La Lune du Traqueur
Culver City, Los Angeles - 1995
Premier Jour
Nous étions assis en tailleur sur le parquet entourant une scène de 10 m2, située au milieu de la pièce, depuis environ une heure. Tout autour, de vieilles connaissances se retrouvaient, tandis que j’essayais de ne pas fixer mon attention sur les jolies nanas. Finalement, un homme, assez grand qui portait des lunettes, monta sur scène et bidouilla un micro sans fil. Il nous souhaita à tous la bienvenue, nous fit la présentation commerciale de la seconde vidéo, puis s’en alla.
Quelques minutes plus tard, un groupe franchit la porte située à l’extrême gauche de la salle et tout le monde se leva pour applaudir. (Cela se passera ainsi à chaque entrée et sortie pour chaque conférence.)
Ce n’est que lorsque Carlos monta sur scène que je pus enfin le voir, car il fait tout au plus 1m60. C’est un Latino à la peau brune (il a certainement du sang indien), en fait il est Argentin. Carlos semblait avoir 60 ans, mais il était plein de vie et très animé. Il ponctuait chacune de ses phrases avec des gestes fluides et élégants. Ses cheveux coupés très courts étaient gris, presque blancs. L’anglais est sans aucun doute sa seconde langue, chose dont je ne me serais jamais douté en lisant ses livres. Il articulait bien mais parlait avec un accent distinct. Il avait un regard de traqueur – il relevait constamment les détails des expressions et du langage corporel de ceux qui l’entouraient, ne détournant jamais son regard pendant plus d’une ou deux secondes. Il avait une attitude vraiment charmante et un sourire séduisant, encore que les quelques fois où ses yeux sont entrés en contact avec les miens, son regard était très pénétrant et pourtant détaché, comme celui d’un oiseau de proie. Banal, mais authentique.
Carlos commença par déclarer que les passes de sorcellerie que nous allions apprendre avaient été découvertes par des hommes, des milliers d’années auparavant. Don Juan lui avait dit que c’était de l’ordre d’environ 10 000 ans. Carlos avait toujours eu des difficultés pour concilier cela avec sa formation archéologique. Il signala qu’une partie importante du chemin du guerrier était de traverser le monde sans laisser de trace, et qu’il était donc impossible de prouver l’existence de don Juan lui-même – il sentait que nous pourrions en déduire que les tous premiers « anciens sorciers » remontaient en fait au temps des nomades, de la pré agriculture, ainsi le cadre temporel de don Juan était exacte.
Ensuite, Carlos dit à nouveau que nous ne devions pas prendre de notes. Ce que nous allions faire ici, c’était redéployer de l’énergie, et la pleine participation de chacun était essentielle. Il dit que les Chacmool allaient s’adresser directement à nos corps d’énergie, tout comme lui, et que nos corps allaient aimer cela, que cela nous rapporterait bien plus.
Depuis que les Chacmools sont arrivées dans son groupe, et les ont tous ‘ré-énergisés’, Carlos en a déduit que le secret et les rituels qui avaient historiquement accompagnés les passes étaient une perte de temps. L’énergie est tout ce qui compte. Les passes rassemblent et redistribuent l’énergie. Il n’est pas nécessaire de comprendre comment ça marche, ou de croire que ça marche – il faut juste les pratiquer, c’est tout. Il dit que lorsqu’il avait confronté don Juan à ce problème, celui-ci lui avait donné la même réponse – « Donne moi satisfaction », avait-il dit. Carlos nous demanda de faire la même chose.
Carlos mima la façon dont il avait l’habitude de prendre des notes dans la poche de son coupe-vent, sur un petit bloc-notes plein de pages. Don Juan lui demanda une fois s’il était en train de jouer avec son machin, car son stylo et le mouvement de sa main faisaient penser à ça. Quand Carlos expliqua ce qu’il était en train de faire, don Juan lui dit que si il était sur le point de perdre son temps dans ce genre de petites masturbations, il devrait plutôt le faire pour de bon.
A la question de savoir pourquoi Carlos avait ouvert la sorcellerie au monde, il nous invita à inventer une raison, comme si c’était juste une autre petite masturbation – « Les croyances et les choses raisonnables ne comptent pas dans le monde des sorciers, seules comptent les actions. »
Carlos indiqua qu’il avait été un membre instruit de l’académie avant de devenir un sorcier. La somme totale de toute la religion et de la philosophie académiques semblait être pour lui équivalente à : « La vie est une salope et puis t’es mort. » Il trouvait cette proposition odieuse, et continua à chercher des gourous, même après avoir été impliqué dans le monde de don Juan. Comme il le souligna, il est difficile de devenir un navigateur de l’infini. Et pas avec l’âme ou l’esprit, des termes qui n’ont aucune signification pour les sorciers, mais avec tout ce que nous sommes, le corps et le reste.
Carlos avait demandé cela à don Juan – « Est-ce que la sorcellerie est le seul chemin de connaissance ? » Don Juan indiqua que Carlos était le dernier maillon d’une longue chaîne d’évolution, ce qui l’avait placé devant la porte de la sorcellerie. Il dit que bien qu’il soit en effet possible que Carlos puisse être capable de chercher une voie alternative de connaissance avant que la mort ne le trouve, cela lui semblait être une perte de temps et d’énergie très risquée, puisqu’il se tenait déjà devant la porte de la sorcellerie. « C’est ainsi que nous sommes », dit Carlos. Et tout comme don Juan l’avait fait pour lui, il nous invita à passer cette porte, afin de devenir, nous-même, des navigateurs de l’infini.
Carlos raconta alors ses rencontres avec plusieurs hommes sages ou saints.
1) Baba Maha rishi, un sage indien, était interviewé par un magasine au moment où Carlos lui fut présenté. Ils devaient parlé via un interprète, et cette situation embarrassante réduisit Carlos à dire des lieux communs, comme « Alors, depuis combien de temps êtes-vous aux Etats-Unis ? » ; « Est-ce que ça vous plaît ? », etc. une conversation absolument fade. Carlos fut stupéfait que la retranscription de cette « rencontre de deux grands hommes » soit publiée en fanfare.
Il mentionna également une interview radio qu’il avait donné à une émission de la West Coast Radio, où l’animateur ne l’avait manifestement pas pris au sérieux. Donc, comme il est demandé dans l’art de traquer, Carlos ne le prit pas non plus au sérieux, en racontant des conneries quand l’autre le faisait – la folie contrôlée. Ce ne fut que plus tard qu’il réalisa que l’interview avait été tapée et vendue à Esalen et à d’autres. Il indiqua le danger inhérent de faire des acomptes de seconde main, et insista à nouveau sur l’importance d’une participation active.
2) Timothy Leary – Carlos demanda à Leary ce qu’il nous avait ramené de ses 500 et quelques trips dans le ‘no man’s land’. La réponse de Leary fut de demander à Castaneda de quel signe il était. Il accusa Castaneda d’être un capricorne et un fanatique des structures. Carlos tourna en ridicule l’enthousiasme habituel de Leary pour les ordinateurs, particulièrement l’intelligence artificielle. Carlos maintint qu’il n’y avait aucun moyen qu’une machine géante et miraculeusement rapide puisse jamais incorporer la conscience humaine. Il utilisa l’exemple d’une prothèse de main, et indiqua que dans un simple mouvement de chair et de sang, l’algorithme venait de la vaste complexité de l’organisation de la matière en cellules vivantes, l’organisation des cellules en tissus et en organes, et le suprême mystère de la conscience qui pouvait diriger le mouvement ; comment cela se produisait, par rapport à la relative simplicité d’un mouvement. L’ « erreur mécanique » de l’homme était de passer de quelques trucs simples, comme des écrous et des boulons, des barres de fer, et du latex couleur chair, à la relative complexité d’un mouvement artificiel de la main, et dire que c’était aussi bien que l’original. Il réprimanda la croyance de Leary consistant à penser qu’il pouvait être maintenu en vie avec la cryogénie jusqu’à ce que la technologie puisse le ramener à la vie.
3) Le Pape – Carlos eut une audience semi-privée avec le Pape. Dans l’aire de réception, le Pontife le béni et lui demanda : « Que fais-tu mon fils ? » Carlos resta muet et ne put pas répondre, car après tout, dit-il, la dernière chose qu’il voulait faire était de mentir au Pape. L’homme qui vint après lui n’eut pas de problème quant à lui. Il dit au Pape qu’il tenait un magasin de livres d’occasion, et lui demanda de le bénir. Carlos observa qu’il avait maximisé son temps avec le Pape.
4) Un maître en Inde – Carlos lui posa une question sur l’énergie, et il lui répondit que les femmes n’avaient pas été crées par Dieu, mais étaient des êtres inférieurs, en vertu du trou qu’elles avaient entre leurs jambes. Lorsque l’énergie mâle voulait s’unir à l’énergie femelle, elle devait se rabaisser à travers le sexe. Carlos parodia la consciencieuse prise de notes en présence du gourou, et s’émerveilla de voir que les plus attentifs et les plus fervents preneurs de notes étaient des femmes.
5) Un praticien chinois – Un ami psychiatre emmena Carlos pour voir un homme « ruisselant de Chi ». En arrivant, on dit à Carlos qu’il n’était pas habilité à entrer par la porte principale, et qu’il devait utiliser l’entrée de service des serviteurs. Carlos et son ami acquiescèrent, mais lorsqu’ils arrivèrent derrière, ils furent accueillis par un homme large et féroce, qui dégringola promptement les escaliers pour venir à leur rencontre et roula jusqu’à leurs pieds. L’ami de Carlos proposa de fuir, car il ne voulait pas être un « témoin matériel ». Carlos ne le voulant pas non plus, ils déguerpirent.
Carlos parla ensuite de l’importance personnelle, à quel point elle est évidente dans la vie de tous les jours. Il indiqua que ce qui passe pour une discussion, ce sont seulement deux personnes, chacune attendant que l’autre cesse son stupide monologue afin que son propre brio verbal puisse enfin briller. Il railla la psychiatrie, qui consiste à payer des gens très cher pour vous écouter parler de vous. Il dit que ce qui est appelé la « guérison » se produit quand vous-même êtes fatigué de vous entendre.
Carlos fit ensuite plusieurs références indirectes aux entités mangeuses de conscience appelées les flyers, qui ne peuvent être évitées qu’au travers de la discipline. Il dit qu’ils perdent vite tout appétit pour la conscience disciplinée. Les Chacmools allaient nous aider à apporter un peu de cette discipline dans notre vie, et il nous invita à les prendre comme de purs exemples d’une telle discipline.
Les Chacmools prirent alors la relèvent, avec Kylie comme leader évident, comme dans la vidéo. Elle occupa le centre de la scène, tandis que Reni et Nyei se dirigèrent vers de plus petites scènes à chaque coin de la pièce. J’allai vers l’endroit où se trouvait Nyei. (Après la session, elles changèrent de scènes, chacune enseignant différentes passes depuis le centre, les autres assistant depuis les deux autres coins de la pièce. De cette façon, même si la plupart des gens restaient plus ou moins au même endroit durant les trois jours, nous avons tous eu une interaction avec chacun des Chacmools.)
Elles portaient toutes des micros sans fil, et étaient habillées exactement de la même façon, comme pour chaque session, bien qu’elles portèrent une couleur différente à chaque fois. Comme disait le grand chansonnier texan, Robert Earl Keen, je ne suis « aucun type de danseur », ce fut donc avec une certaine excitation que j’attendis l’instruction. Je m’imaginais qu’on allait me demander de faire le grand écart ou d’autres mouvements douloureux de gymnastique, mais ce ne fut pas le cas, pour aucun des mouvements. La seule condition nécessaire pour chaque passe était d’être concentré.
La première passe que nous apprîmes s’appelait Redéployer l’énergie vers le centre de l’action soutenue. Nous l’avons pratiquée jusqu’à ce que nous puissions la faire sans l’aide des Chacmools. Nous avons ensuite été appelés par la nuit. Je suis retourné à l’hôtel, et bien que j’aurais dû être épuisé, je me sentais étrangement plein d’énergie.
Deuxième jour
Conférence de Carol Tiggs
Carol Tiggs, la femme nagual, monta sur scène à 9h30 le matin suivant. C’était une belle femme, bien faite, avec des cheveux et des yeux noirs. Elle semblait avoir 40 ans, bien qu’étant une contemporaine de Carlos et des autres, elle aurait du avoir 10 ans de plus. Elle nous parla d’elle, de lorsqu’elle était plus jeune, et que don Juan était encore là – comment elle zozotait, etc., comme cela est raconté dans L’Art de Rêver.
Elle était la seule des guerriers femmes à porter une jupe, et elle plaisanta sur le fait qu’elle ne s’habituait toujours pas à être sur scène, et voulait être sûr que tout ce que nous pourrions voir était ses genoux.
Carol continua là où L’Art de Rêver s’était arrêté, et nous raconta sa propre rencontre avec le Défieur de la mort. Apparemment, cela eut lieu dans la même église que la rencontre avec Carlos. Carol entra dans l’église, et l’obscurité soudaine la fit trébucher sur une marche. Durant ce petit moment d’embarras, elle fut saisie par une main glacée, tandis qu’une voix rauque lui dit : « Carol Tiggs, c’est un plaisir de finalement vous rencontrer. Cela fait longtemps que je vous cherche. » Carol dit que l’utilisation de son nom complet par le Défieur de la mort avait apaisée son intenable terreur, car elle sentait que c’était un signe du respect qu’elle pensait mériter. Carol était toujours très effrayée, et ne voulait même pas regarder le Défieur de la mort.
Celui-ci lui dit qu’il n’y avait pas de quoi être effrayé, et qu’elle était « complètement femme. » Elle attrapa la main de Carol, et la posa sur sa forte poitrine. Carol était effarée, et dit au Défieur de la mort d’arrêter avant que des gens les voient dans l’église. Le Défieur de la mort lui expliqua qu’il n’y avait aucune raison de s’inquiéter, qu’elles étaient dans un rêve et que ces gens n’existaient pas – seules elle et Carol existaient. Le Défieur de la mort offrit alors à Carol de faire un marché pour avoir un peu de son énergie. Tout comme Carlos, Carol n’agit absolument pas comme une femme d’affaire astucieuse, et en gros acquiesça à tout ce que désirait le Défieur de la mort. Le Défieur de la mort offrit de lui montrer la « Mer de la Conscience », et Carol, espérant faire un genre d’escapade vers une plage cosmique, acquiesça. A la place de ça, elle eut un aperçu fugace de quelque chose d’indescriptible. Puis elle ressentie une lourdeur dans les jambes, et une douleur dans le pied. Elle était à Tucson, loin du Mexique où elle avait rencontré le Défieur de la mort. Elle trouva un journal, et découvrit que 10 ans s’était écoulés depuis l’instant où elle était partie.
Carol nous dit qu’elle n’était même plus sûr d’être la même Carol Tiggs qui était partie ce jour là, ou une Carol Tiggs possédée par le Défieur de la mort, ou un étrange amalgame des deux. Elle essayait encore, même par l’acte de nous raconter ses « contes d’énergie », de retrouver la mémoire de ce qui lui était arrivé. Elle continua à partager quelques-unes de ces histoires.
Carol dit que lorsque le point d’assemblage se déplace vers un endroit où il assemble un nouveau monde complet, les sorciers voient un mouvement de pure énergie, juste pendant un instant, avant que le point d’assemblage, qui dicte non seulement ce que nous percevons mais aussi comment nous le percevons, impose son interprétation sur le nouveau monde.
