qui peut réellement s'interroger sur ces questions ? Seulement quelqu'un qui possède une force qui vient d'ailleurs. Et où se trouve cet ailleurs ? Les sorciers disent que c'est le corps d'énergie.
Nous tous avons réellement deux positions du point d'assemblage : la première, c'est celle qui nous est donnée, celle de nos parents, celle sur laquelle nous sommes nés, celle qui manifeste cette réalité particulière, lui permet de maintenir sa continuité, et est la force qui nous fait accepter cette réalité comme étant la seule et unique qui soit.
Mais nous avons tous un corps d'énergie, comme sur une position fantôme. Les sorciers l'appellent le double. C'est une autre position que nous activons durant les rêves, intuitivement. Nous avons tous le sentiment qu'il existe quelque chose d'autre, là, mais nous n'avons pas l'énergie de le saisir. Ou bien nous sentons que nous pourrions être différent, ou plus cohérent, plus clair, plus vivant. Et nous ne pouvons pas. Nous ne le pouvons pas à cause du poids de la société, de notre travail, des soucis de la vie de tous les jours, de nos inquiétudes à propos de nous-mêmes, de "qu'est ce qu'il va m'arriver". "Moi", et "Je" sont nos préoccupations premières. Nous n'avons pas d'énergie pour autre chose.
Mais don Juan affirme qu'il y a autre chose; tous les sorciers, pas seulement don Juan. Il y a une autre position que nous pouvons tous adopter, et nous devons l'activer. Nous devons l'utiliser comme contrepoids et c'est ce qui nous donne l'énergie de ne pas nous faire emporter par la vie quotidienne. Cela nous permet d'avoir une petite perche, une petite plate-forme, en dehors de ce bourbier, sur laquelle nous pouvons nous maintenir, et qui nous permet de voir depuis une perspective différente.
Quelle est cette autre perspective ? C'est une autre position du point d'assemblage, en dehors. Et comment est-ce qu'on y accède ? Comment la consolide-t-on ? Car c'est ce que les sorciers veulent faire. Ils veulent être capable de percevoir plus. C'est une question de perception. Ils veulent percevoir plus que ce qui est permis ou autorisé du point de vue de notre réalité quotidienne.
Notre réalité dit : "Non, les arbres sont des arbres, la maison est là, vous savez qu'il y a un océan". Nous avons un système établi d'enveloppes, d'interprétations, et elles sont comme rigidifiées. Elles ne sont pas flexibles. L'apprentissage des sorciers permet à l'esprit, au corps, d'acquérir la flexibilité de... Les drogues ou les plantes psychotropes déplacent aussi le point d'assemblage. Puis celui-ci revient directement où il était et vous vous retrouvez encore plus coincé qu'avant, parce que vous êtes énergétiquement affaibli. Vous avez blessé votre corps. Vous avez perdu le sens du contrôle, de la maîtrise. Et vous continuez à renforcez ça, et vous ne serez vraiment plus capable d'activer ce corps d'énergie. Vous le détruisez, en fait.
Donc l'autre méthode d'apprentissage, la récapitulation, est une des méthodes clés. Et nous la faisons tous, nous qui suivons cet entraînement de sorcellerie. Nous pratiquons. Nous faisons de la récapitulation. Carlos Castaneda récapitule constamment, constamment. Nous le faisons tous.
Ce que c'est, c'est que vous... Pratiquement, il y a deux couches. Du coté pragmatique, vous faites une liste de tous les gens que vous avez connu dans votre vie. Vous vous asseyez et visualisez depuis le présent, en remontant dans le temps, toutes les expériences qui constituent votre vie, le souvenir de ce que vous avez été, de ce qui a constitué la personne que vous êtes maintenant.
Et cela, bien sûr, inclut les interactions avec votre famille, avec vos amis. Tout ceci est intrinsèquement lié à ce qui vous constitue parce que vous êtes sous le coup de cette intersubjectivité. Vous ne vivez pas sous vide, et les sorciers non plus. Votre point d'assemblage et votre énergie sont constamment bombardés par ce que les autres vous disent. Et vous y répondez. Donc il y a cette interaction.
La récapitulation vous permet de voir cela et d'extraire votre énergie du souvenir de votre moi, de vos actions passées. Donc vous fermez les yeux et vous visualisez vos agissements, de manière très systématique. Vous avez votre liste et vous travaillez en remontant le temps et vous utilisez la respiration, car la respiration est une méthode très subtile. Vous ramenez l'énergie, vous visualisez. Vous commencez sur votre...
Je vais décrire ça très précisément maintenant, bien que cela soit décrit dans "Le Passage des Sorciers". Commencez à partir de votre épaule droite. Vous avez votre scène visualisée, et vous inspirez en déplaçant la tête vers votre épaule gauche. Et ensuite vous expirez tout ce qui vous est étranger, tout ce qu'ils ont déversé sur vous verbalement, physiquement, et que vous ne voulez plus, parce que tout est du passé de toute façon. Vous l’expulsez. Vous l'expirez. Vous le renvoyez pendant que vous déplacez votre tête vers votre épaule droite. Et ensuite vous ramenez votre tête au centre. Et vous continuez à balayer les scènes remémorées, et vous nettoyez.
Ce que vous faites, c'est ramener l'énergie qui est piégée pour pouvoir l'utiliser dans le présent. Et où est-ce que ça vous mène ? Bien sûr vous devez être très attentif à ne pas l'utiliser pour renforcer le moi, mais à l'utiliser pour construire votre corps d'énergie, pour être capable d'acquérir ce supplément d'énergie afin que vous puissiez voir ce qu'est la vie, examiner ce que vous êtes en train de faire. Vous gagnez ainsi un certain contrôle sur votre existence.
La récapitulation, au sens abstrait, parce que les sorciers sont très abstraits en fait, c'est si abstrait qu'à ce niveau nos corps ne sont réellement qu'une idée. Nous ne sommes plus sur la position du point d'assemblage de la matérialité du monde qui veut que nous ayons un corps physique, que le banc soit ici, que l'arbre soit là. Non. Nous nous sommes interrogés sur tout ça et nous avons vu, à travers la récapitulation, que ces choses sont seulement une question d'accord, de consensus. On nous a dit cela et nos corps ont répondu d'eux-mêmes à l'accord selon lequel nous n'avons pas le choix, car nous sommes nés dedans.
Donc à un niveau abstrait, la récapitulation permet de construire autre chose, une petite plate-forme pour que vous puissiez vous y retirer progressivement, car pendant que vous vous remémorez le passé, votre passé énergétique, et que vous travaillez à reculons, vous travaillez à deux endroit en même temps. Vous vous déplacez depuis ici, depuis votre corps énergétique, vers ça : les souvenirs de votre propre matérialité, ce qui constituait votre monde. Et vous pouvez observez vos modèles se répéter eux-mêmes. Vous pouvez entendre ce que vos parents vous ont dit, et vous voyez.
D'un seul coup vous voyez. Mais c'est qui, qui voit ? Ce n'est pas le "vous-dans-le-monde," mais c'est cet autre être, le voyant. Don Juan l'appelait "le voyant en vous qui se réveille". Vous êtes en train d'activer cette position fantôme du point d'assemblage, que nous avons tous, mais vous la rendez plus forte. Vous l'utilisez pour la première fois. Au sein de notre culture, il ne nous est pas permis de l'utiliser. Nous n'avons même pas connaissance qu'elle est là.
Tout nous accapare entièrement, à cause de la modalité de notre époque. Réellement tout est consommé par nos besoins et nos désirs immédiats, et nous n'avons même pas le choix dans ce domaine. Cette autre position commence à s'activer, à se renforcer, et vous êtes alors en mesure de vraiment vous interroger, et de briser les barrières de la perception qui ont été établies par les préoccupations de la vie quotidienne.
JM : Taisha, vous venez de parler des termes et des concepts contenus dans votre ouvrage. Pouvez-vous nous donner une idée générale de votre livre en ce qui concerne les thèmes qui y sont abordés, les questions soulevées, les concepts. Nous pourrions commencer par ça.
TA : Fondamentalement, la première moitié du livre traite de la récapitulation, et il est raconté, expliqué en détail, comment elle s'effectue, et mes propres expériences, les difficultés rencontrées, et les procédures. Et donc cela même donne au lecteur l'occasion d'essayer par lui-même. C'est une invitation vraiment, pour n'importe qui, parce que les sorciers ne sont pas un groupe d'élites... qui auraient à être choisis, ou auraient besoin de croiser le chemin de don Juan ou auraient besoin d'avoir un sorcier comme guide.
Non, n'importe qui peut prendre ces livres et faire ces choses, les pratiques qui y sont décrites. Et c'est un moyen de valider ce dont on parle, en faisant vos propres expériences.
Donc la première partie du livre traite de la récapitulation. Et j'ai été aussi, comme je l'ai dit, quand j'ai eu assez d'énergie, j'ai été présentée à don Juan et à plusieurs autres membres de son groupe. Et cela aussi est décrit dans le livre : mes rencontres avec eux et les choses qu'ils m'ont enseigné.
On m'a montré certaines pratiques qui incluent des techniques de contemplation, des techniques de non-faire. Ils y a des passes de sorcellerie qui mettent en jeu directement le corps d'énergie, certains mouvements et certaines respirations qui le mettent en action, ou nettoient le corps d'énergie et activent certains centres d'énergie pour permettre au point d'assemblage de se déplacer avec plus de fluidité.
Et donc la deuxième partie du livre, je suppose à peu près à partir du milieu, c'est quand ils ont pensé que j'étais prête pour franchir ce qu'ils appellent le passage des sorciers, la grande traversée, qui est en somme un mouvement du point d'assemblage, un déplacement, parce que la récapitulation vous y prépare.
Je vivais ou séjournais dans cette maison, et il y avait une partie gauche de la maison dont ils faisaient toujours fait allusion, mais dans laquelle je n'avais jamais été autorisée à entrer. Et alors il est venu un moment où ils ont décidé que oui, j'étais prête à rencontrer les autres membres du clan qui m'attendaient dans le coté gauche de la maison. Ce qui est réellement un mouvement du point d'assemblage vers une autre réalité, parce que la partie gauche de la maison n'existe pas dans ce monde tel que nous le connaissons.
