Rencontre avec Carlos
The Sun Magazine - 1983
En 1983, je vivais dans un appartement situé sur le haut d’une colline surplombant la ville, au nord-ouest de Los Angeles. Je partageais l’appartement avec mes deux frères et tout se passait très bien, nous partagions les mêmes intérêts. Mon voisin de palier de l’époque était un étudiant licencié de l’Université de l’Etat de Californie à Los Angeles. Un soir, il arriva tout excité pour nous informer que Carlos Castaneda allait parler sur le campus le lendemain. Hé bien, ce fut pour nous une super nouvelle, ayant lu tous les livres qu’il avait écrit jusqu’à lors.
Le jour suivant, accompagné de mes deux frères, j’arrivai tôt à l’auditorium afin de me placer au tout premier rang et avoir une vue claire de l’homme, de ses manières, de ses mouvements, etc. Nous étions là depuis environ quinze minutes lorsque la foule commença à arriver. Nous remarquâmes alors un homme de type latin, trapu et de taille moyenne, habillé d’un costume, qui entra avec la foule et nous sûmes immédiatement que ça devait être Carlos Castaneda.
Il arriva comme si lui aussi venait pour voir et entendre Carlos Castaneda, la foule ne le remarqua pas et tous espéraient le voir surgir sur scène de derrière les rideaux et parler sur le podium. Pour une certaine raison, ou sans aucune raison, il marcha directement vers nous et nous demanda : « Pensez-vous que je devrais utiliser le micro ou juste me poser et parler à voix haute ? » Je répondis que ça dépendait de lui, mais qu’à mon avis il devrait parler à voix haute, puisqu’il semblait évident que c’était ce qu’il voulait faire. Il acquiesça sans difficulté puis monta sur scène et se tint juste à côté du podium.
La toute première chose que je remarquai fut ses yeux. Ils étaient clairs et paisibles et donnaient l’impression d’avoir une grande profondeur. D’une certaine façon, je pouvais voir que l’homme avait été dévasté par d’autres mondes et avait maintenant besoin d’essayer d’élaborer cette connaissance pour d’autres.
Lorsque la foule se calma, il commença à parler, en disant que lorsqu’il aurait fini de parler, il répondrait aux questions de l’audience. Il lança un rapide coup d’œil vers un endroit situé cinq rangées derrière nous et secoua son doigt et sa tête, disant à une jeune femme que cela n’allait pas être possible. Elle posa promptement sa caméra au sol.
Je n’ai pas envie d’écrire le contenu entier de sa conférence, seulement le message principal qu’il voulait transmettre. Il dit que don Juan lui avait raconté que nous vivions comme des poulets dans un poulailler. Nous passons notre vie à donner une grande importance à nos affaires personnelles, quand, en réalité, nous ne faisons que préparer notre conscience au travers de l’expérience pour être consommés et effacés par la même force incroyable qui nous a créé. Don Juan comparait cela aux poulets, qui vivent pour picorer et manger, seulement pour être abattus à la fin. Nous ne faisons que nourrir notre conscience – pas pour notre propre objectif, mais pour un autre objectif – celui d’être consommé au moment de notre mort. Donc, nous sommes comme des poulets dans un poulailler. Don Juan avait dit qu’à la lumière de cette destinée, notre seul défi authentique était de vivre avec notre plein potentiel et d’échapper à ce destin si nous le pouvions.
Après la fin de sa conférence, il répondit à quelques questions superflues et redondantes, et il était pour nous évident que tout ce qu’il avait dit allait immédiatement passer par-dessus la tête de la plupart des gens présents. Ce qui les intéressait vraiment était d’avoir un autographe sur leurs livres.
Après avoir signé plus d’une centaine de livres, il sortit et commença à marcher avec un petit groupe d’environ huit personnes qui le suivait. Certains semblaient être des universitaires, d’autres de simples curieux. Il s’avéra que les universitaires le voulaient pour eux tout seul, mais il dit qu’il se rendait à la librairie, dans l’une des salles d’étude pour parler à quiconque voudrait l’écouter. Alors, naturellement, nous le suivîmes. En marchant, il parlait à ceux qui l’entouraient, un à la fois.