Il était arrivé un moment où Carol et Carlos avaient atteint le point dans leur pratique où ils pouvaient rêver ensemble. Leur entrée dans cet état prenait trois formes – ils se retrouvaient en train de marcher ensemble, en train de rouler ensemble dans une voiture, ou ensemble, nus dans un lit. Elle raconta une série de ces expériences. Lorsqu’ils roulaient ensemble, ils finissaient généralement en face d’une maison blanche, et Carol savait intuitivement que c’était sa maison. D’habitude, elle se réveillait avant d’entrer à l’intérieur. Mais, elle finit par y aller, et fut accueillie par quelqu’un qui était le sosie d’un acteur des années 1940, Gerald Mohr qui, selon toute apparence, avait une voix très distinguée. Il lui dit : « Salut chérie, je suis content que tu sois à la maison. » Carol avait le sentiment que ce personnage n’était pas humain. Ce sentiment s’intensifia lorsqu’il émit un rire démoniaque. Elle revint en vitesse dans notre monde.
A une autre occasion, elle et Carlos se réveillèrent ensemble nus dans la chambre de la maison blanche. Une petite fille arriva en courant dans la chambre en disant : « Maman, maman, qui est ce monsieur tout nu et qu’est-ce qu’il fait dans ton lit ? » Elle et Carlos paniquèrent, et Carlos hurla : « Tournoie, Carol, tournoie ! » (Apparemment la technique pour assembler un nouveau monde donne la sensation de tourbillonner rapidement).
A ce point de leur relation, Carlos et Carol commencèrent à se suspecter l’un l’autre. Ils sentaient tous les deux que l’autre en savait plus qu’il ne voulait le dire, et qu’il complotait avec don Juan et ses combines malfaisantes. A cette époque, Carlos était très gros et adorait cuisiner. Il ne laissait même pas Carol laver une assiette, car elle ne l’aurait pas fait suffisamment bien pour apaiser son pointillisme. A une occasion, Carlos prépara trop de chile con carne. Cela les plomba tellement, qu’ils reportèrent leurs activités journalières. Ils s’allongèrent ensemble sur leur couche de rêve, s’endormirent immédiatement, et furent transportés dans la chambre de la maison blanche. La petite fille était en train de frapper à la porte et demandait à entrer à l’intérieur de la chambre.
Carol se leva et enfila une robe qui se trouvait au pied du lit (comme si elle l’avait fait pendant des années.) Carlos se glissa dans une armoire pour observer ce qui allait se passer. Carol remarqua un journal qui traînait par terre, et fut ébahie de voir qu’il n’était pas du tout écrit en anglais. Elle voulait le montrer à Carlos, qui d’une certaine façon s’était enfermé tout seul dans l’armoire. Carol n’arrivait pas à l’ouvrir, et commença à s’énerver, car à présent l’enfant et Gerald Mohr étaient derrière la porte en train de lui demander ce qui n’allait pas et de bien vouloir les laisser entrer. Carlos (qui, pour une raison inexplicable était aussi très familier avec cette maison) dit à Carol de marcher sur une tâche noire sur le sol, qui ouvrait l’armoire. Cette fois, ce fut au tour de Carol de conjurer Carlos de partir, ce qu’il repoussa jusqu’à la dernière seconde à cause de sa curiosité anthropologique concernant le journal.
Lorsqu’ils revinrent à leur conscience normale, Carlos se tourna vers Carol et lui cria : « Putain de salope ! Qu’est-ce que t’as foutu dans la bouffe ? » Carol se contenta de sourire, car elle le tenait, et elle lui dit : « Toi, vas te faire foutre. Tu ne me laisses même pas entrer dans ta cuisine ! »
A cette époque, Carlos était également affligé de terribles accès de rage, qu’il attribuait à sa pression sanguine. Carol soignait ces attaques avec une forme d’acupuncture. A une occasion, elle demanda à Carlos quelle aiguille il préférait, la large ou la fine, et elle fit un geste insouciant de la main en disant cela. Le côté gauche du visage de Carlos se flétrit comme s’il était sur le point d’avoir une attaque, et dans un faible marmonnement, il demanda l’aiguille fine. Carol était incapable de le porter, et était sur le point de faire une manœuvre drastique, qui demandait d’insérer l’aiguille à la base du scrotum de Carlos. Cela poussa Carlos à mobiliser toute son énergie, et il réussit à pousser un glapissement. Ils se disputèrent pendant des heures pour savoir ce qui s’était passé, jusqu’à ce que Carol retourne finalement chez elle au petit matin. Elle se regarda dans son miroir peu utilisé, et leva sa main gauche pour le nettoyer de la poussière qui le couvrait. Elle se réveilla cinq heures plus tard, avec le visage collé contre le miroir alors qu’une alarme de voiture venait juste de s’arrêter dehors.
Ils découvrirent alors que l’œil gauche de Carol avait été altéré par ses visites dans la seconde attention, elle qu’elle pouvait hypnotiser avec. Elle dit que pendant un temps, elle avait pris beaucoup de plaisir à zapper tout le monde, depuis les autres apprentis jusqu’à l’épicier du coin.
Ensuite Carol nous fit une démonstration. Elle appela une fille argentine qu’elle avait rencontrée juste avant, et l’hypnotisa. Puis, elle prit un volontaire étranger dans l’audience. Au préalable, elle expliqua que ce qu’elle faisait était éteindre leur dialogue intérieur. Elle nous pressa de ne pas regretter de ne pas être sur scène, que nous pouvions faire la démonstration « pour nos yeux seulement », et que nous pouvions aussi expérimenter cet arrêt intérieur. Elle espérait que nos corps se souviendraient, et que nous serions capables d’utiliser cette mémoire en cas de besoin. Je peux dire que cela a marché pour moi, les deux fois. Puis Carol se tourna vers les Chacmools. Nous apprîmes une autre passe, Traverser la frontière centrale du corps, puis nous fîmes une pause pour le déjeuner.
Conférence de Florinda Donner-Grau
De tous les membres du clan de Carlos, Florinda est celle qui semblait le plus être à part. Son visage m’évoqua le mot « elfe » – espiègle, énergique, possédant un savoir secret. Elle était très attirante, avec ses cheveux blancs et ses sourcils noirs en forme de V. Elle avait un magnifique sourire. Pour je ne sais quelle raison, j’ai beaucoup plus de mal à me souvenir de ce qu’elle a dit que pour les autres. A part ça, je pense que c’est parce qu’elle a parlé de beaucoup de choses que j’avais déjà assimilé (du moins intellectuellement).
Elle parla de l’importance personnelle, et réitéra ce qu’elle avait écrit sur l’effet dévastateur de l’assertion de don Juan disant que sa seule valeur personnelle était d’être née blonde avec les yeux bleus, dans un pays où les gens avaient la peau mate. Elle dit qu’il la harcelait sans arrêt sur le fait qu’elle était une « typique Allemande», l’appelant même « Mein Führer ». Si jamais il voulait la mettre en rage, il lui demandait si elle allait « être allemande aujourd’hui ».
Florinda dit qu’elle espérait que nous avions tiré avantage de la démonstration de Carol. Puis elle nous demanda si nous avions remarqué que les yeux de Carol étaient noirs. Florinda dit que les yeux de Carol étaient bleus quand elle était son « moi » normal, mais qu’ils étaient noirs lorsqu’elle était une sorcière incroyablement puissante. Elle dit que nous avions vu quelque chose de réellement merveilleux aujourd’hui, dont se souviendraient nos corps d’énergie. Elle plaisanta en disant que tout le clan, Carlos inclus, devait faire attention lorsque les yeux de Carol étaient noirs. Elle ajouta qu’elle appelait Carol avant d’aller la voir, pour lui demander de quelle couleur étaient ses yeux.
Florinda donna alors la plus achevée des explications de la Tenségrité. Elle indiqua que l’idée des œufs lumineux était une fabrication remontant au temps des anciens sorciers, que la forme de l’homme avait évoluée vers ce que la plupart des gens sont lorsqu’on les voit, c’est-à-dire de parfaites sphères d’énergie. Chez les personnes très jeunes, l’énergie est agglomérée au centre de la coquille. Les expériences mondaines déplacent notre énergie vers la surface de la coquille, formant une sorte de croûte énergétique. Cette énergie est inutilisable. L’objectif de la Tenségrité est de redistribuer cette énergie depuis la surface de la coquille vers le centre. Cela provoque un retour de nos corps d’énergie vers nous.
Quelqu’un demanda si le corps d’énergie était dans notre corps physique. Florinda répondit que puisqu’il fait partie de notre totalité, il n’est pas dans notre corps physique. Nos corps d’énergie tendent à être séparés de nous à cause de la fixation du point d’assemblage sur la position de l’auto-contemplation. Elle dit que don Juan avait l’habitude de plaisanter avec Carlos en disant que son corps d’énergie était au Japon. Florinda était plus chanceuse, le sien était seulement à New-York.
Une question fut posée à propos des effets énergétiques de récapituler quelqu’un avec qui nous sommes toujours en contact dans le quotidien. Florinda clarifia l’idée fausse selon laquelle nous reprenons de l’énergie chez les autres. Elle dit que chaque être possède une quantité finie d’énergie – le processus de récupération est similaire aux effets de la Tenségrité – on ramène notre énergie depuis la coquille extérieure vers le centre.
Florinda parla du problème du « pauvre bébé ». Elle dit qu’il était insensé de se plaindre de ne pas avoir l’avantage d’avoir un maître comme don Juan, ou Carlos. Elle dit que Carlos s’était plaint que don Juan avait eu l’avantage d’avoir don Elias et don Julian, qu’elle s’était plainte que Carlos avait eu plus d’interactions qu’elle avec don Juan et son clan, et que les Chacmools s’étaient plaintes de n’avoir jamais rencontré don Juan. Tout cela est sans importance. Il n’y a pas de meilleures ou pires circonstances, et il n’y a pas de récompenses associées à la sorcellerie. C’est un interminable défi, et c’est tout. Nous sommes tous seuls face à l’infini – l’énergie est tout ce qui compte.
Quelqu’un demanda si le fait d’affronter seul l’infini impliquait que le clan du nagual soit séparé après le vol abstrait. Florinda répondit que la destination finale du clan du nagual était inconnue, mais qu’en ce moment même, nous affrontions tous l’infini en étant seuls, même dans cette salle pleine de monde.
Quelqu’un amena le sujet des « vers lumineux » laissés dans la femme par l’homme après l’acte sexuel. Florinda dit qu’en effet, c’était vrai, comme le fait que d’avoir des enfants faisait des trous dans la coquille lumineuse. Mais, demanda t-elle, et alors ? Elle n’était pas en accord avec la stratégie extrême de don Juan d’effacer l’histoire personnelle en laissant derrière nous tout ce que nous connaissions. Ils ne nous demandaient pas d’abandonner notre famille ou nos vies. Ce qui compte c’est le détachement, qui vient après avoir perdu l’importance personnelle, qui est un produit de l’énergie.
Florinda nous exhorta à utiliser la mort comme conseillère, et de perdre l’importance personnelle. Puis elle se tourna vers les Chacmools. Nous apprîmes une autre passe, Les 5 points de connexion. On nous dit que cela était similaire à l’acte de charger une batterie.
Conférence de Carlos Castaneda
Carlos ouvrit la séance aux questions. Quelqu’un lui demanda s’il était en train de travailler sur un nouveau livre. Il dit que oui, et pour l’évoquer, il nous donnerait une idée de quoi cela parlait. Quelqu’un lui demanda ensuite si c’était vrai qu’il avait écrit L’Art de Rêver des années auparavant, mais n’avait pas pu le faire publier. Il dit que c’était plus ou moins vrai, que son agent lui avait dit que c’était trop bizarre, et qu’il devrait écrire quelque chose de plus contemporain, peut-être sur les ordinateurs. Il était reparti et s’était creusé la tête sur le moyen de rendre son livre plus acceptable, mais avait fini par le laisser tel quel. Il expliqua qu’il n’était pas vraiment écrivain, que don Juan lui avait donné la tâche de trouver ses livres en rêvant, ce qu’il avait fait. Tout ce qu’il faisait était de rapporter les mots qu’il avait trouvés en rêve, un acte d’une immense concentration. Il évoqua le problème d’écrire ou même de parler à propos de la sorcellerie, car cette taxonomie avait peu de chose en commun avec le monde de la vie quotidienne.
Carlos nous raconta un commentaire qu’avait une fois fait don Juan sur le monde quotidien du tonal. Il avait dit que ce que nous considérons être la réalité était un contrat qui avait été établi dans le passé, un contrat auquel nous avions été obligé d’adhérer, même si nous n’avions pas été présent lors de la négociation. Pourquoi, avait-il demandé à Carlos, devait-il se sentir obligé d’adhérer à un contrat sur lequel il n’avait pas eu son mot à dire ? Ceci est, en gros, l’essence de la sorcellerie, la renégociation de ce contrat.
Le sujet du sexe émergea, et Carlos réitéra ce qui avait été dit sur le fait que la capacité d’avoir une activité sexuelle dépendait de l’énergie du coït avec laquelle nous avions été conçu. Carlos dit que don Juan avait vu le moment de la conception de Carlos. Ses parents étaient très jeunes, des adolescents, et avaient eu une relation sexuelle à la hâte, derrière une porte. Carlos sentait que c’était la raison pour laquelle il était lui-même furtif, et petit, dit-il en plaisantant. Don Juan lui avait dit que cela faisait de lui une baise ennuyeuse, et que par conséquent il devait éviter l’activité sexuelle. Carlos n’aimait pas ça, parce qu’à cette époque il était jeune et même s’il était très gros, il pensait être très sexy. Il dit qu’il souhaitait encore être plus grand et ne pas être une baise ennuyeuse, bien qu’il soit le dernier maillon d’une chaîne d’évolution de 5 million d’années, et qu’il ne puise pas laisser ces choses être la pierre d’achoppement qui le tienne en échec.
Il raconta l’histoire d’un jeune homme qui était venu le voir en lui disant qu’il voulait être un guerrier, mais qu’il avait été abusé sexuellement par sa belle-mère. Carlos lui demanda combien de temps avait duré l’abus, et il lui répondit trois ans, de ses 18 ans jusqu’à ses 21 ans. Carlos devint alors très sérieux, et nous raconta l’histoire d’une jeune fille qui avait été abusée, tout d’abord par son plus jeune frère, puis quand le frère aîné l’avait découvert, par les deux, puis lorsque le père s’en était aperçu, par les trois. Cela avait démarré lorsqu’elle avait 11 ans, et avait duré jusqu’à ce qu’elle quitte la maison. Carlos dit qu’en effet, c’était de l’abus, mais que tout ce qu’il pouvait lui dire était ce que don Juan lui avait dit à propos de l’histoire personnelle, de nombreuses années auparavant : « Avant était avant, et maintenant est maintenant, et maintenant il n’y a que de temps que pour la liberté. »
Une question fut posée à propos de perdre la forme humaine. Carlos dit que, pragmatiquement, cela signifiait que l’on perdait tout intérêt pour les choses qui étaient d’un intérêt vital pour l’humanité. Quelqu’un lui avait demandé à u séminaire précédent : « Mais qu’est-ce que je fais si je vois un cul bien galbé ? » Carlos dit que ceux qui se baladent partout en criant : « Qu’est-ce que je vais faire avec ma sexualité ? » sont ceux qui, de toute façon, ne feront rien dans ce sens. Ceux qui ont l’esprit vraiment mal tourné gardent leurs pensées pour eux.
Carlos parla de l’importance personnelle, et de la façon dont nous aimons collecter les souvenirs. Il dit que nous accumulons une incroyable variété de saloperies annexées à nos inventaires personnels – de vieilles lettres, des photographies, même des talons de ticket de spectacles que nous avons vu. Il raconta l’histoire d’un artiste qu’il connaissait, qui s’était pris en photo tous les jours au cours des 40 dernières années. Il tenait également quotidiennement un journal. Cette personne avait déjà légué toutes ses lettres et d’autres effets personnels à différentes institutions qui, d’après lui, les apprécieraient et leur rendraient justice. Il nous pressa de laisser tomber ce genre de choses, de nettoyer nos inventaires personnels.