Donc je suis passée par une série de techniques et de mouvements énergétiques invoquant l'intention. Mon corps d'énergie était capable de s'activer de lui-même, bien sûr aussi avec l'aide de Nelida, qui était là à mes cotés. J'ai activé mon corps d'énergie, ce qui veut dire que j'ai déplacé mon point d'assemblage. Mais au lieu de le faire bouger harmonieusement vers une certaine position comme ils l'attendaient, là où ils m'attendaient, j'ai eu une sorte de décrochage et je n'ai pas pu me souvenir de là où mon point d'assemblage avait abouti. Et je n'ai pas pu me rappeler les détails de ma perception. C'est l'inconvénient. Cela arrive aussi dans certains cas lorsqu'il n'y a pas de contrôle. C'est un déplacement erratique. En d'autres termes, mon point d'assemblage s'est déplacé de façon erratique.
Et donc la seconde partie du livre traite des différents types d'entraînements. Je me suis retrouvée dans un bosquet d'arbres, dans une cabane dans les arbres, à l'avant de la maison. A ce moment je n'ai pas su comment j'avais atterri là. J'ai juste supposé que quelqu'un m'avait hissé dans un harnais, et j'étais là-haut dans une cabane dans les arbres. Mais ce que je ne savais pas c'était que je ne m'étais pas réveillée. Mon point d'assemblage n'était pas revenu sur sa position normale. Il était sur une position où... dans une autre réalité mais pas très éloignée. J'étais revenue de mes divagations et j'étais sur cette position. Donc la seconde partie de l'entraînement traite de la traque, qui consiste à stabiliser la position du point d'assemblage quel que soit l'endroit où il se trouve.
Dans mon cas c'était dans ce bosquet, dans la cabane d'arbre, à l'avant de la maison. Mais l'apprentissage lui-même... il était mené sous la conduite d'Emilito qui n'existe pas non plus dans la réalité de la vie de tous les jours. Il était sur une position du point d'assemblage, une position de rêve. Donc je m'étais réveillée sur une position de rêve à un endroit différent, mais j'avais à cultiver la technique des traqueurs pour pouvoir maintenir cette position et atteindre un certain degré de contrôle sur mon corps énergétique.
Cet apprentissage a été très très important pour ce qui est arrivé après. Parce qu'à nouveau, cela ne fait aucune différence que vous déplaciez votre point d'assemblage, si vous ne pouvez pas le stabiliser sur une autre position, et traquer cette réalité. Vous obtenez encore des visions incohérentes, comme ce qui arrive, je suppose, sous l'influence des drogues. Vous avez des visions d'apparitions incohérentes de monstres qui surgissent, ou bien votre point d'assemblage fait des bonds alentour. Et c'est ce qui est destructeur pour le corps d'énergie.
Donc vous devez être capable de le stabiliser sur une autre position. L'apprentissage des traqueurs, qui était très très important dans mon cas à cause de mon point d'assemblage erratique, consistait à explorer les ramifications d'une réalité différente. Et dans mon cas c'était le monde des arbres, dans la cabane. Mais cette cabane existait parce que d'autres membres du groupe de sorciers avaient aussi... Celle qui avait eu le même problème, à savoir Zuleïca, l'un des membres du clan de don Juan, et qui était en réalité Emilito, parce que Emilito était le corps de rêve de Zuleïca sur cette autre position... Donc ceux qui avaient des problèmes de mouvements erratiques du point d'assemblage étaient hissés en haut dans le harnais, et étaient envoyés dans la cabane d'arbre pour apprendre à le stabiliser.
Pourquoi étaient-ils placés dans les arbres ? Parce qu'être entouré par les arbres, être surélevé par rapport au sol, oblige le corps à développer une nouvelle relation avec ce qu'est vraiment notre corps d'énergie, mais il est vraiment aussi réel et solide que notre corps physique ou que le sol ou la gravité. Donc en étant dans les arbres, en grimpant aux branches, en récapitulant encore dans les arbres, en contemplant dans les arbres, et grâce à toutes les autres activités que vous pouvez pratiquer dans les arbres au-dessus du sol, tout cela m'a permis d'explorer une nouvelle position du point d'assemblage. Et elle était très limitée parce que je n'ai jamais quitté les arbres, la cabane dans les arbres. Je suis restée... Bon, en fait, je descendais et j'allais dans la maison principale, vous savez, si j'avais besoin d'aller aux toilettes, d'utiliser la salle de bains. Mais je remontais immédiatement. Et ma nourriture était hissée là-haut. C'était Emilito qui me hissait ma nourriture.
Donc je passais tout mon temps au-dessus du sol. Je devais dormir dans les arbres. Et la concentration et la sobriété requise pour grimper aux arbres est si intense, car le fait qu'au moindre faux mouvement vous pouvez tomber me forçait à garder toute mon attention fixée sur mon activité immédiate, plutôt que laisser mes pensées s'égarer en termes de passé, de présent et de futur, à la façon dont nous le faisons maintenant, sur la position habituelle du point d'assemblage.
Il nous est difficile d'être toujours concentrés sur l'ici et le maintenant où se trouve la moitié de nous-mêmes. La moitié de notre énergie est coincée dans le passé, dans des actions passées. L'autre moitié est en quelque sorte projetée dans un futur inconnu, et une très petite partie de nous-mêmes est réellement engagée dans ce que nous faisons dans l'instant. Mais ma vie dans les arbres, tout ça, était... Bien sûr, ayant déjà récapitulé, il n'y avait plus de passé, plus d'horizon temporel.
Les sorciers ont donc vraiment rompu l'accord spatial et temporel que nous avions appris corporellement, en nous plaçant dans un espace clos entouré par quelque chose qui nous a empêché de voir l'horizon. Il n'y avait pas de distance spatiale. Nous ne pouvions pas voir très loin, les arbres étaient si denses. Donc il n'y avait pas d'espace en termes de distance, et aussi... je ne pouvais pas supposer, à la manière dont nous supposons à partir de cette position du point d'assemblage, que oui il y avait des maisons dehors, des rues, l'océan. Je n'avais aucune idée de ce qui se trouvait au-delà du bosquet d'arbres. En fait c'était comme un vide.
Tout ce que j'avais, tout mon univers, se réduisait aux arbres. Donc l'apprentissage de la sorcellerie a effectivement rompu la continuité spatiale et temporelle. Il n'y avait plus cette perspective du "ici" et du "là-bas" que nous avons dans notre vie de tous les jours parce que nous sommes... C'est comme quand on est assis "ici", du point de vue de la vie de tous les jours, et qu'il y a toujours un "là" parce que manifestement nous sommes ici ; et que nous pouvons nous lever et marcher jusque là-bas, ou bien nous pouvons imaginer ce "là-bas" même si nous ne pouvons pas l'atteindre. Nous pouvons nous y rendre en avion ou en train. Je veux dire qu'il n'y a pas... Je ne peux pas le voir, mais l'intentionnalité, du point de vue phénoménologique, nous fait remplir les trous, nous fait combler les manques ou les interruptions spatiales, mais pas dans le monde des sorciers. Dans le monde des sorciers, dans les arbres, tout ce qu'il y avait devant moi était tout ce qui existait au monde, pendant cette période. Et c'était une manière de s'entraîner à se concentrer sur ce qu'on fait.
Plus tard, j'ai utilisé cet enseignement extraordinaire dans mon travail académique, pour me concentrer sur ce que j'étais en train de faire, et non pas pour supposer qu'il y avait une université là-bas, quelque part. Non, du point de vue des arbres et de la cabane dans les arbres, la vie de tous les jours n'existait plus. Ça avait été démoli ou avait complètement disparu, parce qu'il n'existait aucune garantie non plus que je revienne un jour.
Donc les instructions que je devais suivre, les choses que je devais faire, la récapitulation dans la cabane des arbres, formaient encore un niveau supplémentaire pour récupérer tout ce qui avait été laissé dans le passé, dans d'autres lieux, d'autres régions, pour tout ramener à l'intérieur, pour consolider le corps d'énergie. Et c'est seulement en consolidant le corps d'énergie que vous pouvez apprendre quelque chose sur lui et que vous pouvez l'utiliser. Et donc voilà ce qui a constitué la seconde partie de mon apprentissage.
J'ai aussi reçu des tâches de rêve que je pratiquais dans la cabane des arbres, parce qu'après un certain temps, le caractère immédiat de toute chose fait que vous avez envie de vous déployer. C'est bien d'être complètement dans l'immédiat mais vous pouvez également depuis cette position déplacer votre point d'assemblage vers une autre position. Donc la seconde étape a consisté à rêver depuis la cabane des arbres qui était déjà une position de rêve. Donc vous utilisez les positions de rêve, vous utilisez votre corps d'énergie pour vous déplacer.
L'apprentissage des traqueurs est de devenir absolument fluide, de maintenir une position du point d'assemblage, mais aussi d'être capable de bouger à partir de là. Mais alors, où que vous vous déplaciez, vous vous déplacez avec sobriété et contrôle, et avec le même niveau de discipline, et vous explorez votre nouvelle réalité de façon à rendre cela réel. Nous créons notre réalité à mesure que nous nous déplaçons.
Pendant que le point d'assemblage se déplace, de nouvelles réalités sont crées devant nos yeux. Mais nous devons interagir avec elles. Alors la réalité... revenons à notre... à la réalité de la vie de tous les jours. Elle n'est pas seulement là. Elle est là parce que nous interagissons avec elle. Nous savons qu'il y a un ici et un là-bas parce que nous nous déplaçons dans la pièce en contournant les meubles pour arriver à un certain endroit. Nous sommes dedans. Nous créons cette réalité comme nous faisons des choses, comme nous pensons, comme nous sommes... mais nous la créons à l'intérieur des limites établies par notre esprit linéaire et nos prédilections rationnelles.
Cette position du point d'assemblage limite en grande partie ce que nous pouvons faire à partir de là. Nous ne pouvons pas passer à travers le mur, en d'autres termes, parce qu'il est solide. Nous savons qu'il est là. Mais par le biais de la contemplation, et c'est ce que je faisais dans les arbres... Disons qu'une partie de l'entraînement consiste en des techniques de contemplation, parce que contempler est un moyen très simple, en fait tout le monde peut le faire, c'est un moyen fondamental pour réaliser la validité de ce dont je suis en train de parler.