Mes deux frères m’incitèrent à aller vers lui pour lui parler. Il était là maintenant et c’était l’occasion. Attendant une pause dans ses conversations, je saisis ma chance, allai directement vers lui, et lui affirmai catégoriquement : « Basé sur mes propres expériences, j’ai été capable de suivre le contexte de votre conférence plutôt facilement. »
Carlos s’arrêta, se retourna et me regarda calmement dans les yeux. Me donnant son attention exclusive, il attrapa ma main et dit : « Marche avec moi. » Je remarquai les expressions étonnées de ceux qui l’entouraient, comme s’il disait : « Bien sûr, bien sûr, tes expériences. »
Ensuite il commença à me parler en espagnol et me demanda d’en faire autant. Puis il pressa ma main dans un geste de solidarité et d’affirmation, et me dit : « N’est-ce pas merveilleux d’être en vie ? » Je répondis que oui, ça l’était, et que j’avais toujours voulu le rencontrer, car j’avais moi aussi était témoin du nagual. Cela sembla vraiment éveiller son intérêt et il me demanda si j’étais chez moi plus tard dans la soirée ; il viendrait et me parlerait personnellement, seul à seul. Il savait que je disais la vérité. J’avais juste à écrire mon nom et mon adresse sur un bout de papier et il serait là dans la soirée.
A la librairie, il parla de quelques concepts concernant l’éducation des enfants. Il dit qu’un enfant était imprégné des sentiments des parents au moment de la conception. Donc, il était très important pour les parents d’être extrêmement passionnés au moment de la conception ou autrement ils allaient se retrouver avec un enfant ennuyeux. Il parla également de « l’Aigle qui nous dévore, » un concept tiré de son dernier livre Le Don de l’Aigle.
Ensuite, Carlos sollicita les auditeurs pour qu’ils posent des questions et je demandai la seule chose qui me paraissait pertinente à l’époque. Est-ce que l’Aigle était le nagual ? Il ne répondit jamais vraiment à ma question, mais dessina un schéma sur un tableau représentant la forme et la configuration de la forme lumineuse que possèdent tous les êtres humains. C’était avant la sortie du Feu du Dedans, et tout ça était donc nouveau pour les personnes présentes.
Lorsqu’il s’arrêta de parler, tout le monde se retrouva à nouveau à l’extérieur. Il était tard dans l’après-midi et il devait s’en aller. Il s’éloigna avec les mêmes universitaires, et, alors qu’il était sur le point de partir, je lui tendis un morceau de papier avec mon adresse dessus. En le prenant, il me dit au revoir, puis il fit une pause, jeta un regard vers mon frère, sourit et alla vers lui pour lui serrer la main avec force, comme si tous les deux partageaient quelque chose de merveilleux et d’indéfini. Et ce fut tout.
The Sun Magazine - 1983
En 1983, je vivais dans un appartement situé sur le haut d’une colline surplombant la ville, au nord-ouest de Los Angeles. Je partageais l’appartement avec mes deux frères et tout se passait très bien, nous partagions les mêmes intérêts. Mon voisin de palier de l’époque était un étudiant licencié de l’Université de l’Etat de Californie à Los Angeles. Un soir, il arriva tout excité pour nous informer que Carlos Castaneda allait parler sur le campus le lendemain. Hé bien, ce fut pour nous une super nouvelle, ayant lu tous les livres qu’il avait écrit jusqu’à lors.
Le jour suivant, accompagné de mes deux frères, j’arrivai tôt à l’auditorium afin de me placer au tout premier rang et avoir une vue claire de l’homme, de ses manières, de ses mouvements, etc. Nous étions là depuis environ quinze minutes lorsque la foule commença à arriver. Nous remarquâmes alors un homme de type latin, trapu et de taille moyenne, habillé d’un costume, qui entra avec la foule et nous sûmes immédiatement que ça devait être Carlos Castaneda.
Il arriva comme si lui aussi venait pour voir et entendre Carlos Castaneda, la foule ne le remarqua pas et tous espéraient le voir surgir sur scène de derrière les rideaux et parler sur le podium. Pour une certaine raison, ou sans aucune raison, il marcha directement vers nous et nous demanda : « Pensez-vous que je devrais utiliser le micro ou juste me poser et parler à voix haute ? » Je répondis que ça dépendait de lui, mais qu’à mon avis il devrait parler à voix haute, puisqu’il semblait évident que c’était ce qu’il voulait faire. Il acquiesça sans difficulté puis monta sur scène et se tint juste à côté du podium.
La toute première chose que je remarquai fut ses yeux. Ils étaient clairs et paisibles et donnaient l’impression d’avoir une grande profondeur. D’une certaine façon, je pouvais voir que l’homme avait été dévasté par d’autres mondes et avait maintenant besoin d’essayer d’élaborer cette connaissance pour d’autres.
Lorsque la foule se calma, il commença à parler, en disant que lorsqu’il aurait fini de parler, il répondrait aux questions de l’audience. Il lança un rapide coup d’œil vers un endroit situé cinq rangées derrière nous et secoua son doigt et sa tête, disant à une jeune femme que cela n’allait pas être possible. Elle posa promptement sa caméra au sol.