Un des Argentins lui demanda en espagnol si Carlos pourrait l’envoyer dans la seconde attention. Carlos roula ses yeux, l’air de dire « Nous y revoilà ! » (J’ai pensé – maximisons notre temps avec le Pape !) Il nous dit que la lignée de don Juan croyait que forcer les apprentis à entrer dans la seconde attention via le coup du nagual sur le point d’assemblage était le moyen le plus expéditif pour obtenir leur adhésion à la sorcellerie. Mais que de tels coups laissaient des bosses dans le cocon lumineux, et que tous les membres du clan de don Juan avaient des bosses permanentes dans leurs cocons lumineux à cause du nombre de coups qu’ils avaient reçus. Carlos et son clan ne partageaient plus cette manière de penser, et croyaient que la discipline et l’énergie étaient tout ce qui est nécessaire pour avoir accès à la sorcellerie. Par conséquent, la réponse était non, nous devions accomplir ce voyage par nous-même.
Carlos dit que cela lui avait pris à lui et à son clan, des années pour réparer les bosses qui avaient été faites dans leurs cocons.
A la naissance, le point d’assemblage n’est pas fixé sur la position de l’auto-réflexion. Cela n’arrive que plus tard, avec la socialisation. Ils avaient aussi découvert que l’énergie, à la naissance, est agglomérée au centre du cocon, mais que la vie quotidienne et l’accumulation d’expériences provoquent un déplacement de l’énergie vers la coquille extérieure, formant une espèce de croûte. Plus une personne est âgée et socialisée, plus son énergie est encroûtée sur sa coquille, et plus la fixation du point d’assemblage est forte, la verrouillant dans sa vision du monde. Donc, la Tenségrité, c’est retransformer le cocon en une sphère lumineuse, avec l’énergie au centre et le point d’assemblage sur la position de la naissance.
Puis, j’ai demandé à Castaneda : « Qu’est-ce que ça veut dire quand vous dites que les sorciers font face au temps qui vient ? » Il répliqua que c’était l’un des aspects les plus élégants de la sorcellerie. Cela signifiait que les sorciers faisaient face à l’existence sans aucune supposition a priori, qui vient de la position habituelle du point d’assemblage. Carlos dit que don Juan avait évoqué la métaphore d’un passager dans un train : ordinairement, nous percevons le temps comme quelqu’un assis dans le wagon de queue, voyant défiler les rails. Nous ne voyons que ce qui vient de se passer, et le long défilement des rails (notre passé), s’estompe avec la distance. La sorcellerie nous permet de courir vers l’avant du train, la locomotive, et de voir ce qui arrive vers nous. Le passé est invisible depuis cette position, tout ce qui compte est ce qui se passe maintenant. Cela n’est possible que lorsque nous ne sommes plus du tout concerné par notre histoire personnelle, l’inventaire humain inclus, tel qu’il est définit par la position d’auto-réflexion du point d’assemblage. S’inquiéter pour nous-même nous coûte ce précieux moment nécessaire pour expérimenter tout directement ; l’expérience doit passer par le filtre de notre importance personnelle. Dès que nous portons attention au monde en dehors de nous, le prochain événement est déjà arrivé.
Quelqu’un lui posa une question à propos de la théologie de la nouvelle attitude des sorciers. Il répondit que le groupe de don Juan était parvenu à son but, et vivait dans un endroit où la perception était à 360°. Cependant, nous sommes toujours obligés de faire avec la perception de notre point d’assemblage, même quand nous avons acquis beaucoup de contrôle sur ce que nous percevons. Carlos réitéra que pour les sorciers, il n’y avait pas séparation entre le corps et l’âme, et que lorsqu’un nouveau monde était assemblé, le corps n’en était pas altéré. Aussi, se plaignit-il, où qu’il aille dans l’infini, il était toujours petit. Le problème qu’expérimentait don Juan était qu’il était toujours limité par son équipement perceptuel, et par conséquent, il ne pouvait que simuler une perception à 360°, en tourbillonnant continuellement.
Quelqu’un demanda ce qu’était devenu l’Aigle. Carlos répliqua que l’Aigle était simplement un nom pour une vaste force impersonnelle qui imprègne les choses de conscience, et qui récupère la conscience enrichie quand elles meurent. En d’autres mots, rien n’avait changé en ce qui concernait l’Aigle.
Puis Carlos dit que le nouveau point de vue des sorciers était plus pragmatique que celui de la lignée de don Juan. Ils avaient pris conscience et accepté les limitations imposées par la perception du point d’assemblage, et n’étaient plus intéressés par atteindre un lieu de conscience à 360°. A la place, ils étaient devenus des navigateurs de l’infini. Ils voulaient visiter, d’eux-mêmes, autant de mondes qu’il était possible d’atteindre. De cette façon, ils allaient en effet tromper la mort, et étendre leurs vies indéfiniment, en retenant leur conscience et leur volonté. Le monde des êtres inorganiques était le sas de secours qu’ils allaient emprunter.
Quelqu’un demanda s’il y avait quoi que ce soit que Carlos ou nous puissions faire pour aider don Juan afin de le sortir de cette situation délicate. Carlos dit : « Absolument pas. Si une quelconque aide de ce genre était tentée, don Juan vous cracherait à la figure. Il n’est pas possible d’intervenir dans les décisions personnelles et impeccablement responsables d’un guerrier, particulièrement un guerrier comme don Juan. » De telles idées de vouloir aider ou de ressentir de la compassion n’étaient pas à la hauteur de son expression pure de guerrier.
Carlos fit plusieurs remarques moqueuses sur le fait de centrer notre existence sur jouer de la guitare et fumer de la marijuana. Il dit qu’à un moment, il avait remarqué que la luminosité des fumeurs de marijuana était verte, ce qu’il avait attribué à cette manie. Mais il avait appris qu’à une époque, le vert était la teinte commune de la luminosité humaine. Il nous rappela qu’il avait été étudiant à UCLA dans les années 1960, et qu’il avait été exposé à tous les événements de cette époque. Il dit que cela ne l’avait pas attiré. Il était tout particulièrement dégoûté par le faux mysticisme – « S’habiller en toge, avec des couleurs flashy, et arborer des coiffures bizarres » n’était que pour les charlatans. Il fit observer que les vraies sorcières, elles, étaient brûlées.
Quelqu’un posa une question sur la difficulté de perdre son histoire personnelle dans le monde moderne. Carlos raconta qu’il avait dû aller voir un médecin pour un problème de vue. Le médecin voulait connaître son âge, sa taille, son poids, etc., alors que Carlos voulait juste avoir son opinion. Le médecin lui dit qu’il avait un problème de rétine à cause de la violence de ses orgasmes, mais que le problème se réglerait tout seul avec le temps. Carlos dit qu’il ne pouvait pas dire au médecin qu’en tant que guerrier, il était célibataire depuis des années. Il ne pouvait pas non plus lui dire qu’il avait réalisé que la cause la plus probable de son problème était ses incursions dans l’infini.
Quelqu’un lui rappela alors que son temps était presque écoulé et qu’il nous avait promis de nous parler de son nouveau livre. Carlos évita la question, disant qu’il devait laisser la place aux Chacmools, et qu’une personne de son groupe devait lui planter une aiguille dans le scrotum.
Troisième Jour
Conférence de Taisha Abelar
Taisha se présenta en demandant si les autres guerriers nous avaient avertis à son propos. Elle dit qu’ils l’accusaient de s’être vendue aux êtres inorganiques, et qu’ils employaient souvent les mots ‘diabolique’, ‘malveillante’, et ‘sournoise’ pour se référer à elle. Taisha dit qu’elle aimait changer l’accentuation, et se référer à elle-même en utilisant les mots ‘mystérieuse’, ‘énigmatique’, etc. Elle mit au défit l’audience de proposer d’autres mots appropriés. Personne ne répondit. Tandis qu’elle parlait, plusieurs des lumières de l’auditorium s’estompèrent et d’autres s’allumèrent derrière elle.
Taisha était très similaire à Florinda, en ce qui concernait la stature, très mince et bien faite, peut-être la cinquantaine, mais très vive. Cependant, elle était beaucoup plus grande. Ses cheveux étaient encore bruns dorés, mais coupés très courts, comme toutes les sorcières sauf Carol. Elle avait également un sourire vif et malicieux, et semblait être la plus accessible du groupe – plusieurs fois entre les sessions, on pouvait la voir au centre de l’assistance.
Elle nous dit que ses deux alliés étaient avec elle, et qu’elle les appelait Phoebus et Globus. Elle expliqua que les êtres inorganiques ne sont pas effrayants du tout, en fait ils sont des sources débordantes de l’affection abstraite que les sorciers recherchent, et ils sont donc beaucoup plus proches des animaux domestiques que quoi que ce soit d’autre.
Taisha raconta à nouveau l’histoire de sa première rencontre avec un allié. Elle était dans son lit, dans la maison des sorciers au Mexique, lorsqu’elle fut réveillée par d’étranges bruits provenant de derrière la porte. Elle les attribua à la tentative de don Juan de l’effrayer et retourna se coucher. Le jour suivant, elle en parla à don Juan, et il lui dit que les êtres inorganiques en avaient après elle. Taisha demanda très effrayée ce qu’elle pouvait faire pour se protéger. Don Juan lui dit que sa précédente réponse était probablement la meilleure, de simplement ne pas faire attention à eux. Mais, elle fut incapable d’agir de la même façon durant leurs visites ultérieures, alors don Juan lui dit qu’il n’y avait aucun espoir pour elle, les êtres inorganiques avaient pris la décision de la prendre.
La seule chose qu’elle pouvait faire était de se confronter directement à l’être inorganique, de lutter avec lui, et de ne pas le laisser s’enfuir, à n’importe quel prix. Une nuit, l’allié entra en force. Taisha dit qu’elle pouvait voir le contour de la porte imprégné d’une lumière étrange, puis la porte avait commencé à se bomber vers l’intérieur, comme si une énorme force était en train de s’appuyer dessus. L’allié entra dans la pièce, et elle l’attrapa, mais pas de la manière dont on pourrait se l’imaginer – il y avait juste une espèce de connexion tangible, délibérée. Taisha dit que la seule chose avec laquelle elle pouvait décrire le contact de l’allié était une sorte d’électricité liquide. Elle parvint à dompter l’allié, qui était un des deux alliés en permanence avec elle.
Taisha indiqua que tous les subterfuges et les difficultés dont Carlos avait fait l’expérience dans sa relation avec ce royaume étaient dus au fait qu’il était un homme. L’Univers est un endroit à prédominance femelle, ainsi les êtres inorganiques sont plutôt indifférents aux femmes. Celles-ci peuvent aller et venir à volonté dans leur monde. Taisha dit que les alliés nous aimaient parce que nous vivions plus rapidement qu’eux. Pour tout un tas de buts pratiques, les êtres inorganiques vivent indéfiniment, de l’ordre de millions de nos années. Ils connaissent notre problème avec les flyers et la mort, et veulent nous aider, mais ils ne peuvent pas vaincre le pouvoir de notre première attention, la position habituelle du point d’assemblage. Aussi, l’homme ordinaire ne peut les voir qu’en rêve. Elle remarqua que les alliés essayaient souvent d’annoncer leur présence quand elle parlait durant les séminaires, en affectant la sono ou les lumières. (Elle semblait sincèrement inconsciente qu’ils l’avaient déjà fait.) Par conséquent, cela dépend de nous de traverser l’écart qui existait entre nos deux mondes.
Taisha s’ouvrit aux questions, et suggéra qu’elle nous parle de certaines techniques pour appeler les êtres inorganiques. Quelqu’un demanda si les alliés l’avaient déjà emmené dans un autre monde alors qu’elle était dans son état de conscience normal. Taisha répondit que cela était en effet possible, et que l’on pouvait sentir l’allié entrer dans le système nerveux central, à la base de la colonne vertébrale, et le sentir ‘ramper’ vers le haut. L’allié vous transportait alors physiquement où vous vouliez.
Quelqu’un demanda à quoi ressemblait les êtres inorganiques – Taisha donna une description similaire à celle de Carlos faite dans L’Art de Rêver. Ils ont soit la forme d’une cloche, soit d’une bougie, soit celle d’une flamme.
Quelqu’un demanda si les êtres inorganiques, étant des êtres femelles, et vivant si longtemps, se reproduisaient ? Taisha sourit à la question, et dit : « Je ne sais pas, je vais leur demander. » Elle sembla alors se concentrer intérieurement sur la question pendant quelques secondes, sourit, et dit qu’ils lui avaient dit que bien qu’ils soient capables de se reproduire, cela faisait des éternités qu’ils ne l’avaient pas fait, donc dans un objectif purement pratique, la réponse était non.
Quelqu’un rappela à Taisha qu’elle avait dit qu’elle pourrait nous donner certaines techniques pour appeler les êtres inorganiques. Elle nous décocha un sourire malicieux, comme pour dire : « Ah, je croyais que vous n’alliez jamais demander ! » Puis elle nous parla de plusieurs façons pour accomplir cela. La première méthode nécessitait l’utilisation d’un bâton (de la forme d’un manche à balais). En position assise, on pose le front sur celui-ci – il est de la longueur appropriée selon que vous préférez vous asseoir sur une chaise ou sur le sol. Elle dit qu’une petite pièce de cuir ou n’importe quel rembourrage pouvait être utilisé pour vous éviter de vous promener avec une marque sur le front. Puis on intentionne la présence d’un être inorganique.
La seconde méthode consistait à tirer avantage du crépuscule. C’est le moment où les êtres inorganiques sont le plus susceptibles de se faire connaître de nous, par des hululements de chouette et des sifflements. Taisha raconta que les sorciers du groupe de don Juan lui avait conseillé de ne jamais siffler au crépuscule, mais c’est bien sûr ce qu’elle avait fait, car elle ne partageait pas leur aversion pour les alliés. Siffler ou faire des bruits étranges à ce moment de la journée attire l’attention des alliés.
La troisième méthode nécessitait l’utilisation d’allumettes. L’idée est de craquer une allumette, et de contempler sa flamme. Quand l’allumette est brûlée jusqu’à la moitié environ, on humidifie les doigts avec de la salive et on attrape le bout brûlé de l’allumette, on la retourne afin qu’elle brûle complètement. A ce moment là, la flamme devient bleue et regarder au travers de la flamme appelle un allié.
Puis Taisha nous exhorta à ne pas être peiné par notre relatif manque de chance de ne pas être dans le groupe du nagual. Elle dit que le monde des sorciers ne connaissait pas de favoritisme, que cela dépendait de chacun, du plus accompli des naguals au novice le plus inexpérimenté, de saisir chaque moment et d’optimiser chaque opportunité. Elle nous dit que nous devions être audacieux et courageux, comme des bandits, enthousiaste et capable de bondir sur toutes les opportunités qui se présentaient. Taisha dit que lorsqu’elle était jeune, c’était son habitude de pisser sur ses opportunités, de les prendre comme allant de soit – elle nous rappela ce qu’aimait dire don Juan à propos de l’oiseau de la liberté volant en ligne droite. Soit on se cramponne à l’oiseau de la liberté, soit il part pour toujours.
Ensuite, elle se tourna vers les Chacmools. Celles-ci nous apprirent une nouvelle passe : L’Être de la Terre. Cette passe imite une créature qui creuse un terrier, comme une marmotte ou un chien de prairie. On accompagne les mouvements de l’expression du visage de l’animal et de petits bruits qui ressemblent à des aboiements, et qui nous donnent l’air un peu idiot. Kylie remarqua que c’était super pour perdre l’importance personnelle.