Voyez plutôt : tout ce que vous devez faire est de regarder un arbre, une plante. Vous commencez à contempler les feuilles et assez rapidement tout passe en deux dimensions. C'est nous qui garnissons la face arrière, nous ne la voyons pas. L'intentionnalité dit qu'une feuille possède une face avant et une face arrière et qu'elle possède de petites veinures à l'intérieur. Les botanistes possèdent de très très nombreux niveaux de connaissance complexe sur les arbres et les plantes, que nous pouvons ne pas avoir, mais il y a des niveaux bien définis de connaissance de certaines choses sur lesquelles nous pouvons avoir un accord. Et lorsque vous commencez à contempler des arbres ou des feuilles ou du gravier ou quoi que ce soit, vous voyez seulement ce qui est donné à votre corps d'énergie : l'immédiateté. Là vous voyez réellement. C'est ça, ce que vous voyez. C'est pourquoi les sorciers appellent cela "voir", parce que c'est comme ça quand vous voyez vraiment. Vous placez votre corps d'énergie à la disposition de l'énergie qui émane de ce qui est là devant vous, et vous vous harmonisez de manière différente, de sorte que vous voyez l'énergie. Donc vous regardez un arbre ou vous le contemplez et tout d'un coup vous réalisez que non, ce n'est pas un fait accompli, ce n'est pas solide, ça bouge. Il n'a pas de face arrière, à la manière dont nous y pensons. Ou bien des racines. Nous ne voyons pas ça. Nous voyons des tournoiements de lumière. Tout d'un coup les feuilles se mettent à briller doucement et vous voyez des tournoiements d'énergie et vous vous dites "oh, c'est ça un arbre !"
Je n'en avais aucune idée jusqu'à ce que je commence à expérimenter quelques unes de ces techniques, en m'amusant avec. Et si vous essayez, vous direz aussi "oh, un arbre est bien plus que ce vernis". Vraiment un arbre est énergétiquement vivant, nous aussi sommes énergétiquement vivants. Et nous pouvons faire infiniment plus de choses qu'on ne nous l'a raconté, ou qu'on nous a dit être capable de faire avec notre corps physique.
Contempler nous permet d'engager notre être énergétique, une position différente du point d'assemblage, et cette position fantôme se renforce de plus en plus. Et alors nous voyons les arbres bouger. Tout d'un coup, nous pouvons les déplacer en focalisant notre énergie sur eux, et ils ne sont plus enraciné en un point particulier. Les sorciers disent qu'un bosquet d'arbres tout entier peut soudainement se retrouver ailleurs.
Maintenant, ceci est à nouveau un conte d'énergie, mais qui a été "vu", car lorsque le monde devient fluide, rien n'est plus enraciné, rien n'est plus définitif, rien n'est plus un fait accompli. C'est en mouvement permanent et c'est comme ça qu'est le monde. C'est comme ça qu'est la réalité. C'est nous qui la rendons limitée, solide, factuelle. Nous lui imposons ses limitations. Mais il n'y a pas de raison. Développer nos capacités en tant qu'être sensible, et utiliser d'autres aspects dont nous n'avons pas même conscience, c'est possible. Alors on utilise ou on voit le monde dans des termes différents.
JM : Taisha, vous abordez ces termes et ces concepts dans votre livre : rêver, traquer, point d'assemblage, récapitulation. Y a-t-il... Ou serait-il trop limitatif de tenter de poser cette question : y a-t-il certaines corrélations entre les termes et les concepts analytiques de la science et les termes et concepts de votre ouvrage ?
TA : Oui, il y a des corrélations. Et j'ai parlé longuement de l'un d'eux qui provient de la philosophie, à savoir la phénoménologie. Je n'ai pas besoin de revenir là-dessus, mais les phénoménologues savent théoriquement, ou ils ont l'intuition que c'est comme cela qu'est la perception, que ce serait la bonne approche quand nous parlons de réalité et de perception, que nous devrions suspendre notre jugement, ce qui veut dire ne pas imposer l'aspect factuel de notre monde pour parler de cela. Mais lorsque c'est appliqué... Et même en phénoménologie de très très nombreuses personnes sont familières de tout cela.
En fait, les anthropologues, les sociologues, sont très familiers de ces concepts. Mais, disons que, lorsqu'ils font leur travail de terrain, ou même lorsqu'ils vivent leur vie de tous les jours, ils ne s'aventurent jamais au-delà du stade théorique de l'utilisation de ces choses. Ils sont effrayés, car ce que fait la sorcellerie, par exemple, c'est bouleverser le confort et les certitudes de la vie quotidienne qui font que le monde est comme ci ou comme ça. C'est dévastateur, et beaucoup d'entre nous ne veulent pas de ce bouleversement.
Cela crée une dissonance très forte et très troublante, et ce doit être fait systématiquement. Sinon vous pouvez devenir complètement dingue si tout d'un coup, vous savez, le mur disparaît et vous vous retrouvez ailleurs sans vous y être réellement rendu en marchant. Vous vous réveillez, vous savez, à un pâté de maisons plus loin et vous vous dites, "où suis-je ?" C'est plutôt renversant !
Donc voilà les concepts. La phénoménologie et l'anthropologie en utilisent certains, pour vraiment approcher d'autres cultures, pour étudier d'autres réalités. Mais ils les "étudient". Le mot étudier prend pour eux le genre de sens académique de "théorisation dans le fauteuil", bien que je sois certaine que les anthropologues ne veulent plus se considérer eux-mêmes comme des "théoriciens dans le fauteuil". Ça, c'était au 19ème siècle. Mais d'une certaine façon ils continuent à le faire depuis la chambre d'hôtel, ou si ils partent sur le terrain ils peuvent... Ils ont pourtant toujours une théorie prédéfinie qu'ils veulent vérifier. Ils n'y vont pas en ayant suspendu leur jugement, comme les phénoménologues recommandent de le faire. Et ils ne veulent définitivement pas l'appliquer dans leur vie quotidienne, et en fait devenir quelque chose d'autre, quelque chose d'autre que ce qu'ils sont.
Vous ne pouvez pas étudier la sorcellerie ou comprendre ce que font les sorciers sans relâcher certaines de vos attaches du monde de tous les jours, sans en fait changer vos idées sur la nature de ce que vous êtes, sur ce que vous faites dans votre vie de tous les jours. Si vous vous servez toujours de ces hypothèses pour interpréter ce que... disons de ce que don Juan fait... Et c'est ce qui est arrivé avec les livres de Carlos Castaneda. Ses hypothèses ont été utilisées pour dire, "oh, il fait ceci et il le fait vraiment comme ceci", parce que celui qui dit ça n'a pas validé par lui-même ce que nécessite cet autre monde. Mais il y a d'autre domaines de... comme la philosophie orientale où il y a certains concepts identiques d'altération de la réalité, d'être conscient de ici et maintenant. Ils ont cette expression : "la grande traversée."
En fait, j'étais sur le point d'appeler mon livre "La Grande Traversée" mais ce terme est très spécifique à la philosophe bouddhiste qui n'est pas ce qu'est la sorcellerie. Bien que, si je reviens à votre question, à un niveau théorique, cela peut paraître identique. Eux sont intéressés par l'exploration de la perception, par l'expansion de la perception, par l'éveil du corps d'énergie. Certaines de ces techniques sont très similaires, interrompre le dialogue intérieur, utiliser la méditation. Mais la différence, c'est que... Ce qu'un praticien doit faire c'est abandonner son mode de pensée linéaire, et à moins que ce ne soit accompli et qu'il soit abandonné, l'attachement au moi reste l'obstacle fondamental. Les disciplines orientales parlent de ça aussi, mais tout ce que je peux vous dire est que c'est effectivement ça que nous faisons.
Nous consacrons toute notre vie à faire ça, et nous sommes en permanence engagés dans ce processus particulier, à renoncer à l'attachement au monde de la vie de tous les jours, à notre humanité, à ce point d'assemblage dans lequel nous sommes nés, et à en bouger et à explorer ces autres dimensions. Donc nous faisons... donc la différence, je pense que les concepts, oui, je pense qu'ils ne sont pas uniques, dans ce sens, mais les pratiques... Vous ne pouvez pas acquérir un concept sans vraiment vous engager dans sa mise en pratique, parce qu'un concept par lui-même ne signifie rien. Il doit devenir une expérience corporelle.
Et la sorcellerie est vraiment destinée à être mise en pratique, à acquérir une expérience corporelle, plutôt que juste parler philosophiquement de quelque chose à la manière dont les philosophes le font, ou à la manière dont les philosophes orientaux le font parfois, ou même comme les physiciens, ceux de la physique new-age. Je ne veux pas en parler parce que je ne connais pas bien la physique. Je ne suis pas physicienne. Mais ils évoquent certains domaines de l'indétermination, des limites de la perception, de la lumière, ou de ce que ça veut dire de voir quelque chose. Par exemple, un objet, pour des physiciens, du point de vue de leurs études et de leurs expérimentations, n'est pas solide du tout. Ça n'a de sens que par rapport à votre perspective et votre taille.
Donc la solidité de quelque chose n'existe que parce que nous sommes des êtres humains et que nous pouvons voir quelque chose. Une abeille ou une chauve-souris auront une perspective totalement différente, disons d'un arbre, d'une bûche ou d'un morceau de bois. Elle les verront de façon totalement différente. Donc les physiciens explorent les limites de la réalité, de ce qui la constitue. Et il y a des livres qui combinent la sagesse orientale avec la physique. Et donc il y a cette relation.
Mais je ne connais aucun physicien aujourd'hui qui pourrait mettre en pratique dans sa vie quotidienne toutes les choses qu'il connaît intellectuellement. Lorsqu'il rentre chez lui il s'assoie toujours dans sa vieille chaise, et il a sa femme qui est là, et il a toujours le même comportement. Les sociologues, c'est pareil. Ils comprennent certains concepts qui sont similaires à ceux de la sorcellerie, mais la sorcellerie n'est pas seulement un concept.
La sorcellerie est une manière abstraite de vivre qui fait que la totalité de votre être devient aussi abstrait que ses concepts. Donc quand nous disons que le corps énergétique est lumineux, qu'il est composé de filaments fluides, c'est ce qu'est un sorcier. Il ne se contente pas de le dire. Il l'est parce qu'il utilise ce fait et que sa réalité se base là-dessus, sur l'utilisation de ces filaments de lumière.