Je n’ai pas envie d’écrire le contenu entier de sa conférence, seulement le message principal qu’il voulait transmettre. Il dit que don Juan lui avait raconté que nous vivions comme des poulets dans un poulailler. Nous passons notre vie à donner une grande importance à nos affaires personnelles, quand, en réalité, nous ne faisons que préparer notre conscience au travers de l’expérience pour être consommés et effacés par la même force incroyable qui nous a créé. Don Juan comparait cela aux poulets, qui vivent pour picorer et manger, seulement pour être abattus à la fin. Nous ne faisons que nourrir notre conscience – pas pour notre propre objectif, mais pour un autre objectif – celui d’être consommé au moment de notre mort. Donc, nous sommes comme des poulets dans un poulailler. Don Juan avait dit qu’à la lumière de cette destinée, notre seul défi authentique était de vivre avec notre plein potentiel et d’échapper à ce destin si nous le pouvions.
Après la fin de sa conférence, il répondit à quelques questions superflues et redondantes, et il était pour nous évident que tout ce qu’il avait dit allait immédiatement passer par-dessus la tête de la plupart des gens présents. Ce qui les intéressait vraiment était d’avoir un autographe sur leurs livres.
Après avoir signé plus d’une centaine de livres, il sortit et commença à marcher avec un petit groupe d’environ huit personnes qui le suivait. Certains semblaient être des universitaires, d’autres de simples curieux. Il s’avéra que les universitaires le voulaient pour eux tout seul, mais il dit qu’il se rendait à la librairie, dans l’une des salles d’étude pour parler à quiconque voudrait l’écouter. Alors, naturellement, nous le suivîmes. En marchant, il parlait à ceux qui l’entouraient, un à la fois.
Mes deux frères m’incitèrent à aller vers lui pour lui parler. Il était là maintenant et c’était l’occasion. Attendant une pause dans ses conversations, je saisis ma chance, allai directement vers lui, et lui affirmai catégoriquement : « Basé sur mes propres expériences, j’ai été capable de suivre le contexte de votre conférence plutôt facilement. »
Carlos s’arrêta, se retourna et me regarda calmement dans les yeux. Me donnant son attention exclusive, il attrapa ma main et dit : « Marche avec moi. » Je remarquai les expressions étonnées de ceux qui l’entouraient, comme s’il disait : « Bien sûr, bien sûr, tes expériences. »
Ensuite il commença à me parler en espagnol et me demanda d’en faire autant. Puis il pressa ma main dans un geste de solidarité et d’affirmation, et me dit : « N’est-ce pas merveilleux d’être en vie ? » Je répondis que oui, ça l’était, et que j’avais toujours voulu le rencontrer, car j’avais moi aussi était témoin du nagual. Cela sembla vraiment éveiller son intérêt et il me demanda si j’étais chez moi plus tard dans la soirée ; il viendrait et me parlerait personnellement, seul à seul. Il savait que je disais la vérité. J’avais juste à écrire mon nom et mon adresse sur un bout de papier et il serait là dans la soirée.
A la librairie, il parla de quelques concepts concernant l’éducation des enfants. Il dit qu’un enfant était imprégné des sentiments des parents au moment de la conception. Donc, il était très important pour les parents d’être extrêmement passionnés au moment de la conception ou autrement ils allaient se retrouver avec un enfant ennuyeux. Il parla également de « l’Aigle qui nous dévore, » un concept tiré de son dernier livre Le Don de l’Aigle.
Ensuite, Carlos sollicita les auditeurs pour qu’ils posent des questions et je demandai la seule chose qui me paraissait pertinente à l’époque. Est-ce que l’Aigle était le nagual ? Il ne répondit jamais vraiment à ma question, mais dessina un schéma sur un tableau représentant la forme et la configuration de la forme lumineuse que possèdent tous les êtres humains. C’était avant la sortie du Feu du Dedans, et tout ça était donc nouveau pour les personnes présentes.
Lorsqu’il s’arrêta de parler, tout le monde se retrouva à nouveau à l’extérieur. Il était tard dans l’après-midi et il devait s’en aller. Il s’éloigna avec les mêmes universitaires, et, alors qu’il était sur le point de partir, je lui tendis un morceau de papier avec mon adresse dessus. En le prenant, il me dit au revoir, puis il fit une pause, jeta un regard vers mon frère, sourit et alla vers lui pour lui serrer la main avec force, comme si tous les deux partageaient quelque chose de merveilleux et d’indéfini. Et ce fut tout.