Comme si c’était un accord du monde, j’eus une expérience intéressante, alors que nous faisions une pause pour boire un peu. J’étais le troisième ou quatrième dans une queue de huit guerriers assoiffés, patientant pour avoir de l’eau fraîche. Arriva un type avec une bouteille d’eau vide, qui alla directement au début de la queue, remplit sa bouteille et repartit. J’étais stupéfait par l’irritante détermination de l’homme mais presque instantanément je réalisai que c’était de l’importance personnelle de se soucier de ça. Et même si je ne me sentais pas offensé, je le fixai tout de même pendant quelques secondes, me demandant comment une personne si suffisante pouvait se trouvait en la présence de vrais initiés (nous). Je réalisai que nous avions tous une longue route à parcourir, moi inclus.
Conférence des Chacmools : Session de questions-réponses
Après le déjeuner, Carol et Florinda montèrent sur scène très brièvement. Les yeux de Carol étaient absolument bleus. Elles nous remercièrent de notre présence et de notre attention. Carol approfondit le fait que lui avoir permit de nous raconter ses histoires l’avait aidé à se souvenir. Puis elles ouvrirent une session de question-réponse.
L’origine des passes fut évoquée. On nous dit que Carlos avait trouvées les passes en rêvant, et qu’elles avaient ensuite été apprises et parfois adaptées par les Chacmools. Chaque groupe de passes devait être pratiqué comme un groupe et dans le même ordre qu’elles avaient été enseignées. On nous recommanda de faire les passes quatre à six fois chacune, et à la vitesse qui était pour nous la plus confortable.
Quelqu’un demanda si les Chacmools allaient quitter ce monde avec le clan de Carlos. Kylie répondit qu’elles le feraient ou qu’elles mourraient dans leur tentative. Elles avaient déposées leur vie dans cette lignée avec leur décision de rejoindre le groupe de Carlos. Elles réitérèrent que c’était un paradoxe apparent de dire que l’infini devait être affronté seul, mais seulement parce que nous ne réalisons pas que nous avons toujours été dans cet état et que nous le serons toujours.
Quelqu’un dit qu’il avait entendu dire que les passes ne devaient pas être pratiquées pieds nus. Kylie dit que les sorciers n’aimaient pas que leurs pieds soient nus, parce que les pieds sont le principal point de contact avec le sol, et donc la source possible d’influences énergétiques indésirables.
On demanda si on pouvait enseigner les enseigner les passes à d’autres personnes. Elles répondirent que bien que les passes ne soient plus liées au secret, elles ne le recommandaient pas. Car une grande part de l’instruction était donnée directement au corps d’énergie, et seul quelqu’un d’aligné avec l’intention des passes comme elles l’étaient, pouvait donner correctement cette instruction.
Puis Kylie commença à parler de l’importance personnelle, et comment elle était en relation avec le syndrome du ‘pauvre de moi’. Elles insistèrent sur le fait qu’il était insensé d’être jaloux ou envieux de leur chance d’avoir été acceptées dans le clan de Carlos. La sorcellerie était disponible pour nous tous, et le premier pas que nous devions faire était de récapituler et de faire de la Tenségrité. Chacun de nous devait décider si il voulait vraiment devenir un navigateur, ou bien vivre dans un monde où les actions des gens étaient toujours offensantes – où nous pouvions nous plaindre que quelqu’un soit injuste, plus riche, plus beau, ou plus chanceux ; où nous pouvions dire : « Regarde ce connard – il coupe la queue. » En disant cela, Kylie me regarda directement. Son regard était féroce mais détaché, ses yeux semblaient anormalement larges. La seule chose à laquelle je pourrais comparer cela serait la fois où mes yeux ont croisé le regard d’un tigre du Bengale au cirque. Je sentis que son commentaire m’était directement adressé, en référence à l’incident qui avait eu lieu précédemment.
Quelqu’un demanda si les passes qui avaient enseignées aux autres séminaires seraient à nouveau montrées, et comment nous devions nous arranger avec le fait d’oublier certains mouvements. Nyei dit que nous devions regarder les vidéos et pratiquer. Kylie répliqua que nous devions avoir l’intention de nous souvenir – il était important de ne pas abandonner parce que nous étions coincés à un certain endroit de la passe. Nos corps d’énergie savaient, et la connaissance reviendrait à nous en temps voulu. Durant la conversation, Nyei fit inconsciemment un des mouvements de L’Être de la Terre. Cela, accompagné de son léger (mais très joli) bec-de-lièvre la fit ressembler à l’incarnation humaine d’une marmotte. Tout le monde ria.
Nous fîmes une pause. Je rattrapai Nyei pour lui demander si elle avait voulu dire par là que les prochains séminaires correspondraient aux passes des vidéos. Elle dit que dans une certaine mesure, c’était possible, mais que d’ici là les passes auraient évolué.
Nous apprîmes la dernière passe, L’Être des Airs. Cette passe reproduisait un oiseau en vol, du décollage jusqu’à l’atterrissage. Nous revîmes toutes les passes, et ajoutâmes parfois le mot ‘intention’ sur certaines, lorsque Carlos pensait que cela était nécessaire pour augmenter le pouvoir des passes. Je peux seulement dire que j’ai senti beaucoup d’énergie quand nous avons tous simultanément appelé à voix haute l’intention. On nous dit que la partie Tenségrité du séminaire était terminée, et que cette après-midi, il y aurait des chaises pour la conférence !
Conférence de Carlos Castaneda
Tout le monde déménagea des environs de la scène, et des chaises furent installées comme promis. Les deux premières rangées étaient réservées aux membres du clan de Carlos, les membres de Cleargreen (ce qui est la même chose). Ils entrèrent tous ensemble, et Carlos, habillé pour la première fois d’un costume, monta sur scène.
Il commença en disant qu’il y a très longtemps, avant l’Histoire, des hommes avaient découvert de nombreuses vérités à propos de la nature de la conscience. Ces praticiens, avec le temps, étaient devenus les gens que nous appelons les anciens sorciers. Ils avaient vu que l’homme possède une différence fondamentale dans sa coquille lumineuse, par rapport à toutes les autres choses vivant sur Terre. C’est une brillance, une sorte d’enveloppe super brillante, superposée à la brillance de la coquille lumineuse. Les anciens sorciers avaient découvert que plus cette brillance était lumineuse et omniprésente, plus était grande leur habileté à manier la conscience. Bientôt, ils avaient été capables d’accomplir de véritables prodiges.
Malheureusement, ils avaient fait l’erreur de s’en vanter. Ils annoncèrent leur présence à l’Univers, un peu comme Jack Horner, disant : « Oh quel bon garçon je suis ! »
Ce dont ils n’étaient pas conscients, c’est que nous ne sommes pas les seuls dans la place. En fait, il y a des entités, là dehors, dans l’immensité, qui se nourrissent justement de la brillance que possèdent les êtres humains. Certaines de ces entités, les flyers, remarquèrent les anciens sorciers et les prirent pour proie. Cette prédation continue aujourd’hui encore. La forme que cela prend, est que toute la couche de conscience est mangée, à part une petite bande située au pied de la coquille lumineuse. C’est précisément cette zone qui est favorable à l’auto-réflexion, et donc à l’importance personnelle.
De cette manière, nous sommes en effet élevés par les flyers. Les sorciers plaisantent sur le fait que nous sommes gardés comme des poulets dans un poulailler. D’après les sorciers, chaque idée, chaque religion, chaque sentiment de nationalisme, chaque affirmation artistique nous est accordé ou est permise par les flyers, car cela nous maintient dans un état d’occupation, en train de marchander dans notre poulailler, au travers de la sexualité, de la politique, de la domination matérielle, ce qui leur facilite grandement le boulot. Avec de la chance, ou du talent, ou les deux, un poulet peut bien sûr s’échapper de sa détention. Mais les flyers on la même philosophie qu’aurait un éleveur de poulet – ça ne vaut pas la peine de le pourchasser, de toute façon le chat l’attrapera.
Et ceci est malheureusement vrai, car après tout, nous vivons dans un Univers prédateur. Mais les sorciers ont une échappatoire. La discipline, la discipline du guerrier rend la brillance de conscience immangeable pour les flyers ; Ainsi, libre de la prédation, la couche de brillance peut se reformer à mesure que le chemin du guerrier est suivit. Jusqu’à ce que finalement, lorsqu’elle recouvre complètement la coquille lumineuse, on soit capable de rechercher la liberté.
Don Juan savait cela, mais il avait peur des êtres inorganiques, et écarta tout le gros de la connaissance des sorciers qui, d’après lui, menait inévitablement à être emprisonné dans ce monde. A la place, il choisit ce qui était la tendance des nouveaux voyants, de brûler du feu du dedans, et d’aller dans le monde à 360°. Ironiquement, c’est là qu’il est piégé aujourd’hui.
Carlos, en revanche, aimait le monde des êtres inorganiques, et il aimait le Défieur de la mort. Carlos raconta à nouveau comment le Défieur de la mort avait trompé les êtres inorganiques en devenant une femme. Il dit aussi qu’étant le dernier nagual de la lignée de don Juan, le Défieur de la mort n’était plus dans la possibilité de rester ici, sur Terre, et avait par conséquent lié son destin à celui du clan de Carlos. Lorsqu’ils quitteraient ce monde, il partirait avec eux. Et Carlos approfondit ce point, en disant que c’était, dans une large mesure, à cause de l’injonction du Défieur de la mort que les passes magiques étaient montrées. Celui-ci savait qu’il ne reviendrait jamais dans ce monde, et à moins que son immense connaissance soit partagée maintenant, elle serait perdue. En paiement de la vie extraordinaire qu’il avait menée, il souhaitait se défaire de cette connaissance.
« L’ouverture » de la sorcellerie était le résultat de l’intention du Défieur de la mort. Ce que Carlos et ses compagnes avaient appris, est que le monde des êtres inorganiques est l’entrée dans l’infini, et que là, la mort peut y être tenue à distance avec succès. Cela deviendrait pour eux une base pour leur navigation dans l’infini.
Carlos raconta comment il avait tourmenté don Juan avec son besoin de comprendre les processus de la sorcellerie avant de pouvoir espérer les utiliser. Don Juan avait ri et avait demandé à Carlos de lui dire quelque chose qu’il savait être absolument véridique. Carlos avait réfléchi, puis avait répondu : « Je sais que 2 et 2 font toujours 4. » Don Juan répondit qu’il en était ainsi, encore que Carlos n’ait aucune idée de ce qu’était 2, ou 4, à part des propositions qui néanmoins pouvaient être appliquées au monde réel. Carlos ne pouvait pas non plus dire qu’il comprenait le processus de l’adition, bien qu’il puisse le manipuler de façon mécanique, et obtenir des résultas vérifiables. Les pratiques de sorcellerie fonctionnent de la même manière, elles sont tout aussi abstraites et insondables, bien qu’elles donnent les mêmes résultats à chaque fois. Aussi, nous devons récapituler et faire de la Tenségrité, sans trop nous soucier de comprendre leur fonctionnement. Carlos répéta que les idéaux exaltés de l’homme étaient en fait des manipulations des flyers.
Il raconta qu’une fois, il avait rencontré Alan Watts. Celui-ci l’avait invité chez lui, et Carlos pensait avoir avec lui une merveilleuse discussion. Au lieu de cela, Watts lui avait demandé s’il avait déjà couché avec un homme et s’il voulait monter avec lui à l’étage. Carlos essaya de ne pas se sentir offensé, et changea de sujet. Il dit à Watts qu’il avait toujours adoré sa vision sur le rapprochement entre l’orient et l’occident, et que plus jeune, il avait une fois fait du stop sur des centaines de kilomètres pour assister à une de ses conférences. A cet instant, Watts s’effondra en larmes, en disant que son cruel destin était d’avoir de merveilleuses idées mais de ne pas être capable de les appliquer dans le monde réel. Puis, au milieu des larmes, il dit : « Vous êtes sûr que vous ne voulez pas aller à l’étage ? »
Ensuite, Carlos nous invita à poser des questions. Quelqu’un dit qu’il avait entendu dire que Carlos avait parlé de six naguals qu’il connaissait, et lui demanda comment il pouvait reconnaître les vrais des faux naguals. Carlos dit qu’il n’avait dit de chose pareille, et qu’en fait il n’avait connu qu’un seul autre nagual, un riche Mexicain qui avait concurru pour l’investiture de président au Mexique. Il était mort d’une attaque en campagne, au cours d’un discours. Carlos dit qu’il avait été contacté par les membres du clan du nagual, qui lui avaient demandé ce qu’ils devaient faire maintenant. Il leur avait dit de récapituler et de perdre leur importance personnelle.
Quelqu’un demanda si la Terre était un être sensible. Carlos répondit que c’est ce que lui avait dit son maître.
Quelqu’un demanda quelle chance nous avions sans nagual. Carlos dit que le nagual était seulement quelqu’un avec un extra d’énergie qui lui permettait de guider. Il réitéra que le pouvoir personnel est tout ce qui compte, et que nous en avons tous une quantité finie. Par conséquent, chacun d’entre nous possèdent déjà toutes les ressources nécessaires pour accéder à la sorcellerie. La fonction du nagual est de nous montrer son combat, et de nous exposer à l’affection abstraite. Il ne peut guider qu’en étant un exemple. Le reste dépend et dépendra toujours de nous.
Carlos nous raconta que don Juan lui avait dit une fois que les naguals tenaient un carnet, un carnet dans lequel ils gardaient les événements importants de leur vie. Il dit à Carlos qu’il était temps pour lui de commencer à écrire son propre carnet, et demanda à Carlos d’essayer de se souvenir d’une histoire pertinente. Carlos ne trouva rien – tous les supposés événements importants de sa vie, comme avoir été accepté à UCLA, ne lui semblait plus du tout important. Il le dit à don Juan, qui ria et dit qu’il ne parlait pas d’histoires qui reflétaient son histoire personnelle, mais celles qui étaient des histoires de l’Esprit. Cela rappela à Carlos une histoire qui parlait d’une prostituée en Italie.
Carlos raconta qu’il avait été étudiant en art dans sa jeunesse, et avait étudié à Milan. Il avait un ami qui était un célèbre queutard, et la coqueluche de tous les bordels italiens. Il avait l’habitude de régaler Carlos avec les histoires de ses aventures sexuelles, et invitait tout le temps Carlos, mais Carlos refusait toujours. Cependant, à une occasion, il ne put s’y refusé ; son ami déclarait avoir trouvé le plus beau cul de tous les temps, et ne pourrait pas survivre si Carlos n’en faisait pas lui-même l’expérience. Finalement, plus pour se débarrasser de lui, Carlos accepta. Son ami l’emmena dans un bordel d’allure ordinaire, et le présenta à la mère maquerelle. Carlos fut emmené dans une chambre, et on lui dit que la fille allait bientôt le rejoindre. Quelques minutes plus tard, une vieille femme simple entra et dit : « Ah, je devine que tu es venu pour voir mes figures devant le miroir. » Carlos supposa que oui. La prostituée mit alors un disque dans le phonographe, qui joua un air qui provoqua chez Carlos une indescriptible nostalgie. Ensuite la femme commença à se déshabiller devant le miroir et ce fut tout.
Don Juan disait que c’était une histoire parfaite pour le carnet de Carlos, car c’était une véritable indication de l’Esprit. En effet, c’est ce à quoi finissait par ressembler la vie dans le monde de l’auto-réflexion, juste des figures en face d’un miroir.
Carlos et son clan nous firent alors leurs adieux.