Par exemple... il y a un bon exemple dans un des livres de Carlos Castaneda, quand don Genaro saute par-dessus la chute d'eau. Du point de vue de quelqu'un qui ne fait que simplement regarder, c'est le cas de Carlos Castaneda au début, il a seulement vu... bon, il a vu oui et non, moitié-moitié. Il a juste vu quelqu'un faire une espèce de bond, très agilement, en faisant des choses étranges, des pitreries, des pirouettes, des acrobaties. Maintenant, bien sûr, si il avait pu "voir" la même chose, il aurait su exactement ce qui se passait parce que lui-même aurait pu le faire. Son corps peut comprendre parce qu'il peut projeter ses lignes, ses fibres de lumière, et les accrocher à quelque chose. La récapitulation vous permet de faire ça, elle aussi, de projeter vos fibres, des rayons énergétiques, en arrière dans le passé, et de les nouer sur des choses ou de les dénouer. C'est fondamental, vous pouvez déloger l'énergie qui est retenue là. Donc oui, il y a des parallèles, mais pas vraiment du point de vue de la pratique réelle.
JM : Revenons à nouveau à votre livre. Vous avez mentionné brièvement ce qu'est la sorcellerie et ce que font les sorciers. Pouvez-vous donner un point de vue sur... Cela dépend encore du milieu des sorciers eux-mêmes. Y a-t-il une dichotomie sexuelle entre les sorciers mâles et femelles ? N'y a-t-il pas quelque chose en rapport avec le concept féministe ? Pouvez-vous donner une explication, une description de ce qu'est un sorcier, de ce qu'est son rôle ? Font-ils toujours partie du milieu socioculturel ? Y a-t-il un genre de système de valeur, une vision du monde que les sorciers détiennent en ce qui concerne la manière dont ils voient la réalité ? Pouvez-vous en dire plus, et aller vers une description en profondeur de la sorcellerie et des sorciers ?
TA : Hou-hou, oui. Il y a plusieurs questions là-dedans. Commençons par une définition de la sorcellerie parce que c'est très élémentaire. La sorcellerie est, fondamentalement, la capacité de percevoir plus que ce qui nous est alloué du point de vue du monde dans lequel on est né. Les sorciers essayent d'accroître la perception et ils font ça en... Ils ont certaines techniques : le rêve, la traque, les techniques de contemplation. Beaucoup d'entre elles, et en fait toutes, sont décrites dans les livres.
Et elles aboutissent toutes au déplacement du point d'assemblage et vous font lâcher vos amarres aux monde de la vie de tous les jours, pour que vous puissiez être en mesure de percevoir davantage. Comment pouvez-vous percevoir une autre réalité s'il ne vous a été donné que de percevoir celle-ci. Je veux dire que c'est une contradiction. On ne peut pas y arriver. On doit lâcher prise.
C'est comme le singe qui fourre sa main dans une bouteille pour attraper une pleine poignée de cacahuètes. Il ne peut pas dégager sa main pour aller ailleurs. Il est coincé là. Mais s'il lâche ce qu'il a attrapé il peut dégager sa main et être libre. Donc les sorciers, tout ce qu'ils font, c'est de relâcher leurs attaches : la poignée de cacahuètes que nous serrons tous, c'est à dire les attentes que nous avons de nous-mêmes, et ce qu'on nous a appris à propos du monde. Donc vous laissez tomber tout ça, et par le simple fait de laisser aller, quelque chose d'autre s'insinue. C'est ce que font les sorciers.
Maintenant l'apprentissage est fondamentalement le même pour tout le monde, sauf que j'ai mentionné que Carlos Castaneda, étant le nagual, a reçu un apprentissage lié aux plantes psychotropes durant les toutes premières étapes. Après ça, il a été également entraîné... Il a fait autant de récapitulation que nous tous. C'est fondamental.
La première chose que n'importe qui peut faire : oubliez la marijuana, oubliez la prise de quoi que ce soit, vous vous asseyez et vous commencez une récapitulation méticuleuse. Cela en soi va vous préparer et vous permettre de vous déplacer ailleurs. Récapituler votre vie c'est lâcher cette poignée de cacahuètes que vous tenez serrée, ou quoi que ce soit d'autre. Lorsque vous la relâchez c'est très pénible parce que toute notre vie on nous a appris à bien la serrer. Plus vous serrez fort, et meilleur vous êtes ! Et plus votre ego est vigoureux !
Alors les sorciers enseignent le contraire. C'est pourquoi nous appelons l'apprentissage de la sorcellerie le "non-faire", parce qu'ils ne font rien en particulier. Ils se contentent de ne pas faire les choses que nous avons été entraînés à faire. C'est donc très simple. Mais du fait même de cette simplicité, cela devient presque impossible. Et il y a très peu de preneurs, bien sûr.
Les gens pensent que tout le monde veut rejoindre Carlos Castaneda et son, entre guillemets, groupe. Et les rares gens dont... disons, leurs chemins se croisent et d'une manière ou d'une autre... ce n'est pas qu'ils sont invités à devenir membre du groupe mais c'est un peu ça... peut-être qu'ils sont appelés à récapituler ou, dans une certaine mesure... Est-ce qu'ils le font ?
Non, parce que pour récapituler vous devez prélever de l'énergie de votre vie de tous les jours. Vous devez la prélever sur vos nuits ou sur vos rendez-vous ou sur n'importe quoi ; sur vos sorties en boîte ou sur "regarder la télé," ou sur les inquiétudes concernant votre travail et d'autres choses ; ou sur la préoccupation que vous avez de vous-même. Comme l'énergie pour récapituler doit bien venir de quelque part, ce que vous devez faire d'abord et avant tout c'est dégager du temps : physiquement vous devez avoir du temps pour le faire.
Donc l'opportunité est là vraiment pour chacun. Mais la volonté doit aussi être stabilisée. Elle doit accompagner l'opportunité, pour vraiment pouvoir le faire. Sinon cela devient juste une histoire d'énergie à laquelle vous pensez.
Et nous avons tous cette idée : "Oh, ce serait bien que je sois différent, ce serait bien que je puisse faire ça." Mais vous n'en avez pas l'énergie. Avec la récapitulation comme méthode d’entraînement, vous gagnez de l'énergie. Vous créez l'énergie, vous arrêtez enfin de souhaiter, vous avez "l'intention."
Et l'intention est très différente du souhait. L'intention accroche votre énergie, votre but, à quelque chose qui est déjà établi par les sorciers. Et si vous vous accrochez à ça par l'intermédiaire, disons de la récapitulation, cela vous tire en avant. Mais vous devez le faire.
A propos de ça, une autre technique est la contemplation. J'avais l'habitude de beaucoup beaucoup regarder la télévision quand je suis entrée au début dans le monde de don Juan. Et ils m'ont dit : "Okay, tu y passes combien de temps ?"... Et c'est vrai pour tout le monde. On passe peut-être combien, deux heures ? Des études ont été faites là-dessus, peut-être deux heures par jour à regarder la télé. Ils m'ont dit : "Okay, regarde la télé, mais ne l'allume pas !"
Alors je m'asseyais devant la télé pour la contempler. Ça c'est un acte de non-faire. C'est un exemple de non-faire. Et vous créez vos propres non-faires, vous inventez vos non-faires, que ce soit regarder une petite allumette se consumer en aspirant sa lumière, c'est un non-faire, ou contempler quelque chose.
Donc j'ai découvert qu'en contemplant la télé... Bien sûr, en privé. Vous êtes dans le faux, là, si vous commencez à faire ça en public, avec des gens autour. Ils vont commencer à se demander ce qui vous arrive. Donc vous faites ça mais vous n'en faites pas étalage parce que tout le monde va vous juger depuis son propre point de vue.
Et la réalité de la vie de tous les jours est comme Alcatraz. Je veux dire qu'il n'y a pas moyen de s'échapper. Il y a des vigiles et des gardes partout qui s'assurent que vous ne quittez pas ce rocher. Donc, quiconque veut s'aventurer dans ces eaux-infestées-de-requins... et il n'y a aucune garantie que vous arriviez quelque part.
Vous devez pratiquer la traque et être très discret. Un traqueur, pour donner une définition du traqueur, est quelqu'un... en fait, une des définitions est que c'est quelqu'un qui vraiment arrive l'art d'être invisible. Donc, vous pouvez sauter du rocher aussi longtemps que personne ne vous voit ! C'est aussi simple que ça. Rien ne vous retient ici vraiment. Lâchez seulement cette poignée de cacahuètes. Mais assurez-vous que personne ne vous voit. Faites le graduellement. Sinon ils viendront s'assurer que... Ils viendront mettre des entraves sur votre chemin, c'est garanti.
Donc, pendant que je contemplais la télé... Et c'est à ce moment-là que vous vous apercevez que le côté factuel de la télévision est pris comme allant de soi parce que ça commence à se dissoudre, ça commence à passer en deux dimensions.
L'idée d'un espace à trois dimensions n'est qu'une hypothèse. C'est quelque chose qu'on apprend étant enfant, dès le premier âge, afin de réellement voir en trois dimensions. Ainsi, traverser la rue ou parler, c'est quelque chose que les enfants apprennent. Ils savent que ces voitures se déplacent vite. Un nouveau-né ou un bébé ne sait pas ça. C'est pourquoi la mère doit dire sans cesse : "Ne traverse pas la rue, des voitures arrivent." Ils ne savent pas ce qu'une voiture est capable de faire car ils n'ont pas encore acquis l'enveloppe ou l'interprétation "voiture." ils vont vite l'acquérir, en espérant que ce ne soit pas de façon trop dure ! Par contre, s'ils se brûlent les doigts sur une flamme, ils vont vite réaliser ce qu'est la chaleur, et ce que sont les propriétés du feu. Même si ce n'est pas un fait acquis. Parce qu'il existe des gens qui peuvent marcher sur les braises sans se brûler.
Nous apprenons les paramètres de notre réalité, et ainsi la contemplation conduit à une rupture de l'aspect factuel, "fait accompli," de notre réalité quotidienne.
Permettez-moi de parler un peu des femmes. J'ai été entraînée par, oui, globalement, par les membres féminins du groupe de don Juan. Emilito, pour moi, était absolument un homme, mais c'était le corps de rêve de Zuleica. Votre rêve peut être n'importe quoi, mâle, femelle. Et bien sûr, j'ai reçu l'enseignement de don Juan lui-même car il y avait certaines choses que nous avions besoin de savoir et d'être capable de comprendre parce que notre situation, avec Florinda Donner, Carlos Castaneda, et Carol Tiggs, notre situation n'était pas la même que la sienne dans laquelle il y avait les quatre rêveurs, les quatre traqueurs, et surtout la règle qui les guidait dans la manière de procéder.