Culver City, Los Angeles - 1995
Premier Jour
Nous étions assis en tailleur sur le parquet entourant une scène de 10 m2, située au milieu de la pièce, depuis environ une heure. Tout autour, de vieilles connaissances se retrouvaient, tandis que j’essayais de ne pas fixer mon attention sur les jolies nanas. Finalement, un homme, assez grand qui portait des lunettes, monta sur scène et bidouilla un micro sans fil. Il nous souhaita à tous la bienvenue, nous fit la présentation commerciale de la seconde vidéo, puis s’en alla.
Quelques minutes plus tard, un groupe franchit la porte située à l’extrême gauche de la salle et tout le monde se leva pour applaudir. (Cela se passera ainsi à chaque entrée et sortie pour chaque conférence.)
Ce n’est que lorsque Carlos monta sur scène que je pus enfin le voir, car il fait tout au plus 1m60. C’est un Latino à la peau brune (il a certainement du sang indien), en fait il est Argentin. Carlos semblait avoir 60 ans, mais il était plein de vie et très animé. Il ponctuait chacune de ses phrases avec des gestes fluides et élégants. Ses cheveux coupés très courts étaient gris, presque blancs. L’anglais est sans aucun doute sa seconde langue, chose dont je ne me serais jamais douté en lisant ses livres. Il articulait bien mais parlait avec un accent distinct. Il avait un regard de traqueur – il relevait constamment les détails des expressions et du langage corporel de ceux qui l’entouraient, ne détournant jamais son regard pendant plus d’une ou deux secondes. Il avait une attitude vraiment charmante et un sourire séduisant, encore que les quelques fois où ses yeux sont entrés en contact avec les miens, son regard était très pénétrant et pourtant détaché, comme celui d’un oiseau de proie. Banal, mais authentique.
Carlos commença par déclarer que les passes de sorcellerie que nous allions apprendre avaient été découvertes par des hommes, des milliers d’années auparavant. Don Juan lui avait dit que c’était de l’ordre d’environ 10 000 ans. Carlos avait toujours eu des difficultés pour concilier cela avec sa formation archéologique. Il signala qu’une partie importante du chemin du guerrier était de traverser le monde sans laisser de trace, et qu’il était donc impossible de prouver l’existence de don Juan lui-même – il sentait que nous pourrions en déduire que les tous premiers « anciens sorciers » remontaient en fait au temps des nomades, de la pré agriculture, ainsi le cadre temporel de don Juan était exacte.
Ensuite, Carlos dit à nouveau que nous ne devions pas prendre de notes. Ce que nous allions faire ici, c’était redéployer de l’énergie, et la pleine participation de chacun était essentielle. Il dit que les Chacmool allaient s’adresser directement à nos corps d’énergie, tout comme lui, et que nos corps allaient aimer cela, que cela nous rapporterait bien plus.
Depuis que les Chacmools sont arrivées dans son groupe, et les ont tous ‘ré-énergisés’, Carlos en a déduit que le secret et les rituels qui avaient historiquement accompagnés les passes étaient une perte de temps. L’énergie est tout ce qui compte. Les passes rassemblent et redistribuent l’énergie. Il n’est pas nécessaire de comprendre comment ça marche, ou de croire que ça marche – il faut juste les pratiquer, c’est tout. Il dit que lorsqu’il avait confronté don Juan à ce problème, celui-ci lui avait donné la même réponse – « Donne moi satisfaction », avait-il dit. Carlos nous demanda de faire la même chose.
Carlos mima la façon dont il avait l’habitude de prendre des notes dans la poche de son coupe-vent, sur un petit bloc-notes plein de pages. Don Juan lui demanda une fois s’il était en train de jouer avec son machin, car son stylo et le mouvement de sa main faisaient penser à ça. Quand Carlos expliqua ce qu’il était en train de faire, don Juan lui dit que si il était sur le point de perdre son temps dans ce genre de petites masturbations, il devrait plutôt le faire pour de bon.
A la question de savoir pourquoi Carlos avait ouvert la sorcellerie au monde, il nous invita à inventer une raison, comme si c’était juste une autre petite masturbation – « Les croyances et les choses raisonnables ne comptent pas dans le monde des sorciers, seules comptent les actions. »
Carlos indiqua qu’il avait été un membre instruit de l’académie avant de devenir un sorcier. La somme totale de toute la religion et de la philosophie académiques semblait être pour lui équivalente à : « La vie est une salope et puis t’es mort. » Il trouvait cette proposition odieuse, et continua à chercher des gourous, même après avoir été impliqué dans le monde de don Juan. Comme il le souligna, il est difficile de devenir un navigateur de l’infini. Et pas avec l’âme ou l’esprit, des termes qui n’ont aucune signification pour les sorciers, mais avec tout ce que nous sommes, le corps et le reste.
Carlos avait demandé cela à don Juan – « Est-ce que la sorcellerie est le seul chemin de connaissance ? » Don Juan indiqua que Carlos était le dernier maillon d’une longue chaîne d’évolution, ce qui l’avait placé devant la porte de la sorcellerie. Il dit que bien qu’il soit en effet possible que Carlos puisse être capable de chercher une voie alternative de connaissance avant que la mort ne le trouve, cela lui semblait être une perte de temps et d’énergie très risquée, puisqu’il se tenait déjà devant la porte de la sorcellerie. « C’est ainsi que nous sommes », dit Carlos. Et tout comme don Juan l’avait fait pour lui, il nous invita à passer cette porte, afin de devenir, nous-même, des navigateurs de l’infini.
Carlos raconta alors ses rencontres avec plusieurs hommes sages ou saints.
1) Baba Maha rishi, un sage indien, était interviewé par un magasine au moment où Carlos lui fut présenté. Ils devaient parlé via un interprète, et cette situation embarrassante réduisit Carlos à dire des lieux communs, comme « Alors, depuis combien de temps êtes-vous aux Etats-Unis ? » ; « Est-ce que ça vous plaît ? », etc. une conversation absolument fade. Carlos fut stupéfait que la retranscription de cette « rencontre de deux grands hommes » soit publiée en fanfare.
Il mentionna également une interview radio qu’il avait donné à une émission de la West Coast Radio, où l’animateur ne l’avait manifestement pas pris au sérieux. Donc, comme il est demandé dans l’art de traquer, Carlos ne le prit pas non plus au sérieux, en racontant des conneries quand l’autre le faisait – la folie contrôlée. Ce ne fut que plus tard qu’il réalisa que l’interview avait été tapée et vendue à Esalen et à d’autres. Il indiqua le danger inhérent de faire des acomptes de seconde main, et insista à nouveau sur l’importance d’une participation active.
2) Timothy Leary – Carlos demanda à Leary ce qu’il nous avait ramené de ses 500 et quelques trips dans le ‘no man’s land’. La réponse de Leary fut de demander à Castaneda de quel signe il était. Il accusa Castaneda d’être un capricorne et un fanatique des structures. Carlos tourna en ridicule l’enthousiasme habituel de Leary pour les ordinateurs, particulièrement l’intelligence artificielle. Carlos maintint qu’il n’y avait aucun moyen qu’une machine géante et miraculeusement rapide puisse jamais incorporer la conscience humaine. Il utilisa l’exemple d’une prothèse de main, et indiqua que dans un simple mouvement de chair et de sang, l’algorithme venait de la vaste complexité de l’organisation de la matière en cellules vivantes, l’organisation des cellules en tissus et en organes, et le suprême mystère de la conscience qui pouvait diriger le mouvement ; comment cela se produisait, par rapport à la relative simplicité d’un mouvement. L’ « erreur mécanique » de l’homme était de passer de quelques trucs simples, comme des écrous et des boulons, des barres de fer, et du latex couleur chair, à la relative complexité d’un mouvement artificiel de la main, et dire que c’était aussi bien que l’original. Il réprimanda la croyance de Leary consistant à penser qu’il pouvait être maintenu en vie avec la cryogénie jusqu’à ce que la technologie puisse le ramener à la vie.
3) Le Pape – Carlos eut une audience semi-privée avec le Pape. Dans l’aire de réception, le Pontife le béni et lui demanda : « Que fais-tu mon fils ? » Carlos resta muet et ne put pas répondre, car après tout, dit-il, la dernière chose qu’il voulait faire était de mentir au Pape. L’homme qui vint après lui n’eut pas de problème quant à lui. Il dit au Pape qu’il tenait un magasin de livres d’occasion, et lui demanda de le bénir. Carlos observa qu’il avait maximisé son temps avec le Pape.
4) Un maître en Inde – Carlos lui posa une question sur l’énergie, et il lui répondit que les femmes n’avaient pas été crées par Dieu, mais étaient des êtres inférieurs, en vertu du trou qu’elles avaient entre leurs jambes. Lorsque l’énergie mâle voulait s’unir à l’énergie femelle, elle devait se rabaisser à travers le sexe. Carlos parodia la consciencieuse prise de notes en présence du gourou, et s’émerveilla de voir que les plus attentifs et les plus fervents preneurs de notes étaient des femmes.
5) Un praticien chinois – Un ami psychiatre emmena Carlos pour voir un homme « ruisselant de Chi ». En arrivant, on dit à Carlos qu’il n’était pas habilité à entrer par la porte principale, et qu’il devait utiliser l’entrée de service des serviteurs. Carlos et son ami acquiescèrent, mais lorsqu’ils arrivèrent derrière, ils furent accueillis par un homme large et féroce, qui dégringola promptement les escaliers pour venir à leur rencontre et roula jusqu’à leurs pieds. L’ami de Carlos proposa de fuir, car il ne voulait pas être un « témoin matériel ». Carlos ne le voulant pas non plus, ils déguerpirent.
Carlos parla ensuite de l’importance personnelle, à quel point elle est évidente dans la vie de tous les jours. Il indiqua que ce qui passe pour une discussion, ce sont seulement deux personnes, chacune attendant que l’autre cesse son stupide monologue afin que son propre brio verbal puisse enfin briller. Il railla la psychiatrie, qui consiste à payer des gens très cher pour vous écouter parler de vous. Il dit que ce qui est appelé la « guérison » se produit quand vous-même êtes fatigué de vous entendre.
Carlos fit ensuite plusieurs références indirectes aux entités mangeuses de conscience appelées les flyers, qui ne peuvent être évitées qu’au travers de la discipline. Il dit qu’ils perdent vite tout appétit pour la conscience disciplinée. Les Chacmools allaient nous aider à apporter un peu de cette discipline dans notre vie, et il nous invita à les prendre comme de purs exemples d’une telle discipline.
Les Chacmools prirent alors la relèvent, avec Kylie comme leader évident, comme dans la vidéo. Elle occupa le centre de la scène, tandis que Reni et Nyei se dirigèrent vers de plus petites scènes à chaque coin de la pièce. J’allai vers l’endroit où se trouvait Nyei. (Après la session, elles changèrent de scènes, chacune enseignant différentes passes depuis le centre, les autres assistant depuis les deux autres coins de la pièce. De cette façon, même si la plupart des gens restaient plus ou moins au même endroit durant les trois jours, nous avons tous eu une interaction avec chacun des Chacmools.)
Elles portaient toutes des micros sans fil, et étaient habillées exactement de la même façon, comme pour chaque session, bien qu’elles portèrent une couleur différente à chaque fois. Comme disait le grand chansonnier texan, Robert Earl Keen, je ne suis « aucun type de danseur », ce fut donc avec une certaine excitation que j’attendis l’instruction. Je m’imaginais qu’on allait me demander de faire le grand écart ou d’autres mouvements douloureux de gymnastique, mais ce ne fut pas le cas, pour aucun des mouvements. La seule condition nécessaire pour chaque passe était d’être concentré.
La première passe que nous apprîmes s’appelait Redéployer l’énergie vers le centre de l’action soutenue. Nous l’avons pratiquée jusqu’à ce que nous puissions la faire sans l’aide des Chacmools. Nous avons ensuite été appelés par la nuit. Je suis retourné à l’hôtel, et bien que j’aurais dû être épuisé, je me sentais étrangement plein d’énergie.
Deuxième jour
Conférence de Carol Tiggs
Carol Tiggs, la femme nagual, monta sur scène à 9h30 le matin suivant. C’était une belle femme, bien faite, avec des cheveux et des yeux noirs. Elle semblait avoir 40 ans, bien qu’étant une contemporaine de Carlos et des autres, elle aurait du avoir 10 ans de plus. Elle nous parla d’elle, de lorsqu’elle était plus jeune, et que don Juan était encore là – comment elle zozotait, etc., comme cela est raconté dans L’Art de Rêver.
Elle était la seule des guerriers femmes à porter une jupe, et elle plaisanta sur le fait qu’elle ne s’habituait toujours pas à être sur scène, et voulait être sûr que tout ce que nous pourrions voir était ses genoux.
Carol continua là où L’Art de Rêver s’était arrêté, et nous raconta sa propre rencontre avec le Défieur de la mort. Apparemment, cela eut lieu dans la même église que la rencontre avec Carlos. Carol entra dans l’église, et l’obscurité soudaine la fit trébucher sur une marche. Durant ce petit moment d’embarras, elle fut saisie par une main glacée, tandis qu’une voix rauque lui dit : « Carol Tiggs, c’est un plaisir de finalement vous rencontrer. Cela fait longtemps que je vous cherche. » Carol dit que l’utilisation de son nom complet par le Défieur de la mort avait apaisée son intenable terreur, car elle sentait que c’était un signe du respect qu’elle pensait mériter. Carol était toujours très effrayée, et ne voulait même pas regarder le Défieur de la mort.
Celui-ci lui dit qu’il n’y avait pas de quoi être effrayé, et qu’elle était « complètement femme. » Elle attrapa la main de Carol, et la posa sur sa forte poitrine. Carol était effarée, et dit au Défieur de la mort d’arrêter avant que des gens les voient dans l’église. Le Défieur de la mort lui expliqua qu’il n’y avait aucune raison de s’inquiéter, qu’elles étaient dans un rêve et que ces gens n’existaient pas – seules elle et Carol existaient. Le Défieur de la mort offrit alors à Carol de faire un marché pour avoir un peu de son énergie. Tout comme Carlos, Carol n’agit absolument pas comme une femme d’affaire astucieuse, et en gros acquiesça à tout ce que désirait le Défieur de la mort. Le Défieur de la mort offrit de lui montrer la « Mer de la Conscience », et Carol, espérant faire un genre d’escapade vers une plage cosmique, acquiesça. A la place de ça, elle eut un aperçu fugace de quelque chose d’indescriptible. Puis elle ressentie une lourdeur dans les jambes, et une douleur dans le pied. Elle était à Tucson, loin du Mexique où elle avait rencontré le Défieur de la mort. Elle trouva un journal, et découvrit que 10 ans s’était écoulés depuis l’instant où elle était partie.
Carol nous dit qu’elle n’était même plus sûr d’être la même Carol Tiggs qui était partie ce jour là, ou une Carol Tiggs possédée par le Défieur de la mort, ou un étrange amalgame des deux. Elle essayait encore, même par l’acte de nous raconter ses « contes d’énergie », de retrouver la mémoire de ce qui lui était arrivé. Elle continua à partager quelques-unes de ces histoires.
Carol dit que lorsque le point d’assemblage se déplace vers un endroit où il assemble un nouveau monde complet, les sorciers voient un mouvement de pure énergie, juste pendant un instant, avant que le point d’assemblage, qui dicte non seulement ce que nous percevons mais aussi comment nous le percevons, impose son interprétation sur le nouveau monde.
Il était arrivé un moment où Carol et Carlos avaient atteint le point dans leur pratique où ils pouvaient rêver ensemble. Leur entrée dans cet état prenait trois formes – ils se retrouvaient en train de marcher ensemble, en train de rouler ensemble dans une voiture, ou ensemble, nus dans un lit. Elle raconta une série de ces expériences. Lorsqu’ils roulaient ensemble, ils finissaient généralement en face d’une maison blanche, et Carol savait intuitivement que c’était sa maison. D’habitude, elle se réveillait avant d’entrer à l’intérieur. Mais, elle finit par y aller, et fut accueillie par quelqu’un qui était le sosie d’un acteur des années 1940, Gerald Mohr qui, selon toute apparence, avait une voix très distinguée. Il lui dit : « Salut chérie, je suis content que tu sois à la maison. » Carol avait le sentiment que ce personnage n’était pas humain. Ce sentiment s’intensifia lorsqu’il émit un rire démoniaque. Elle revint en vitesse dans notre monde.
A une autre occasion, elle et Carlos se réveillèrent ensemble nus dans la chambre de la maison blanche. Une petite fille arriva en courant dans la chambre en disant : « Maman, maman, qui est ce monsieur tout nu et qu’est-ce qu’il fait dans ton lit ? » Elle et Carlos paniquèrent, et Carlos hurla : « Tournoie, Carol, tournoie ! » (Apparemment la technique pour assembler un nouveau monde donne la sensation de tourbillonner rapidement).
A ce point de leur relation, Carlos et Carol commencèrent à se suspecter l’un l’autre. Ils sentaient tous les deux que l’autre en savait plus qu’il ne voulait le dire, et qu’il complotait avec don Juan et ses combines malfaisantes. A cette époque, Carlos était très gros et adorait cuisiner. Il ne laissait même pas Carol laver une assiette, car elle ne l’aurait pas fait suffisamment bien pour apaiser son pointillisme. A une occasion, Carlos prépara trop de chile con carne. Cela les plomba tellement, qu’ils reportèrent leurs activités journalières. Ils s’allongèrent ensemble sur leur couche de rêve, s’endormirent immédiatement, et furent transportés dans la chambre de la maison blanche. La petite fille était en train de frapper à la porte et demandait à entrer à l’intérieur de la chambre.
Carol se leva et enfila une robe qui se trouvait au pied du lit (comme si elle l’avait fait pendant des années.) Carlos se glissa dans une armoire pour observer ce qui allait se passer. Carol remarqua un journal qui traînait par terre, et fut ébahie de voir qu’il n’était pas du tout écrit en anglais. Elle voulait le montrer à Carlos, qui d’une certaine façon s’était enfermé tout seul dans l’armoire. Carol n’arrivait pas à l’ouvrir, et commença à s’énerver, car à présent l’enfant et Gerald Mohr étaient derrière la porte en train de lui demander ce qui n’allait pas et de bien vouloir les laisser entrer. Carlos (qui, pour une raison inexplicable était aussi très familier avec cette maison) dit à Carol de marcher sur une tâche noire sur le sol, qui ouvrait l’armoire. Cette fois, ce fut au tour de Carol de conjurer Carlos de partir, ce qu’il repoussa jusqu’à la dernière seconde à cause de sa curiosité anthropologique concernant le journal.
Lorsqu’ils revinrent à leur conscience normale, Carlos se tourna vers Carol et lui cria : « Putain de salope ! Qu’est-ce que t’as foutu dans la bouffe ? » Carol se contenta de sourire, car elle le tenait, et elle lui dit : « Toi, vas te faire foutre. Tu ne me laisses même pas entrer dans ta cuisine ! »
A cette époque, Carlos était également affligé de terribles accès de rage, qu’il attribuait à sa pression sanguine. Carol soignait ces attaques avec une forme d’acupuncture. A une occasion, elle demanda à Carlos quelle aiguille il préférait, la large ou la fine, et elle fit un geste insouciant de la main en disant cela. Le côté gauche du visage de Carlos se flétrit comme s’il était sur le point d’avoir une attaque, et dans un faible marmonnement, il demanda l’aiguille fine. Carol était incapable de le porter, et était sur le point de faire une manœuvre drastique, qui demandait d’insérer l’aiguille à la base du scrotum de Carlos. Cela poussa Carlos à mobiliser toute son énergie, et il réussit à pousser un glapissement. Ils se disputèrent pendant des heures pour savoir ce qui s’était passé, jusqu’à ce que Carol retourne finalement chez elle au petit matin. Elle se regarda dans son miroir peu utilisé, et leva sa main gauche pour le nettoyer de la poussière qui le couvrait. Elle se réveilla cinq heures plus tard, avec le visage collé contre le miroir alors qu’une alarme de voiture venait juste de s’arrêter dehors.
Ils découvrirent alors que l’œil gauche de Carol avait été altéré par ses visites dans la seconde attention, elle qu’elle pouvait hypnotiser avec. Elle dit que pendant un temps, elle avait pris beaucoup de plaisir à zapper tout le monde, depuis les autres apprentis jusqu’à l’épicier du coin.
Ensuite Carol nous fit une démonstration. Elle appela une fille argentine qu’elle avait rencontrée juste avant, et l’hypnotisa. Puis, elle prit un volontaire étranger dans l’audience. Au préalable, elle expliqua que ce qu’elle faisait était éteindre leur dialogue intérieur. Elle nous pressa de ne pas regretter de ne pas être sur scène, que nous pouvions faire la démonstration « pour nos yeux seulement », et que nous pouvions aussi expérimenter cet arrêt intérieur. Elle espérait que nos corps se souviendraient, et que nous serions capables d’utiliser cette mémoire en cas de besoin. Je peux dire que cela a marché pour moi, les deux fois. Puis Carol se tourna vers les Chacmools. Nous apprîmes une autre passe, Traverser la frontière centrale du corps, puis nous fîmes une pause pour le déjeuner.
Conférence de Florinda Donner-Grau
De tous les membres du clan de Carlos, Florinda est celle qui semblait le plus être à part. Son visage m’évoqua le mot « elfe » – espiègle, énergique, possédant un savoir secret. Elle était très attirante, avec ses cheveux blancs et ses sourcils noirs en forme de V. Elle avait un magnifique sourire. Pour je ne sais quelle raison, j’ai beaucoup plus de mal à me souvenir de ce qu’elle a dit que pour les autres. A part ça, je pense que c’est parce qu’elle a parlé de beaucoup de choses que j’avais déjà assimilé (du moins intellectuellement).
Elle parla de l’importance personnelle, et réitéra ce qu’elle avait écrit sur l’effet dévastateur de l’assertion de don Juan disant que sa seule valeur personnelle était d’être née blonde avec les yeux bleus, dans un pays où les gens avaient la peau mate. Elle dit qu’il la harcelait sans arrêt sur le fait qu’elle était une « typique Allemande», l’appelant même « Mein Führer ». Si jamais il voulait la mettre en rage, il lui demandait si elle allait « être allemande aujourd’hui ».
Florinda dit qu’elle espérait que nous avions tiré avantage de la démonstration de Carol. Puis elle nous demanda si nous avions remarqué que les yeux de Carol étaient noirs. Florinda dit que les yeux de Carol étaient bleus quand elle était son « moi » normal, mais qu’ils étaient noirs lorsqu’elle était une sorcière incroyablement puissante. Elle dit que nous avions vu quelque chose de réellement merveilleux aujourd’hui, dont se souviendraient nos corps d’énergie. Elle plaisanta en disant que tout le clan, Carlos inclus, devait faire attention lorsque les yeux de Carol étaient noirs. Elle ajouta qu’elle appelait Carol avant d’aller la voir, pour lui demander de quelle couleur étaient ses yeux.
Florinda donna alors la plus achevée des explications de la Tenségrité. Elle indiqua que l’idée des œufs lumineux était une fabrication remontant au temps des anciens sorciers, que la forme de l’homme avait évoluée vers ce que la plupart des gens sont lorsqu’on les voit, c’est-à-dire de parfaites sphères d’énergie. Chez les personnes très jeunes, l’énergie est agglomérée au centre de la coquille. Les expériences mondaines déplacent notre énergie vers la surface de la coquille, formant une sorte de croûte énergétique. Cette énergie est inutilisable. L’objectif de la Tenségrité est de redistribuer cette énergie depuis la surface de la coquille vers le centre. Cela provoque un retour de nos corps d’énergie vers nous.
Quelqu’un demanda si le corps d’énergie était dans notre corps physique. Florinda répondit que puisqu’il fait partie de notre totalité, il n’est pas dans notre corps physique. Nos corps d’énergie tendent à être séparés de nous à cause de la fixation du point d’assemblage sur la position de l’auto-contemplation. Elle dit que don Juan avait l’habitude de plaisanter avec Carlos en disant que son corps d’énergie était au Japon. Florinda était plus chanceuse, le sien était seulement à New-York.
Une question fut posée à propos des effets énergétiques de récapituler quelqu’un avec qui nous sommes toujours en contact dans le quotidien. Florinda clarifia l’idée fausse selon laquelle nous reprenons de l’énergie chez les autres. Elle dit que chaque être possède une quantité finie d’énergie – le processus de récupération est similaire aux effets de la Tenségrité – on ramène notre énergie depuis la coquille extérieure vers le centre.
Florinda parla du problème du « pauvre bébé ». Elle dit qu’il était insensé de se plaindre de ne pas avoir l’avantage d’avoir un maître comme don Juan, ou Carlos. Elle dit que Carlos s’était plaint que don Juan avait eu l’avantage d’avoir don Elias et don Julian, qu’elle s’était plainte que Carlos avait eu plus d’interactions qu’elle avec don Juan et son clan, et que les Chacmools s’étaient plaintes de n’avoir jamais rencontré don Juan. Tout cela est sans importance. Il n’y a pas de meilleures ou pires circonstances, et il n’y a pas de récompenses associées à la sorcellerie. C’est un interminable défi, et c’est tout. Nous sommes tous seuls face à l’infini – l’énergie est tout ce qui compte.
Quelqu’un demanda si le fait d’affronter seul l’infini impliquait que le clan du nagual soit séparé après le vol abstrait. Florinda répondit que la destination finale du clan du nagual était inconnue, mais qu’en ce moment même, nous affrontions tous l’infini en étant seuls, même dans cette salle pleine de monde.
Quelqu’un amena le sujet des « vers lumineux » laissés dans la femme par l’homme après l’acte sexuel. Florinda dit qu’en effet, c’était vrai, comme le fait que d’avoir des enfants faisait des trous dans la coquille lumineuse. Mais, demanda t-elle, et alors ? Elle n’était pas en accord avec la stratégie extrême de don Juan d’effacer l’histoire personnelle en laissant derrière nous tout ce que nous connaissions. Ils ne nous demandaient pas d’abandonner notre famille ou nos vies. Ce qui compte c’est le détachement, qui vient après avoir perdu l’importance personnelle, qui est un produit de l’énergie.
Florinda nous exhorta à utiliser la mort comme conseillère, et de perdre l’importance personnelle. Puis elle se tourna vers les Chacmools. Nous apprîmes une autre passe, Les 5 points de connexion. On nous dit que cela était similaire à l’acte de charger une batterie.
Conférence de Carlos Castaneda
Carlos ouvrit la séance aux questions. Quelqu’un lui demanda s’il était en train de travailler sur un nouveau livre. Il dit que oui, et pour l’évoquer, il nous donnerait une idée de quoi cela parlait. Quelqu’un lui demanda ensuite si c’était vrai qu’il avait écrit L’Art de Rêver des années auparavant, mais n’avait pas pu le faire publier. Il dit que c’était plus ou moins vrai, que son agent lui avait dit que c’était trop bizarre, et qu’il devrait écrire quelque chose de plus contemporain, peut-être sur les ordinateurs. Il était reparti et s’était creusé la tête sur le moyen de rendre son livre plus acceptable, mais avait fini par le laisser tel quel. Il expliqua qu’il n’était pas vraiment écrivain, que don Juan lui avait donné la tâche de trouver ses livres en rêvant, ce qu’il avait fait. Tout ce qu’il faisait était de rapporter les mots qu’il avait trouvés en rêve, un acte d’une immense concentration. Il évoqua le problème d’écrire ou même de parler à propos de la sorcellerie, car cette taxonomie avait peu de chose en commun avec le monde de la vie quotidienne.
Carlos nous raconta un commentaire qu’avait une fois fait don Juan sur le monde quotidien du tonal. Il avait dit que ce que nous considérons être la réalité était un contrat qui avait été établi dans le passé, un contrat auquel nous avions été obligé d’adhérer, même si nous n’avions pas été présent lors de la négociation. Pourquoi, avait-il demandé à Carlos, devait-il se sentir obligé d’adhérer à un contrat sur lequel il n’avait pas eu son mot à dire ? Ceci est, en gros, l’essence de la sorcellerie, la renégociation de ce contrat.
Le sujet du sexe émergea, et Carlos réitéra ce qui avait été dit sur le fait que la capacité d’avoir une activité sexuelle dépendait de l’énergie du coït avec laquelle nous avions été conçu. Carlos dit que don Juan avait vu le moment de la conception de Carlos. Ses parents étaient très jeunes, des adolescents, et avaient eu une relation sexuelle à la hâte, derrière une porte. Carlos sentait que c’était la raison pour laquelle il était lui-même furtif, et petit, dit-il en plaisantant. Don Juan lui avait dit que cela faisait de lui une baise ennuyeuse, et que par conséquent il devait éviter l’activité sexuelle. Carlos n’aimait pas ça, parce qu’à cette époque il était jeune et même s’il était très gros, il pensait être très sexy. Il dit qu’il souhaitait encore être plus grand et ne pas être une baise ennuyeuse, bien qu’il soit le dernier maillon d’une chaîne d’évolution de 5 million d’années, et qu’il ne puise pas laisser ces choses être la pierre d’achoppement qui le tienne en échec.
Il raconta l’histoire d’un jeune homme qui était venu le voir en lui disant qu’il voulait être un guerrier, mais qu’il avait été abusé sexuellement par sa belle-mère. Carlos lui demanda combien de temps avait duré l’abus, et il lui répondit trois ans, de ses 18 ans jusqu’à ses 21 ans. Carlos devint alors très sérieux, et nous raconta l’histoire d’une jeune fille qui avait été abusée, tout d’abord par son plus jeune frère, puis quand le frère aîné l’avait découvert, par les deux, puis lorsque le père s’en était aperçu, par les trois. Cela avait démarré lorsqu’elle avait 11 ans, et avait duré jusqu’à ce qu’elle quitte la maison. Carlos dit qu’en effet, c’était de l’abus, mais que tout ce qu’il pouvait lui dire était ce que don Juan lui avait dit à propos de l’histoire personnelle, de nombreuses années auparavant : « Avant était avant, et maintenant est maintenant, et maintenant il n’y a que de temps que pour la liberté. »
Une question fut posée à propos de perdre la forme humaine. Carlos dit que, pragmatiquement, cela signifiait que l’on perdait tout intérêt pour les choses qui étaient d’un intérêt vital pour l’humanité. Quelqu’un lui avait demandé à u séminaire précédent : « Mais qu’est-ce que je fais si je vois un cul bien galbé ? » Carlos dit que ceux qui se baladent partout en criant : « Qu’est-ce que je vais faire avec ma sexualité ? » sont ceux qui, de toute façon, ne feront rien dans ce sens. Ceux qui ont l’esprit vraiment mal tourné gardent leurs pensées pour eux.
Carlos parla de l’importance personnelle, et de la façon dont nous aimons collecter les souvenirs. Il dit que nous accumulons une incroyable variété de saloperies annexées à nos inventaires personnels – de vieilles lettres, des photographies, même des talons de ticket de spectacles que nous avons vu. Il raconta l’histoire d’un artiste qu’il connaissait, qui s’était pris en photo tous les jours au cours des 40 dernières années. Il tenait également quotidiennement un journal. Cette personne avait déjà légué toutes ses lettres et d’autres effets personnels à différentes institutions qui, d’après lui, les apprécieraient et leur rendraient justice. Il nous pressa de laisser tomber ce genre de choses, de nettoyer nos inventaires personnels.