Notre enseignement n'a pas suivi la règle sauf dans un sens très minimal. Chaque fois qu'il entraînait Carlos Castaneda, il interrogeait les présages et cela est bien indiqué dans les livres. Il recherchait les présages pour voir si, et bien, s'il devait procéder comme ci ou comme ça. Et les présages disaient, "Non, ne suis pas la règle, laisse les choses arriver." Et ce fut pareil avec nous.
Nous avons été entraînés pour accomplir des choses particulières, mais il n'y avait aucune règle. Je veux dire que nous devions tous récapituler mais nous pouvions le faire de la manière qui nous convenait. Il se trouve que je... j'aime me trouver dans des espaces fermés, alors je faisais ça dans une grotte. Mais Florinda Donner, vous ne pouvez pas la mettre dans une grotte. Elle a récapitulé en marchant dans la rue, ou quand une chose en déclenchait une autre, ce pouvait être un souvenir du passé. Si nous ressentons la moindre petite agitation, nous la récapitulons. Nous sommes au bon endroit où que nous soyons.
Et les passes magiques. Ce sont des techniques, des mouvements corporels pour activer le corps d'énergie. Mais il en existe des centaines. Alors vous faites celles qui vous conviennent. Il n'y a vraiment pas de règles rigides d'apprentissage. Et la raison en est que pour déplacer le point d'assemblage vous devez être fluide. J'ai personnellement reçu un entraînement très poussé dans les techniques de traqueur et de traque parce que mon point d'assemblage était très erratique et donc j'avais besoin de cet entraînement.
D'autres personnes n'ont pas besoin d'entraînement. Elles ont un penchant naturel pour quelque chose, Florinda Donner a un penchant pour le rêve. Et elle parle de son apprentissage dans "Les Portes du Rêve." Elle a un penchant très naturel. Son point d'assemblage se déplace alors qu'elle est assise en face de moi. Tout d'un coup son point d'assemblage bouge et elle amalgame d'autres pans de réalité qui viennent à elle très, très facilement.
Les femmes arrivent à... Les femmes ont une facilité très naturelle à déplacer leur point d'assemblage grâce à deux choses, l'une étant biologique. Elles ont des cycles, elles ont leurs règles. Des choses changent chimiquement dans leur corps et ça leur donne une chance de laisser entrer d'autres stimuli. Ça arrive tout doucement. Elles possèdent une matrice et il y a quelque chose concernant la matrice qui permet, en tant qu'organe... C'est comme une fonction secondaire. La matrice peut percevoir et comprendre directement.
Et nous disons tous, bon, que les femmes sont plus intuitives que les hommes, ça revient dans notre jargon de tous les jours, et nous employons des expressions comme : "Les femmes sont plus intuitives", "elles sont si sensibles lorsqu'elles ont leurs règles", et ci, et ça. C'est vrai. Mais les femmes peuvent l'utiliser au lieu de se sentir rabaissées ou de le prendre comme quelque chose de négatif. Elles peuvent l'utiliser pour faire de la sorcellerie, pour récapituler, pour accroître leur concentration lorsqu'elles récapitulent. Elles ont du mal à lire de la phénoménologie au moment de leur règles, mais elle peuvent facilement rêver. Elle peuvent donc faire du rêve pendant cette période du mois.
La seconde raison pour laquelle c'est plus facile pour les femmes est que notre société ne leur demande pas ce qu'elle demande au hommes. Les hommes, les garçons, vous savez, les mères élèvent leur enfants pour les éduquer. Elles portent toute leur attention sur eux, les mâles, parce que ce sont eux qui doivent perpétuer l'ordre social. Ce sont eux qui reçoivent l'éducation afin qu'ils puissent enseigner et perpétuer tout ce à quoi ils ont été entraînés, quel qu'en soit l'aspect, que ce soit la science ou la médecine, ou la loi.
Encore que maintenant c'est en train de changer, bien sûr. Les femmes aussi font tout dans ces branches-là, mais essentiellement pour de mauvaises raisons. Les femmes entrent dans ces domaines pour pouvoir être comme les hommes, pour être les égales des hommes. Cela est utile et fonctionnel du point de vue de l'ordre social. Elles stabilisent leur position parce que maintenant elles sont avocates et médecins. Mais cela n'est pas du tout fonctionnel du point de vue de la véritable sorcellerie, parce que maintenant elles créent des liens, des liens plus forts, avec l'ordre social. Et donc cela a, bien sûr, des avantages et des inconvénients.
Ça ne veut pas dire qu'un sorcier ou quelqu'un qui apprend la sorcellerie ne peut pas devenir homme de loi ou médecin. Chacun de nous, Florinda Donner, Carol Tiggs, avons reçu une formation universitaire de façon à être capable de penser de façon abstraite et de communiquer, mais pas pour devenir des bastions de l'ordre social, vous savez, des professeurs d'anthropologie, des avocats ou des médecins.
Carol Tiggs possède un savoir immense en acupuncture, en médecine du corps, le corps physique et le corps énergétique, comparable à celui de n'importe quel médecin. Elle a acquis cela du point de vue de son apprentissage en sorcellerie, pour pouvoir s'en servir pour aller ailleurs.
Donc les femmes ont une meilleure, vraiment une meilleure chance de sortir de l'ordre social, de s'échapper de ce rocher d'Alcatraz, parce qu'elles ne vont vraiment manquer à personne. Leur véritable fonction est de perpétuer la famille, pas l'ordre social. Elles doivent "soutenir" leur homme comme dit la chanson, l'épauler dans toutes les circonstances. On nous a réellement conditionné à enseigner à nos enfants à être des citoyens bien droits, à faire ceci et cela, ou à se désoler pour eux s'ils filent du mauvais coton. Mais ils ne feront fausse route qu'à l'intérieur de la structure. Il y a de la place pour la déviance, bien sûr.
Donc la situation des femmes dans la vie de tous les jours, dans le monde quotidien, est une situation à deux facettes. D'un coté, vous pouvez voir ça d'une façon négative parce que les femmes sont, comme je l'ai dit, sont là pour réellement soutenir les hommes. Derrière tout grand homme, dit-on, il y a une femme. La femme doit rester à la maison et élever sa famille. Donc, il y a des limites qui lui sont imposées en termes d'éducation, et elle a moins d'opportunités que l'homme. Ses demandes et ses attentes gravitent véritablement autour du foyer.
Mais, comme je l'ai dit, c'est maintenant en train de changer, les femmes entrent dans le monde du travail et dans les domaines académiques. Mais elles y entrent avec une double charge car maintenant elles s'occupent de la maison et de leur apprentissage académique, leur carrière. Donc elles ont encore moins de chance d'avoir l'énergie supplémentaire pour pratiquer les techniques de sorcellerie. Mais d'un autre coté, les femmes ont une facilité naturelle pour accroître leur perception, pour se déplacer vers d'autres réalités.
Et don Juan et les membres féminins qui m'ont transmis cet enseignement, jouaient avec cette facilité naturelle. C'est ainsi que nous faisions la récapitulation, que nous pratiquions les techniques de contemplation, et plus particulièrement les techniques de rêve, et que nous utilisions la période de notre cycle menstruel. Nous nous servions de cela plutôt que juste nous sentir mal et rester au lit une journée entière, ou avoir des crampes ou avoir le "blues" prémenstruel, c'est-à-dire des choses que les femmes ont appris qu'elles devaient avoir. Au contraire, nous utilisions ces changements, les changements naturels qui se produisent, afin de déplacer le point d'assemblage et de faire du rêve et de la traque.
Donc il n'y a vraiment pas... je ne peux pas dire qu'il y a une réelle différence dans l'apprentissage entre les hommes et les femmes, mais chaque personne dans le monde de don Juan, et dans la manière dont ils nous ont entraîné, dépend de sa prédilection, de ses capacités naturelles. Comme certaines femmes qui sont des rêveuses fantastiques, comme je l'ai dit. Les hommes, les mâles, sortaient davantage. ils étaient botanistes par exemple, comme don Vicente. Ils interagissaient davantage avec le monde en tant que traqueurs.
Mais ça ne veut pas dire que les femmes n'étaient pas entraînées dans l'art de la traque. Puisque nous devions retourner dans le monde de la vie de tous les jours, nous ne pouvions pas juste rester dans une grotte et rêver, nous devions parfaire nos techniques de traque, être avec les gens, les utiliser comme petits tyrans, ou voir le monde à travers la folie contrôlée grâce à la contemplation. La contemplation est ce qui nous permet de vraiment voir que le monde n'est pas constitué de faits mais d'énergie. Et la contemplation combinée avec la récapitulation, ça coupe vraiment l'herbe sous le pied à la réalité !
Comme je l'ai dit, nous travaillions ou allions à l'université, mais nous le faisions toujours à partir du point de vue situé sur cette autre plate-forme que nous avions construite, sur laquelle nous pouvions nous appuyer, qui est notre corps énergétique. Nous agissions dans le monde à travers la folie contrôlée. Les femmes ont une très grande facilité pour faire ça, d'une manière naturelle, parce qu'elles n'ont pas cette très forte affinité avec l'abstraction, avec les idées. Elles sont très pragmatiques.
Et si quelqu'un disait... oui c'est trop absurde cet exemple, mais si il y avait un tremblement de terre en Floride ou ailleurs, qu'est-ce qu'elles feraient ? Elles diraient: "Bon, au moins ce n'est pas ici. Et si c'est pas ici, tout va bien". C'est pas vraiment ce qu'elles diraient, mais c'est pour dire qu'elles sont plus immédiates, plus directes. Être concerné par l'humanité en tant qu'abstraction, ça relève le plus souvent du tempérament mâle. Les mâles sont prêtres, les mâles sont politiciens, les mâles sont dans l'armée, à s'occuper de trucs à l'échelle mondiale. Les hommes sont astronautes, et sont dans la physique et l'aérodynamique.
Donc, les femmes, la façon dont... Ce que nous avons appris sur cette position du point d'assemblage sur laquelle nous sommes nés, est que les femmes sont pragmatiques et gèrent les situations immédiates qui sont en rapport avec la famille, les enfants, l'éducation, les intérêts du mari, ce genre de choses. Donc c'est facile de renoncer à... je ne veux pas dire abandonner votre mari, mais, si vous n'êtes pas mariée, ne prenez pas de mari. Alors vous n'aurez pas à vous soucier des enfants, et de la famille. Alors vous aurez toute votre énergie pour faire de la sorcellerie parce que personne ne va se faire du souci si vous ne devenez pas astrophysicienne. Ou du moins votre mère ne s'en fera pas. Mais si votre fils ne devient pas médecin ou quelque chose de bien, là elle va s'inquiéter. Donc vous avez plus de liberté. Les femmes ont plus de liberté.
Mais l'entraînement est fondamentalement le même. Et comme je l'ai dit, chacun a sa propre prédilection sur laquelle l'accent est mis, par laquelle il entre [dans le monde des sorciers]. Mais le point important de tout l'apprentissage est de briser la continuité prise comme allant de soi de la vie de tous les jours, afin que vous puissiez percevoir une réalité différente.
Et où est cette autre réalité ? Il y a une position du point d'assemblage qui est très proche de celle de la vie de tous les jours, la position jumelle, et qui amalgame une réalité jumelle, une réalité différente. Et vous y entrez en stimulant votre double, le point d'assemblage qui gouverne le corps d'énergie.
Et les sorciers affirment que l'univers est vraiment constitué de tresses de perception. C'est comme une tresse qui se replie sur elle-même, et chaque tresse est complète, fermée, totale. C'est une bulle. C'est une réalité en soi.
Nous sommes nés dans l'une de ces bulles, mais cette tresse se prolonge et il y a une certaine zone où elle chevauche une autre réalité. Ou du moins si vous brisez cette barrière, c'est-à-dire le "mur de brouillard" dont ils parlent, il y a un chevauchement, et ça peut se dissiper. Donc, c'est le premier endroit dans lequel les sorciers, les rêveurs, entrent. Et vous vous y retrouvez très naturellement, très harmonieusement, dans une réalité séparée, une réalité différente.
Les femmes peuvent entrer là très facilement. Elles n'ont aucun problème. Donc voilà vraiment l'avantage d'être une femme. Et don Juan et les sorciers disent que l'univers, l'univers entier, est féminin. L'énergie féminine peut aligner d'autres régions de l'univers plus facilement que l'énergie masculine qui est rigide et incapable de relâcher le contrôle. Mais c'est parce que les hommes sont considérés comme devant contrôler et commander dans n'importe quelle situation. Donc c'est vraiment difficile pour eux de laisser aller, d'abandonner, d'accepter, d'être pris dans l'une de ces autres réalités, c'est beaucoup plus facile pour une femme de le faire.
JM : Est-ce que je restreins la perspective de la sorcellerie si je vous demande ceci, en le formulant dans la perspective féministe, Taisha : dans le contexte de la sorcellerie et étant une femme, quels sont les bénéfices que vous avez retirés de la sorcellerie ?
TA : c'est une question valable. On nous pose parfois cette question, et alors nous disons, et bien, si vous... c'est comme être dans un magasin, un magasin très cher, et quand le vendeur arrive, et que vous demandez combien coûte ce costume, il vous dit que si vous demandez combien ça coûte c'est que vous n'en voulez pas. Alors quelques fois nous pensons que si vous en venez à vous demander pourquoi faire ça ou s'engager là dedans, c'est que ce n'est vraiment pas fait pour vous !
Mais c'est une question valable parce que nous, du point de vue de notre point d'assemblage, c'est sûr que nous nous demandons, et bien, qu'est ce qu'il y a pour nous là dedans, et pourquoi le faire.
Nous avons été élevés pour avoir une mentalité de marchand, des idées de marchand, et pour chercher la valeur des choses. Alors, à cet égard, il y a une valeur immédiate dans la sorcellerie et vous pouvez en faire l'expérience en le faisant.
Vous pouvez aborder cette question de deux manières. L'une est de se demander : est-ce que je veux rester sur cette position particulière du point d'assemblage sur laquelle je suis né, dans cette réalité. Et la plupart des gens répondront qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond là. La modalité de notre époque, selon les sorciers, se détériore vraiment. C'est une course sur la mauvaise pente, conduisant à la destruction. C'est vrai en général, mais c'est vrai aussi au niveau individuel en ce qui concerne notre propre bien-être.
Il existe des centaines de maladies qui peuvent nous attaquer n'importe quand et c'est garanti qu'une seule d'entre elles peut causer notre perte, parce que nous sommes tous destinés à mourir à moins que nous ne pratiquions la sorcellerie. Et les sorciers disent qu'en déplaçant le point d'assemblage, et en entrant dans l'une de ces autres réalités, la conscience reste intacte et on échappe à cet inévitable mort physique qui est vraiment inévitable seulement du point de vue d'une certaine position du point d'assemblage.
Et ils peuvent dire cela parce que le corps physique est quelque chose qui est en rapport étroit avec, ou limité par, notre perception de la réalité. Vous changez cette perception de la réalité et du même coup vous changez la perception de votre corps physique, et vous activez d'autres aspects de votre potentiel totale.
Le corps physique, qui va être détruit par la maladie et la mort, est seulement une conséquence de la position du point d'assemblage.
Alors nous avons le sentiment, chacun d'entre nous a le sentiment, qu'il y a quelque chose de plus là dehors, et qu'on voudrait pouvoir faire ça : on voudrait pouvoir être différent. On voudrait avoir davantage d'énergie mais ce qu'on fait dans l'immédiat c'est qu'on interprète ce désir, ce sentiment profond, cette connaissance intuitive. On traduit cela en termes humains, comme : "Je voudrais pouvoir avoir un meilleur boulot", "Je voudrais pouvoir avoir de meilleurs relations ou des relations plus intenses", "Je voudrais que les choses soient différentes au travail ou à la maison". On traduit cette insatisfaction, ou quoi que ce soit, ou ce manque énergétique dans le contrôle, pas vraiment dans le contrôle mais c'est une façon de dire, dans le contrôle de ce en quoi consiste notre destinée. Et en venant ici, j'ai vu un panneau d'affichage et je me suis dit que j'allais vous en parler. Ça disait : "La plupart des projets que les gens font pour l'avenir tombent toujours un petit peu à coté". Et c'était une publicité pour des pompes funèbres. Et je me suis dit, "C'est vrai, c'est exactement ça". Je veux dire, nos projets tombent toujours à coté, pas seulement un petit peu, mais je veux dire complètement à côté.
Alors les sorciers disent : "Non, ne vous contentez pas d'avoir des projets qui tournent court, et de ronchonner et de finir au cimetierre". Les sorciers pensent en grand. Ils pensent tellement grand qu'ils sont des abstractions. Ils font un bond dans l'infini. Ils bondissent au-delà de cette réalité où nos attentes ne sont jamais satisfaites, qui nous fait mourir déçus, contrariés, ou bien heureux mais néanmoins morts. Ça n'a pas d'importance qu'on meure heureux, riche, ou autrement, on finit de toute façon au même endroit.
Le destin de nos parents nous attend. Et ça nous le savons, nous le comprenons. Nous pouvons les voir vieillir, tomber malades, perdre leur lucidité, leur conscience. Les sorciers nous offrent, grâce à leur entraînement, une alternative, puisqu'ils disent : "Non, réfléchissez, emparez-vous de toute les possibilités d'être. Ne vous limitez pas vous-même à ce que vous avez appris, et à ce que votre langage et votre mode de pensée linéaire vous disent sur que vous pouvez seulement être". Parce que notre mode linéaire, il dit que ça commence à la naissance et que ça finit à la mort. Ça c'est un mode de pensée linéaire, basé sur notre culture. C'est la modalité de notre époque, la route super rationnelle et linéaire qui conduit à la destruction.
Les sorciers disent : "Non, n'acceptez pas ça. Contestez, remettez tout en question". Remettez même en question le fait que ce mur soit là. Contemplez-le et découvrez ce qu'est ce mur. Et alors vous voyez l'énergie qui constitue le mur, et vous découvrez que c'est fluide et que vous êtes fluide en tant qu'être sensible. La réalité est fluide.
Je peux dire catégoriquement que d'avoir de l'énergie, d'être énergétiquement vivant, d'être capable d'utiliser son corps d'énergie, d'avoir une alternative, d'avoir la clarté, la sobriété, c'est nettement mieux, supérieur, que d'être toujours dans un état de léthargie, de confusion, de déception, ou que d'atteindre des sommets extatiques suivis de descentes profondes, ou que d'avoir le sentiment d'être piégé, ce qui arrive à beaucoup de gens à cause de leur travail. Ils ne peuvent s'en échapper qu'en faisant du rafting sur le Colorado !
Les sorciers disent : "Non, ne vous limitez pas à ce genre d'évasion ou à la drogue ou à quoi que ce soit, fumer des cigarettes, le sexe, ou quoi que ce soit". Ce sont des manières de s'échapper, d'une certaine façon, des limites de notre vie quotidienne. Les sorciers disent : "Non, ne vous contentez pas des miettes. Prenez tout." Ils sont aussi avides qu'on peut l'être. Ils prennent... ils veulent être vivant avec la totalité d'eux-mêmes.
Et tout le monde a ce potentiel, cette opportunité. Mais disons qu'un sorcier a le courage de ne pas seulement désirer mais de vraiment s'engager dans la pratique à travers la récapitulation de sa vie, en lâchant la poignée de miettes à laquelle nous nous accrochons. En la lâchant pour pouvoir sortir la main et voir l'immensité qui est devant nous, pour être capable de percevoir d'autres choses qui sont inconcevables du point de vue de la vie de tous les jours, absolument inconcevables, mais parfaitement valables et acceptables du point de vue des sorciers.
Donc ils voyagent dans l'immensité, dans... ce qu'ils disent réellement, c'est qu'ils déplacent leur point d'assemblage en accumulant de l'énergie. Et toutes les techniques qui sont énumérées, qui sont décrites dans les livres, sont vraiment des façons d'emmagasiner de l'énergie, parce que à moins d'avoir l'énergie suffisante, vous ne pouvez même pas... je veux dire vous ne pouvez même pas passer une bonne journée au travail, et à plus forte raison voir votre patron comme un petit tyran.
Pour faire cela vous devez vous tenir sur la plate-forme de l'être énergétique, et rire, être capable de rire de ce que vous voyez autour de vous et de le voir depuis la folie contrôlée. Sinon, vous êtes pour toujours condamné à le voir, à considérer le monde qui nous a été donné, comme réel.