Un des Argentins lui demanda en espagnol si Carlos pourrait l’envoyer dans la seconde attention. Carlos roula ses yeux, l’air de dire « Nous y revoilà ! » (J’ai pensé – maximisons notre temps avec le Pape !) Il nous dit que la lignée de don Juan croyait que forcer les apprentis à entrer dans la seconde attention via le coup du nagual sur le point d’assemblage était le moyen le plus expéditif pour obtenir leur adhésion à la sorcellerie. Mais que de tels coups laissaient des bosses dans le cocon lumineux, et que tous les membres du clan de don Juan avaient des bosses permanentes dans leurs cocons lumineux à cause du nombre de coups qu’ils avaient reçus. Carlos et son clan ne partageaient plus cette manière de penser, et croyaient que la discipline et l’énergie étaient tout ce qui est nécessaire pour avoir accès à la sorcellerie. Par conséquent, la réponse était non, nous devions accomplir ce voyage par nous-même.
Carlos dit que cela lui avait pris à lui et à son clan, des années pour réparer les bosses qui avaient été faites dans leurs cocons.
A la naissance, le point d’assemblage n’est pas fixé sur la position de l’auto-réflexion. Cela n’arrive que plus tard, avec la socialisation. Ils avaient aussi découvert que l’énergie, à la naissance, est agglomérée au centre du cocon, mais que la vie quotidienne et l’accumulation d’expériences provoquent un déplacement de l’énergie vers la coquille extérieure, formant une espèce de croûte. Plus une personne est âgée et socialisée, plus son énergie est encroûtée sur sa coquille, et plus la fixation du point d’assemblage est forte, la verrouillant dans sa vision du monde. Donc, la Tenségrité, c’est retransformer le cocon en une sphère lumineuse, avec l’énergie au centre et le point d’assemblage sur la position de la naissance.
Puis, j’ai demandé à Castaneda : « Qu’est-ce que ça veut dire quand vous dites que les sorciers font face au temps qui vient ? » Il répliqua que c’était l’un des aspects les plus élégants de la sorcellerie. Cela signifiait que les sorciers faisaient face à l’existence sans aucune supposition a priori, qui vient de la position habituelle du point d’assemblage. Carlos dit que don Juan avait évoqué la métaphore d’un passager dans un train : ordinairement, nous percevons le temps comme quelqu’un assis dans le wagon de queue, voyant défiler les rails. Nous ne voyons que ce qui vient de se passer, et le long défilement des rails (notre passé), s’estompe avec la distance. La sorcellerie nous permet de courir vers l’avant du train, la locomotive, et de voir ce qui arrive vers nous. Le passé est invisible depuis cette position, tout ce qui compte est ce qui se passe maintenant. Cela n’est possible que lorsque nous ne sommes plus du tout concerné par notre histoire personnelle, l’inventaire humain inclus, tel qu’il est définit par la position d’auto-réflexion du point d’assemblage. S’inquiéter pour nous-même nous coûte ce précieux moment nécessaire pour expérimenter tout directement ; l’expérience doit passer par le filtre de notre importance personnelle. Dès que nous portons attention au monde en dehors de nous, le prochain événement est déjà arrivé.
Quelqu’un lui posa une question à propos de la théologie de la nouvelle attitude des sorciers. Il répondit que le groupe de don Juan était parvenu à son but, et vivait dans un endroit où la perception était à 360°. Cependant, nous sommes toujours obligés de faire avec la perception de notre point d’assemblage, même quand nous avons acquis beaucoup de contrôle sur ce que nous percevons. Carlos réitéra que pour les sorciers, il n’y avait pas séparation entre le corps et l’âme, et que lorsqu’un nouveau monde était assemblé, le corps n’en était pas altéré. Aussi, se plaignit-il, où qu’il aille dans l’infini, il était toujours petit. Le problème qu’expérimentait don Juan était qu’il était toujours limité par son équipement perceptuel, et par conséquent, il ne pouvait que simuler une perception à 360°, en tourbillonnant continuellement.
Quelqu’un demanda ce qu’était devenu l’Aigle. Carlos répliqua que l’Aigle était simplement un nom pour une vaste force impersonnelle qui imprègne les choses de conscience, et qui récupère la conscience enrichie quand elles meurent. En d’autres mots, rien n’avait changé en ce qui concernait l’Aigle.
Puis Carlos dit que le nouveau point de vue des sorciers était plus pragmatique que celui de la lignée de don Juan. Ils avaient pris conscience et accepté les limitations imposées par la perception du point d’assemblage, et n’étaient plus intéressés par atteindre un lieu de conscience à 360°. A la place, ils étaient devenus des navigateurs de l’infini. Ils voulaient visiter, d’eux-mêmes, autant de mondes qu’il était possible d’atteindre. De cette façon, ils allaient en effet tromper la mort, et étendre leurs vies indéfiniment, en retenant leur conscience et leur volonté. Le monde des êtres inorganiques était le sas de secours qu’ils allaient emprunter.
Quelqu’un demanda s’il y avait quoi que ce soit que Carlos ou nous puissions faire pour aider don Juan afin de le sortir de cette situation délicate. Carlos dit : « Absolument pas. Si une quelconque aide de ce genre était tentée, don Juan vous cracherait à la figure. Il n’est pas possible d’intervenir dans les décisions personnelles et impeccablement responsables d’un guerrier, particulièrement un guerrier comme don Juan. » De telles idées de vouloir aider ou de ressentir de la compassion n’étaient pas à la hauteur de son expression pure de guerrier.
Carlos fit plusieurs remarques moqueuses sur le fait de centrer notre existence sur jouer de la guitare et fumer de la marijuana. Il dit qu’à un moment, il avait remarqué que la luminosité des fumeurs de marijuana était verte, ce qu’il avait attribué à cette manie. Mais il avait appris qu’à une époque, le vert était la teinte commune de la luminosité humaine. Il nous rappela qu’il avait été étudiant à UCLA dans les années 1960, et qu’il avait été exposé à tous les événements de cette époque. Il dit que cela ne l’avait pas attiré. Il était tout particulièrement dégoûté par le faux mysticisme – « S’habiller en toge, avec des couleurs flashy, et arborer des coiffures bizarres » n’était que pour les charlatans. Il fit observer que les vraies sorcières, elles, étaient brûlées.
Quelqu’un posa une question sur la difficulté de perdre son histoire personnelle dans le monde moderne. Carlos raconta qu’il avait dû aller voir un médecin pour un problème de vue. Le médecin voulait connaître son âge, sa taille, son poids, etc., alors que Carlos voulait juste avoir son opinion. Le médecin lui dit qu’il avait un problème de rétine à cause de la violence de ses orgasmes, mais que le problème se réglerait tout seul avec le temps. Carlos dit qu’il ne pouvait pas dire au médecin qu’en tant que guerrier, il était célibataire depuis des années. Il ne pouvait pas non plus lui dire qu’il avait réalisé que la cause la plus probable de son problème était ses incursions dans l’infini.
Quelqu’un lui rappela alors que son temps était presque écoulé et qu’il nous avait promis de nous parler de son nouveau livre. Carlos évita la question, disant qu’il devait laisser la place aux Chacmools, et qu’une personne de son groupe devait lui planter une aiguille dans le scrotum.
Troisième Jour
Conférence de Taisha Abelar
Taisha se présenta en demandant si les autres guerriers nous avaient avertis à son propos. Elle dit qu’ils l’accusaient de s’être vendue aux êtres inorganiques, et qu’ils employaient souvent les mots ‘diabolique’, ‘malveillante’, et ‘sournoise’ pour se référer à elle. Taisha dit qu’elle aimait changer l’accentuation, et se référer à elle-même en utilisant les mots ‘mystérieuse’, ‘énigmatique’, etc. Elle mit au défit l’audience de proposer d’autres mots appropriés. Personne ne répondit. Tandis qu’elle parlait, plusieurs des lumières de l’auditorium s’estompèrent et d’autres s’allumèrent derrière elle.
Taisha était très similaire à Florinda, en ce qui concernait la stature, très mince et bien faite, peut-être la cinquantaine, mais très vive. Cependant, elle était beaucoup plus grande. Ses cheveux étaient encore bruns dorés, mais coupés très courts, comme toutes les sorcières sauf Carol. Elle avait également un sourire vif et malicieux, et semblait être la plus accessible du groupe – plusieurs fois entre les sessions, on pouvait la voir au centre de l’assistance.
Elle nous dit que ses deux alliés étaient avec elle, et qu’elle les appelait Phoebus et Globus. Elle expliqua que les êtres inorganiques ne sont pas effrayants du tout, en fait ils sont des sources débordantes de l’affection abstraite que les sorciers recherchent, et ils sont donc beaucoup plus proches des animaux domestiques que quoi que ce soit d’autre.
Taisha raconta à nouveau l’histoire de sa première rencontre avec un allié. Elle était dans son lit, dans la maison des sorciers au Mexique, lorsqu’elle fut réveillée par d’étranges bruits provenant de derrière la porte. Elle les attribua à la tentative de don Juan de l’effrayer et retourna se coucher. Le jour suivant, elle en parla à don Juan, et il lui dit que les êtres inorganiques en avaient après elle. Taisha demanda très effrayée ce qu’elle pouvait faire pour se protéger. Don Juan lui dit que sa précédente réponse était probablement la meilleure, de simplement ne pas faire attention à eux. Mais, elle fut incapable d’agir de la même façon durant leurs visites ultérieures, alors don Juan lui dit qu’il n’y avait aucun espoir pour elle, les êtres inorganiques avaient pris la décision de la prendre.
La seule chose qu’elle pouvait faire était de se confronter directement à l’être inorganique, de lutter avec lui, et de ne pas le laisser s’enfuir, à n’importe quel prix. Une nuit, l’allié entra en force. Taisha dit qu’elle pouvait voir le contour de la porte imprégné d’une lumière étrange, puis la porte avait commencé à se bomber vers l’intérieur, comme si une énorme force était en train de s’appuyer dessus. L’allié entra dans la pièce, et elle l’attrapa, mais pas de la manière dont on pourrait se l’imaginer – il y avait juste une espèce de connexion tangible, délibérée. Taisha dit que la seule chose avec laquelle elle pouvait décrire le contact de l’allié était une sorte d’électricité liquide. Elle parvint à dompter l’allié, qui était un des deux alliés en permanence avec elle.
Taisha indiqua que tous les subterfuges et les difficultés dont Carlos avait fait l’expérience dans sa relation avec ce royaume étaient dus au fait qu’il était un homme. L’Univers est un endroit à prédominance femelle, ainsi les êtres inorganiques sont plutôt indifférents aux femmes. Celles-ci peuvent aller et venir à volonté dans leur monde. Taisha dit que les alliés nous aimaient parce que nous vivions plus rapidement qu’eux. Pour tout un tas de buts pratiques, les êtres inorganiques vivent indéfiniment, de l’ordre de millions de nos années. Ils connaissent notre problème avec les flyers et la mort, et veulent nous aider, mais ils ne peuvent pas vaincre le pouvoir de notre première attention, la position habituelle du point d’assemblage. Aussi, l’homme ordinaire ne peut les voir qu’en rêve. Elle remarqua que les alliés essayaient souvent d’annoncer leur présence quand elle parlait durant les séminaires, en affectant la sono ou les lumières. (Elle semblait sincèrement inconsciente qu’ils l’avaient déjà fait.) Par conséquent, cela dépend de nous de traverser l’écart qui existait entre nos deux mondes.
Taisha s’ouvrit aux questions, et suggéra qu’elle nous parle de certaines techniques pour appeler les êtres inorganiques. Quelqu’un demanda si les alliés l’avaient déjà emmené dans un autre monde alors qu’elle était dans son état de conscience normal. Taisha répondit que cela était en effet possible, et que l’on pouvait sentir l’allié entrer dans le système nerveux central, à la base de la colonne vertébrale, et le sentir ‘ramper’ vers le haut. L’allié vous transportait alors physiquement où vous vouliez.
Quelqu’un demanda à quoi ressemblait les êtres inorganiques – Taisha donna une description similaire à celle de Carlos faite dans L’Art de Rêver. Ils ont soit la forme d’une cloche, soit d’une bougie, soit celle d’une flamme.
Quelqu’un demanda si les êtres inorganiques, étant des êtres femelles, et vivant si longtemps, se reproduisaient ? Taisha sourit à la question, et dit : « Je ne sais pas, je vais leur demander. » Elle sembla alors se concentrer intérieurement sur la question pendant quelques secondes, sourit, et dit qu’ils lui avaient dit que bien qu’ils soient capables de se reproduire, cela faisait des éternités qu’ils ne l’avaient pas fait, donc dans un objectif purement pratique, la réponse était non.
Quelqu’un rappela à Taisha qu’elle avait dit qu’elle pourrait nous donner certaines techniques pour appeler les êtres inorganiques. Elle nous décocha un sourire malicieux, comme pour dire : « Ah, je croyais que vous n’alliez jamais demander ! » Puis elle nous parla de plusieurs façons pour accomplir cela. La première méthode nécessitait l’utilisation d’un bâton (de la forme d’un manche à balais). En position assise, on pose le front sur celui-ci – il est de la longueur appropriée selon que vous préférez vous asseoir sur une chaise ou sur le sol. Elle dit qu’une petite pièce de cuir ou n’importe quel rembourrage pouvait être utilisé pour vous éviter de vous promener avec une marque sur le front. Puis on intentionne la présence d’un être inorganique.
La seconde méthode consistait à tirer avantage du crépuscule. C’est le moment où les êtres inorganiques sont le plus susceptibles de se faire connaître de nous, par des hululements de chouette et des sifflements. Taisha raconta que les sorciers du groupe de don Juan lui avait conseillé de ne jamais siffler au crépuscule, mais c’est bien sûr ce qu’elle avait fait, car elle ne partageait pas leur aversion pour les alliés. Siffler ou faire des bruits étranges à ce moment de la journée attire l’attention des alliés.
La troisième méthode nécessitait l’utilisation d’allumettes. L’idée est de craquer une allumette, et de contempler sa flamme. Quand l’allumette est brûlée jusqu’à la moitié environ, on humidifie les doigts avec de la salive et on attrape le bout brûlé de l’allumette, on la retourne afin qu’elle brûle complètement. A ce moment là, la flamme devient bleue et regarder au travers de la flamme appelle un allié.
Puis Taisha nous exhorta à ne pas être peiné par notre relatif manque de chance de ne pas être dans le groupe du nagual. Elle dit que le monde des sorciers ne connaissait pas de favoritisme, que cela dépendait de chacun, du plus accompli des naguals au novice le plus inexpérimenté, de saisir chaque moment et d’optimiser chaque opportunité. Elle nous dit que nous devions être audacieux et courageux, comme des bandits, enthousiaste et capable de bondir sur toutes les opportunités qui se présentaient. Taisha dit que lorsqu’elle était jeune, c’était son habitude de pisser sur ses opportunités, de les prendre comme allant de soit – elle nous rappela ce qu’aimait dire don Juan à propos de l’oiseau de la liberté volant en ligne droite. Soit on se cramponne à l’oiseau de la liberté, soit il part pour toujours.
Ensuite, elle se tourna vers les Chacmools. Celles-ci nous apprirent une nouvelle passe : L’Être de la Terre. Cette passe imite une créature qui creuse un terrier, comme une marmotte ou un chien de prairie. On accompagne les mouvements de l’expression du visage de l’animal et de petits bruits qui ressemblent à des aboiements, et qui nous donnent l’air un peu idiot. Kylie remarqua que c’était super pour perdre l’importance personnelle.