Et les sorciers disent : "Non, ce n'est pas réel." Ils disent qu'il y a cette possibilité et ils transforment la possibilité en action pratique. Donc ils n'en parlent pas ou ne théorisent pas dessus comme des physiciens, des philosophes, des philosophes extrême-orientaux, ils le transforment en action pratique. Et alors ils disent... l'impulsion qu'ils obtiennent... ils prennent les techniques qui sont dans les livres. Nous les offrons comme une ouverture pour quiconque veut bien les prendre. Et c'est comme si nous lancions une échelle et que chacun des barreaux soit quelque chose, une technique de non-faire, comme je l'ai dit déjà, interrompre le dialogue intérieur, ou récapituler.
Et comme vous le demandez, n'importe qui peut faire ces choses, et vous ne devez pas vous inquiétez sur le fait de les faire correctement, de savoir si la respiration est exactement comme ça. Il n'y a pas de règle. Regardez dans les livres. Prenez ce que vous pouvez. Et puis faites confiance à votre corps énergétique pour vous guider, pour vous dire ce qu'il faut faire. Et faites-le.
Ne vous découragez pas, et faites le. Et plus vous le ferez, plus vous verrez la validité de ce qu'est la sorcellerie et de ce dont nous parlons. Vous le verrez par vous-même et vous verrez aussi, bien sûr, son utilité, parce que vous ne ressentirez pas ces pointes de déception qui vous ravagent dès que vous faites quelque chose qui tourne mal. D'un seul coup, vous vous sentirez léger comme si un poids avait été enlevé de vos épaules.
Vous verrez les avantages quotidiens au fur et à mesure de la pratique de ces techniques. Les sorciers ont une expression. C'est une chanson, un air mexicain appelé "Valentina." Et dans cette chanson il y a une phrase qui dit, "Si tu vas mourir demain, tu ferais aussi bien de mourir aujourd'hui." Et c'est ce qui motive les sorciers. Ils savent qu'on va mourir. Je veux dire que, du point de vue de la vie de tous les jours, c'est tout ce qui nous attend. Donc vous feriez aussi bien de faire le saut et de mourir maintenant et vous vous retrouverez dans une autre réalité, et vous verriez que d'autres alternatives vous attendent, à votre plus grande stupéfaction et pour votre plus grand plaisir !
JM : Taisha, dans le contexte judéo-chrétien, il y a un mythe sur le commencement du monde, sur le commencement de la vie et de l'univers, et sur la fin concernant le retour du fils de Dieu et d'un nouveau paradis. N'y a-t-il pas une préoccupation des origines de la vie au sein de la sorcellerie, et de l'avenir de la vie en ce qui concerne l'humanité ? Comment un sorcier formulerait-il cela ?
TA : C'est une très grosse question du point de vue de la vie de tous les jours, parce que, bien sûr, nous sommes concernés par ce que sera notre futur. Chaque culture possède ses propres mythes concernant la création du monde. Et certaines cultures ont quelque chose comme six ou sept périodes de destructions, et le monde a été recréé et maintenant nous sommes dans le cinquième soleil, ce sont des cycles différents. Ce sont des mythes qui sont valables au sein de chaque cadre culturel pour tenter d'expliquer le parcours de l'humanité, et où va l'humanité.
Mais du point de vue des sorciers, la sorcellerie se préoccupe surtout de où va l'individu, plutôt que de l'abstraction appelée culture, ou humanité, ou société, parce que, comme nous le savons tous, ces choses-là sont constituées d'individus, et la société ne peut aller nulle part où ne vont ses individus. Donc les sorciers s'intéressent au destin des êtres individuels, aux personnes en particulier.
Et tous ces livres ont été écrits, vraiment, pour servir de guide, afin que toute personne individuelle, qui souhaite changer son destin, disons, puisse avoir une chance de s'échapper du parcours naturel de l'évolution, quel qu'il soit. Les sorciers ne spéculent vraiment pas tellement sur où cela va aller dans le futur. Ils ne passent pas leur temps à pronostiquer ce que va nous apporter le futur parce qu'ils sont intéressés par l'activation de leur corps d'énergie, afin de pouvoir maintenir leur conscience quel que soit l'endroit où ils se trouvent.
Le futur, le passé, cette façon linéaire de penser, ne s'applique pas vraiment au monde des sorciers. Mais vous pouvez y penser dans le sens où un sorcier, où qu'il soit, va y être avec la totalité de lui-même, énergétiquement intact. Ce qui veut dire qu'il n'y a pas d'intérêt à savoir ce qui s'est déroulé dans un certain passé, parce qu'il n'y a pas de passé. Le sorcier a récapitulé sa vie et il a rassemblé l'énergie pour se déplacer dans le présent immédiat.
Les anciens sorciers avaient une conception différente, plus en accord avec les mythes de différentes cultures, sur le fait qu'il existe un temps futur ou un temps passé, et un temps du rêve. Et nous, du moins nos anthropologues parlent d'un temps de rêve. Et ils le pensent comme une période de temps indéfini dans un passé chronologique précédent l'écriture. Ou bien en Chine nous avons l'empereur jaune et son royaume mythique, ou bien encore avant lui, les quatre empereurs mythiques. Et nous y pensons comme à une progression linéaire, ou je veux dire, un mouvement linéaire à rebours vers un point inconnu. Mais ça, c'est encore penser en termes linéaires.
C'est très facile de penser de la sorte. Et alors, si vous faites ça, vous en venez à vous tourmenter sur la nature de l'avenir. Mais un sorcier... [fait] tout ce que j'ai dit jusque là, en utilisant la perspective phénoménologique de l'accroissement de la perception, et la prise de conscience que le temps et l'espace sont une question d'intentionnalité que nous avons si bien incorporé que ça nous rend incapable de percevoir globalement, et à la place cela nous oblige à percevoir un "objet." Et cet objet possède déjà son futur et son passé par le fait même que nous percevons cette réalité.
Les sorciers, quand ils brisent ces concepts pris comme allant de soi, brisent aussi l'idée qu'il y a un futur là quelque part qui nous attend. Non, non, rien ne nous attend. Si il y a quelque chose qui nous attend, c'est cette eau infestée de requins après avoir sauté du rocher d'Alcatraz ! Et ce qu'il y a dans cette eau, ce sont tout d'abord les êtres inorganiques. Il existe d'autres entités en plus des êtres humains sensibles, dans l'univers en général.
Les rêveurs pénètrent dans ces domaines ou ces couches, non pas des couches temporelles ou spatiales, mais simplement des couches, des couches énergétiques. Plus vous avez d'énergie, plus vous vous déplacez et vous transformez. Mais vous ne vous déplacez pas dans l'espace et dans le temps à la façon dont les anciens sorciers le croyaient. Ils avaient un modèle ancien et différent de la façon dont cela fonctionne. Ils pensaient que c'était physiquement qu'on descendait à l'intérieur de la Terre, à travers différentes couches, ou qu'on montait à travers sept couches successives dans le ciel. Et c'est aussi un modèle, une sorte de modèle oriental bouddhiste dans lequel il y a différents degrés de saints et de personnages sacrés, et en bas on trouve les hommes, puis les démons. Tout est sous forme de couches. C'est un modèle linéaire.
Les anciens sorciers étaient habitués à penser que oui, on descendait dans ces sombres profondeurs. Mais les sorciers ont compris que ce n'est pas comme ça qu'est la réalité. C'est une question d'énergie, de transformation énergétique de ce qui se trouve en face de nous. En fait, vous ne bougez pas du tout. Vous faites simplement... Tout bouge en même temps. Ce n'est pas que vous vous trouvez ici et que quelque chose d'autre se trouve là-bas. Il n'y pas d'ici et de là-bas. Tout se dissout d'un seul coup. J'ai appris à dissoudre ça dans les arbres.
En d'autres termes nous sommes toujours ici et maintenant, mais le ici et le maintenant ne sont pas toujours les mêmes. Je veux dire, c'est là où intervient la traque. Les traqueurs découvrent ce qu'est ce "ici," et ce en quoi consiste ce "maintenant," pour cette nouvelle position de rêve. Et c'est toujours en train de changer, mais on est toujours ici et maintenant.
La sorcellerie comporte de nombreuses contradictions, d'apparentes contradictions, parce que notre esprit rationnel ne peut pas concevoir cela. Le problème n'est pas le destin du monde ou de l'humanité, car ils voient... Comme je l'ai dit, la réalité de la vie de tous les jours est dans un seul..., disons, n'est qu'un seul cheveu dans la tresse. Et les sorciers veulent aller ailleurs. Mais quoi qu'il puisse arriver après leur départ, ce n'est plus leur problème, sur le plan énergétique.
En ce qui concerne le destin du monde nous pouvons le voir en termes d'astronomie. Ils nous disent que nous avons découvert des galaxies, des constellations complètes d'un univers immense, immense, et sans fin, et que chacun est un monde à part entière. Alors le destin d'un seul grain de poussière ne va pas faire la moindre différence, du point de vue de la totalité.
Ce que font les sorciers, c'est qu'ils adoptent cette sublime perspective. Cela aurait une énorme signification si nous étions là et qu'un séisme nous frappe ou qu'une bombe nucléaire nous tombent dessus. Cela aurait une grande signification pour nous, mais nous ne serions plus là pour nous lamenter. Et du point de vue d'une perspective à grande échelle, si un sorcier est parti, ces événement-là n'entrent plus en ligne de compte dans son monde de traqueur. Mais le point important ici est que chaque individu peut partir et explorer son potentiel.
Donc ce ne sont pas des propos inhumains, parce que, d'un autre coté, ils [les sorciers] se contredisent eux-mêmes et se sentent très concernés, et disaient que nous devions écrire ces livres pour le cas où certaines personnes seraient intéresées, afin de pouvoir attraper un barreau de l'échelle et faire l'expérience de ces choses.
Un fois qu'un sorcier a quitté la réalité de la vie de tous les jours, son interaction avec ses semblables change. Et nous pouvons parler de comment un sorcier voit la société. Pas la société dans son ensemble, encore que les sorciers fassent des assertions sur la "modalité de notre époque" et qu'ils voient qu'ils existent certaines tendances. Ils appellent ça le syndrome du "pauvre bébé," ce qui caractérise la modalité de notre époque. Mais cela est encore en rapport avec l'individu. L'individualité et tout ce que nous faisons ou disons ou espérons, nous le tournons toujours en auto-contemplation, en "Pauvre bébé que je suis ! Qui va bien pouvoir m'aider ?" C'est ça la modalité de notre époque. C'est l'expression d'une pratique individuelle.