Comme si c’était un accord du monde, j’eus une expérience intéressante, alors que nous faisions une pause pour boire un peu. J’étais le troisième ou quatrième dans une queue de huit guerriers assoiffés, patientant pour avoir de l’eau fraîche. Arriva un type avec une bouteille d’eau vide, qui alla directement au début de la queue, remplit sa bouteille et repartit. J’étais stupéfait par l’irritante détermination de l’homme mais presque instantanément je réalisai que c’était de l’importance personnelle de se soucier de ça. Et même si je ne me sentais pas offensé, je le fixai tout de même pendant quelques secondes, me demandant comment une personne si suffisante pouvait se trouvait en la présence de vrais initiés (nous). Je réalisai que nous avions tous une longue route à parcourir, moi inclus.
Conférence des Chacmools : Session de questions-réponses
Après le déjeuner, Carol et Florinda montèrent sur scène très brièvement. Les yeux de Carol étaient absolument bleus. Elles nous remercièrent de notre présence et de notre attention. Carol approfondit le fait que lui avoir permit de nous raconter ses histoires l’avait aidé à se souvenir. Puis elles ouvrirent une session de question-réponse.
L’origine des passes fut évoquée. On nous dit que Carlos avait trouvées les passes en rêvant, et qu’elles avaient ensuite été apprises et parfois adaptées par les Chacmools. Chaque groupe de passes devait être pratiqué comme un groupe et dans le même ordre qu’elles avaient été enseignées. On nous recommanda de faire les passes quatre à six fois chacune, et à la vitesse qui était pour nous la plus confortable.
Quelqu’un demanda si les Chacmools allaient quitter ce monde avec le clan de Carlos. Kylie répondit qu’elles le feraient ou qu’elles mourraient dans leur tentative. Elles avaient déposées leur vie dans cette lignée avec leur décision de rejoindre le groupe de Carlos. Elles réitérèrent que c’était un paradoxe apparent de dire que l’infini devait être affronté seul, mais seulement parce que nous ne réalisons pas que nous avons toujours été dans cet état et que nous le serons toujours.
Quelqu’un dit qu’il avait entendu dire que les passes ne devaient pas être pratiquées pieds nus. Kylie dit que les sorciers n’aimaient pas que leurs pieds soient nus, parce que les pieds sont le principal point de contact avec le sol, et donc la source possible d’influences énergétiques indésirables.
On demanda si on pouvait enseigner les enseigner les passes à d’autres personnes. Elles répondirent que bien que les passes ne soient plus liées au secret, elles ne le recommandaient pas. Car une grande part de l’instruction était donnée directement au corps d’énergie, et seul quelqu’un d’aligné avec l’intention des passes comme elles l’étaient, pouvait donner correctement cette instruction.
Puis Kylie commença à parler de l’importance personnelle, et comment elle était en relation avec le syndrome du ‘pauvre de moi’. Elles insistèrent sur le fait qu’il était insensé d’être jaloux ou envieux de leur chance d’avoir été acceptées dans le clan de Carlos. La sorcellerie était disponible pour nous tous, et le premier pas que nous devions faire était de récapituler et de faire de la Tenségrité. Chacun de nous devait décider si il voulait vraiment devenir un navigateur, ou bien vivre dans un monde où les actions des gens étaient toujours offensantes – où nous pouvions nous plaindre que quelqu’un soit injuste, plus riche, plus beau, ou plus chanceux ; où nous pouvions dire : « Regarde ce connard – il coupe la queue. » En disant cela, Kylie me regarda directement. Son regard était féroce mais détaché, ses yeux semblaient anormalement larges. La seule chose à laquelle je pourrais comparer cela serait la fois où mes yeux ont croisé le regard d’un tigre du Bengale au cirque. Je sentis que son commentaire m’était directement adressé, en référence à l’incident qui avait eu lieu précédemment.
Quelqu’un demanda si les passes qui avaient enseignées aux autres séminaires seraient à nouveau montrées, et comment nous devions nous arranger avec le fait d’oublier certains mouvements. Nyei dit que nous devions regarder les vidéos et pratiquer. Kylie répliqua que nous devions avoir l’intention de nous souvenir – il était important de ne pas abandonner parce que nous étions coincés à un certain endroit de la passe. Nos corps d’énergie savaient, et la connaissance reviendrait à nous en temps voulu. Durant la conversation, Nyei fit inconsciemment un des mouvements de L’Être de la Terre. Cela, accompagné de son léger (mais très joli) bec-de-lièvre la fit ressembler à l’incarnation humaine d’une marmotte. Tout le monde ria.
Nous fîmes une pause. Je rattrapai Nyei pour lui demander si elle avait voulu dire par là que les prochains séminaires correspondraient aux passes des vidéos. Elle dit que dans une certaine mesure, c’était possible, mais que d’ici là les passes auraient évolué.
Nous apprîmes la dernière passe, L’Être des Airs. Cette passe reproduisait un oiseau en vol, du décollage jusqu’à l’atterrissage. Nous revîmes toutes les passes, et ajoutâmes parfois le mot ‘intention’ sur certaines, lorsque Carlos pensait que cela était nécessaire pour augmenter le pouvoir des passes. Je peux seulement dire que j’ai senti beaucoup d’énergie quand nous avons tous simultanément appelé à voix haute l’intention. On nous dit que la partie Tenségrité du séminaire était terminée, et que cette après-midi, il y aurait des chaises pour la conférence !
Conférence de Carlos Castaneda
Tout le monde déménagea des environs de la scène, et des chaises furent installées comme promis. Les deux premières rangées étaient réservées aux membres du clan de Carlos, les membres de Cleargreen (ce qui est la même chose). Ils entrèrent tous ensemble, et Carlos, habillé pour la première fois d’un costume, monta sur scène.
Il commença en disant qu’il y a très longtemps, avant l’Histoire, des hommes avaient découvert de nombreuses vérités à propos de la nature de la conscience. Ces praticiens, avec le temps, étaient devenus les gens que nous appelons les anciens sorciers. Ils avaient vu que l’homme possède une différence fondamentale dans sa coquille lumineuse, par rapport à toutes les autres choses vivant sur Terre. C’est une brillance, une sorte d’enveloppe super brillante, superposée à la brillance de la coquille lumineuse. Les anciens sorciers avaient découvert que plus cette brillance était lumineuse et omniprésente, plus était grande leur habileté à manier la conscience. Bientôt, ils avaient été capables d’accomplir de véritables prodiges.
Malheureusement, ils avaient fait l’erreur de s’en vanter. Ils annoncèrent leur présence à l’Univers, un peu comme Jack Horner, disant : « Oh quel bon garçon je suis ! »
Ce dont ils n’étaient pas conscients, c’est que nous ne sommes pas les seuls dans la place. En fait, il y a des entités, là dehors, dans l’immensité, qui se nourrissent justement de la brillance que possèdent les êtres humains. Certaines de ces entités, les flyers, remarquèrent les anciens sorciers et les prirent pour proie. Cette prédation continue aujourd’hui encore. La forme que cela prend, est que toute la couche de conscience est mangée, à part une petite bande située au pied de la coquille lumineuse. C’est précisément cette zone qui est favorable à l’auto-réflexion, et donc à l’importance personnelle.
De cette manière, nous sommes en effet élevés par les flyers. Les sorciers plaisantent sur le fait que nous sommes gardés comme des poulets dans un poulailler. D’après les sorciers, chaque idée, chaque religion, chaque sentiment de nationalisme, chaque affirmation artistique nous est accordé ou est permise par les flyers, car cela nous maintient dans un état d’occupation, en train de marchander dans notre poulailler, au travers de la sexualité, de la politique, de la domination matérielle, ce qui leur facilite grandement le boulot. Avec de la chance, ou du talent, ou les deux, un poulet peut bien sûr s’échapper de sa détention. Mais les flyers on la même philosophie qu’aurait un éleveur de poulet – ça ne vaut pas la peine de le pourchasser, de toute façon le chat l’attrapera.
Et ceci est malheureusement vrai, car après tout, nous vivons dans un Univers prédateur. Mais les sorciers ont une échappatoire. La discipline, la discipline du guerrier rend la brillance de conscience immangeable pour les flyers ; Ainsi, libre de la prédation, la couche de brillance peut se reformer à mesure que le chemin du guerrier est suivit. Jusqu’à ce que finalement, lorsqu’elle recouvre complètement la coquille lumineuse, on soit capable de rechercher la liberté.
Don Juan savait cela, mais il avait peur des êtres inorganiques, et écarta tout le gros de la connaissance des sorciers qui, d’après lui, menait inévitablement à être emprisonné dans ce monde. A la place, il choisit ce qui était la tendance des nouveaux voyants, de brûler du feu du dedans, et d’aller dans le monde à 360°. Ironiquement, c’est là qu’il est piégé aujourd’hui.
Carlos, en revanche, aimait le monde des êtres inorganiques, et il aimait le Défieur de la mort. Carlos raconta à nouveau comment le Défieur de la mort avait trompé les êtres inorganiques en devenant une femme. Il dit aussi qu’étant le dernier nagual de la lignée de don Juan, le Défieur de la mort n’était plus dans la possibilité de rester ici, sur Terre, et avait par conséquent lié son destin à celui du clan de Carlos. Lorsqu’ils quitteraient ce monde, il partirait avec eux. Et Carlos approfondit ce point, en disant que c’était, dans une large mesure, à cause de l’injonction du Défieur de la mort que les passes magiques étaient montrées. Celui-ci savait qu’il ne reviendrait jamais dans ce monde, et à moins que son immense connaissance soit partagée maintenant, elle serait perdue. En paiement de la vie extraordinaire qu’il avait menée, il souhaitait se défaire de cette connaissance.
« L’ouverture » de la sorcellerie était le résultat de l’intention du Défieur de la mort. Ce que Carlos et ses compagnes avaient appris, est que le monde des êtres inorganiques est l’entrée dans l’infini, et que là, la mort peut y être tenue à distance avec succès. Cela deviendrait pour eux une base pour leur navigation dans l’infini.
Carlos raconta comment il avait tourmenté don Juan avec son besoin de comprendre les processus de la sorcellerie avant de pouvoir espérer les utiliser. Don Juan avait ri et avait demandé à Carlos de lui dire quelque chose qu’il savait être absolument véridique. Carlos avait réfléchi, puis avait répondu : « Je sais que 2 et 2 font toujours 4. » Don Juan répondit qu’il en était ainsi, encore que Carlos n’ait aucune idée de ce qu’était 2, ou 4, à part des propositions qui néanmoins pouvaient être appliquées au monde réel. Carlos ne pouvait pas non plus dire qu’il comprenait le processus de l’adition, bien qu’il puisse le manipuler de façon mécanique, et obtenir des résultas vérifiables. Les pratiques de sorcellerie fonctionnent de la même manière, elles sont tout aussi abstraites et insondables, bien qu’elles donnent les mêmes résultats à chaque fois. Aussi, nous devons récapituler et faire de la Tenségrité, sans trop nous soucier de comprendre leur fonctionnement. Carlos répéta que les idéaux exaltés de l’homme étaient en fait des manipulations des flyers.
Il raconta qu’une fois, il avait rencontré Alan Watts. Celui-ci l’avait invité chez lui, et Carlos pensait avoir avec lui une merveilleuse discussion. Au lieu de cela, Watts lui avait demandé s’il avait déjà couché avec un homme et s’il voulait monter avec lui à l’étage. Carlos essaya de ne pas se sentir offensé, et changea de sujet. Il dit à Watts qu’il avait toujours adoré sa vision sur le rapprochement entre l’orient et l’occident, et que plus jeune, il avait une fois fait du stop sur des centaines de kilomètres pour assister à une de ses conférences. A cet instant, Watts s’effondra en larmes, en disant que son cruel destin était d’avoir de merveilleuses idées mais de ne pas être capable de les appliquer dans le monde réel. Puis, au milieu des larmes, il dit : « Vous êtes sûr que vous ne voulez pas aller à l’étage ? »
Ensuite, Carlos nous invita à poser des questions. Quelqu’un dit qu’il avait entendu dire que Carlos avait parlé de six naguals qu’il connaissait, et lui demanda comment il pouvait reconnaître les vrais des faux naguals. Carlos dit qu’il n’avait dit de chose pareille, et qu’en fait il n’avait connu qu’un seul autre nagual, un riche Mexicain qui avait concurru pour l’investiture de président au Mexique. Il était mort d’une attaque en campagne, au cours d’un discours. Carlos dit qu’il avait été contacté par les membres du clan du nagual, qui lui avaient demandé ce qu’ils devaient faire maintenant. Il leur avait dit de récapituler et de perdre leur importance personnelle.
Quelqu’un demanda si la Terre était un être sensible. Carlos répondit que c’est ce que lui avait dit son maître.
Quelqu’un demanda quelle chance nous avions sans nagual. Carlos dit que le nagual était seulement quelqu’un avec un extra d’énergie qui lui permettait de guider. Il réitéra que le pouvoir personnel est tout ce qui compte, et que nous en avons tous une quantité finie. Par conséquent, chacun d’entre nous possèdent déjà toutes les ressources nécessaires pour accéder à la sorcellerie. La fonction du nagual est de nous montrer son combat, et de nous exposer à l’affection abstraite. Il ne peut guider qu’en étant un exemple. Le reste dépend et dépendra toujours de nous.
Carlos nous raconta que don Juan lui avait dit une fois que les naguals tenaient un carnet, un carnet dans lequel ils gardaient les événements importants de leur vie. Il dit à Carlos qu’il était temps pour lui de commencer à écrire son propre carnet, et demanda à Carlos d’essayer de se souvenir d’une histoire pertinente. Carlos ne trouva rien – tous les supposés événements importants de sa vie, comme avoir été accepté à UCLA, ne lui semblait plus du tout important. Il le dit à don Juan, qui ria et dit qu’il ne parlait pas d’histoires qui reflétaient son histoire personnelle, mais celles qui étaient des histoires de l’Esprit. Cela rappela à Carlos une histoire qui parlait d’une prostituée en Italie.
Carlos raconta qu’il avait été étudiant en art dans sa jeunesse, et avait étudié à Milan. Il avait un ami qui était un célèbre queutard, et la coqueluche de tous les bordels italiens. Il avait l’habitude de régaler Carlos avec les histoires de ses aventures sexuelles, et invitait tout le temps Carlos, mais Carlos refusait toujours. Cependant, à une occasion, il ne put s’y refusé ; son ami déclarait avoir trouvé le plus beau cul de tous les temps, et ne pourrait pas survivre si Carlos n’en faisait pas lui-même l’expérience. Finalement, plus pour se débarrasser de lui, Carlos accepta. Son ami l’emmena dans un bordel d’allure ordinaire, et le présenta à la mère maquerelle. Carlos fut emmené dans une chambre, et on lui dit que la fille allait bientôt le rejoindre. Quelques minutes plus tard, une vieille femme simple entra et dit : « Ah, je devine que tu es venu pour voir mes figures devant le miroir. » Carlos supposa que oui. La prostituée mit alors un disque dans le phonographe, qui joua un air qui provoqua chez Carlos une indescriptible nostalgie. Ensuite la femme commença à se déshabiller devant le miroir et ce fut tout.
Don Juan disait que c’était une histoire parfaite pour le carnet de Carlos, car c’était une véritable indication de l’Esprit. En effet, c’est ce à quoi finissait par ressembler la vie dans le monde de l’auto-réflexion, juste des figures en face d’un miroir.
Carlos et son clan nous firent alors leurs adieux.