Lorsqu'un sorcier s'en va, il quitte les problèmes du moi. Il part vraiment vers une position que les traqueurs qualifient de "sans pitié" ou "détachement." Et alors qu'il se détache lui-même, ce qu'il fait réellement, il n'est plus en mesure de partager cette intersubjectivité avec ses semblables. Et voilà pourquoi il lui est si difficile d'interagir avec les gens : parce qu'il ne reflète plus les attentes des gens. Les gens pensent qu'il est bizarre, qu'il y a quelque chose d'anormal avec lui. Il arrive d'on ne sait où, et ça c'est vrai. Il vient de quelque part ailleurs. Alors l'intersubjectivité, la possibilité de communication, s'écroule.
Donc si un sorcier doit rester en compagnie des gens dans le monde, la seule manière de le faire est à travers ce que les sorciers appellent "la folie contrôlée," à travers "se traquer soi-même et traquer les autres," à travers la vision de toute chose sous forme d'énergie, en ne voyant aucune signification profonde aux valeurs et aux problèmes humains, parce que tout ça provient réellement de la préoccupation de soi.
Un sorcier n'a plus à se soucier d'un moi qu'il n'a plus, et il ne peut plus se servir de cette intersubjectivité, au sens de refléter cette auto-préoccupation. Et les autres ne peuvent pas voir en lui cette auto-préoccupation comme ils la voient en eux-mêmes. Alors ils comprennent qu'il y a quelque chose de bizarre. Ils n'ont plus ce miroir, cette glace, dans laquelle se regarder eux-mêmes.
C'est pourquoi un sorcier ne peut interagir qu'en terme de folie contrôlée. Et don Juan, c'était la manière dont il interagissait avec les gens, avec tous les membres du groupe de sorciers. Et maintenant, c'est la façon dont nous, nous interagissons. Carlos Castaneda voit rarement des gens, en somme, car il arrive un moment où on se déplace tellement loin du point d'assemblage de la vie de tous les jours qu'on perd tout intérêt à quoi que ce soit concernant monde ordinaire ou les relations avec les gens. Et non seulement on ne s'y intéresse plus, mais cela devient physiquement presque impossible. Ou bien les gens sont effrayés si on apparaît subitement dans la pièce, car ce qui arrive quand on déplace son point d'assemblage, c'est qu'on active, comme je l'ai dit, le corps d'énergie, et qu'il peut disparaître de la réalité de tous les jours. Donc quand un sorcier s'en va, il s'en va, entre guillemets, de la réalité de tous les jours. Il devient essentiellement invisible.
Et c'est ça l'entraînement des traqueurs. On devient de plus en plus invisible, jusqu'à ce qu'arrive le moment où on peut marcher dans la rue, si cela existe encore, et que personne ne nous voit, parce qu'on a interrompu le dialogue intérieur qui réaffirme sans cesse que, "Je suis dans le monde, je suis comme ceci et comme cela, je suis telle et telle personne, je suis moi-même vous savez !" Ce sujet de préoccupation a été dépassé et vous avez utilisé votre énergie pour entrer dans une réalité différente. Et vous vous retrouvez, un beau jour, très harmonieusement dans une autre réalité, où il y a des gens mais où ces gens ne sont pas les gens de la vie de tous les jours.
Vous vous êtes déplacé vers une autre tresse de cet univers de conscience et il y a d'autres choses là. Ce n'est pas le vide. Vous savez, ce n'est pas si évident que ça, cette réalité de la vie de tous les jours, dans laquelle nous sommes nés, qui dit qu'il n'y a rien d'autre. C'est ce que nous aimerions en quelque sorte penser, ou bien qu'il y a un paradis et un enfer là dehors, quelque part. Mais cela fait vraiment parti de notre pensée linéaire. Pourtant, pour les orientaux, c'est bien ça : c'est vide, il n'y a rien.
Non, il y a un nombre infini de fibres, de fibres énergétiques de conscience dont vous pouvez faire l'expérience empiriquement. Et vous pouvez voir d'autres choses. Les rêveurs visitent des quantités de mondes dans d'autres univers où il y a d'autres configurations planétaires, d'autres chiens, des animaux à trois pattes, toutes sortes de formes organiques qu'on ne trouvent pas dans cette réalité. Ils ont leur propre table des éléments, la table périodique des éléments, de différents éléments qui ne sont pas connus de nos physiciens et de nos chimistes. Et ces choses-là forment des combinaisons différentes. Donc un traqueur, quand sa position du point d'assemblage a changé, commence à traquer et à décrire cette autre réalité.
Carlos Castaneda a passé une grande partie de son temps, dernièrement, à rêver et à explorer certaines de ces régions. C'est pourquoi il n'était pas dans le monde de la vie quotidienne. Il va sortir un livre sur les portes du rêve, qui décrit les véritables procédures, comment sortir de la réalité de la vie de tous les jours et entrer dans ces autres mondes ["L'Art de Rêver"].
Donc voilà ce que font les sorciers. Et la réalité de la vie de tous les jours perd de son importance.
JM : Si vous pouviez brièvement nous expliquer votre situation ou votre stade d'évolution actuel dans le processus de sorcellerie, et comment s'y insère l'écrivain... Je suppose qu'à l'origine, et de manière prédominante, il y a une tradition orale de la sorcellerie pour l'acquisition de la connaissance. Ainsi, voulez-vous bien nous dire, Taisha, pour résumer, comment vous vous situez en tant qu'écrivain, vers où vous mène votre chemin de connaissance, où vous en êtes maintenant, et toute autre remarque que vous auriez à faire.
TA : Je peux parler un petit peu de l'écriture, comment ces livres sont écrits ou comment moi j'ai écris mes livres. Ils traitent des toutes premières étapes de mon entraînement et donc ça m'a pris des années et des années pour écrire cela. Et pourquoi ce livre sort-il juste maintenant, après tant de temps passé ?
La raison est que nous ne... et je parle pour moi, pour Florinda Donner, Carol Tiggs, qui avons publié des livres. Nous ne les écrivons pas vraiment à la manière dont les gens écrivent des livres, d'une façon linéaire, en faisant des recherches et en notant l'information, ou en imaginant des personnages fictifs, en réorganisant les notes de terrain, pour ensuite présenter leurs histoires. Non, nous n'écrivons d'aucune de ces façons car nos travaux ne sont pas vraiment écrits à partir de l'esprit rationnel, dans le mode linéaire, à partir du point de vue de la vie de tous les jours. Ils proviennent d'une autre position du point d'assemblage. Et tout ce que nous avons appris, tout cet entraînement, ou au moins la plupart de l'entraînement que nous avons suivi, s'est déroulé depuis une position différente du point d'assemblage.
Emilito, qui m'a formée, mon second professeur, et qui m'a vraiment entraîné à traquer, et bien il n'existe pas dans le monde de la vie de tous les jours. Et ainsi le plus gros de mon entraînement a été effectué depuis une position de rêve. Et voilà pourquoi je vous ai dit au début, quand j'ai commencé à parler, j'ai dit que Taisha Abelar est réellement une position de rêve, qu'elle n'est pas née dans le monde de la vie de tous les jours.
Quoi que Taisha Abelar puisse être et quoi que je puisse vous dire maintenant, c'est quelque chose qui vient d'ailleurs, d'une autre position. Et l'énergie nécessaire pour non seulement faire l'expérience de ce qui a pu se passer ou se produire... et alors on a besoin d'une seconde couche d'énergie pour être capable de se le remémorer, parce qu'il y a plus, il y a beaucoup plus de choses, qui se sont produites dans des régions dont je n'ai pas souvenir.
Et ainsi, ma tâche actuelle consiste à les retrouver. Et plus j'emmagasine d'énergie, mieux je peux me souvenir et ramener ces choses à la surface, afin de pouvoir les relater. Et d'une certaine manière, ce que nous faisons est de traduire quelque chose qui est toujours ici et maintenant, c'est circulaire, c'est une couche différente, une couche énergétique. Nous le traduisons en un mode linéaire au mieux de nos capacités, en paroles, ce qui est linéaire, et à travers l'écriture.
Ainsi nos livres sont une traduction de ce qu'ont été nos expériences, dans le but de pouvoir les présenter de manière cohérente. Et là encore intervient l'importance d'une formation académique, de manière à ce qu'il y ait une racine, une fondation, que je puisse à présent utiliser, et sur laquelle je puisse compter pour ne pas avoir à dire : "Oh, c'est fantastique". Je veux dire, j'ai vu des choses fantastiques, dont je ne peux même pas parler, parce que lorsque vous voyez ces choses, il est impossible de parler, croyez moi !
Et quand j'y pense maintenant, je n'ai jamais la langue aussi clouée que quand je commence vraiment à faire revenir mon point d'assemblage ! Je le retiens en ce moment tout au long de cette conversation, sur une certaine position, grâce à mon entraînement de traqueur. Et seulement grâce à mon entraînement de traqueur.
A la minute où je quitterai ce lieu, mon point d'assemblage se déplacera ailleurs. Croyez-moi, je vais repartir d'où je suis venue, le "ici maintenant" d'une autre réalité ! Et là-bas je ne serai pas capable de parler de cette manière. Alors pendant la courte durée où je suis ici, ce que je veux faire c'est vraiment arriver à transmettre et à formuler, pour quiconque s'intéresse à comprendre quelques-unes de ces idées, les très difficiles et cependant très simples concepts qui font la sorcellerie.
Et nos livres ont le même objectif d'essayer d'ouvrir cette connaissance au public, parce que nous n'avons réellement aucun apprenti. La règle qui gouvernait le cercle de don Juan, son groupe, n'a plus cours.
Les quelques personnes qui ont été formées par lui, ont été entraînées avec une fluidité totale et une sobriété totale, pour que nous soyons capable de déplacer notre point d'assemblage depuis de multiples et multiples positions, avec fluidité et avec responsabilité, et avec une conscience et une sobriété absolues. Et finalement, nous partirons vers la liberté totale, où nous ne nous arrêterons nulle part en particulier. Ce sera si fluide que, quelque soit l'endroit où les pouvoirs nous emmèneront, (le pouvoir de l'intention), cet endroit sera là où nous sommes. Quel que soit cet endroit en définitive.
JM : Nous parlions avec Taisha Abelar de son livre "Le Passage des Sorciers, le Voyage Initiatique d'une Femme." Taisha, merci d'avoir pris le temps de parler sur KPFK.
TA : Okay. C'était un plaisir pour moi d'être ici.
Interview réalisée en février 1993, dans les locaux de Toltecs Artists Incorporated à Los Angeles.